mercredi 29 juillet 2009

I've just seen a face...

J'attendais le métro qui me ramenait chez moi.
Près de moi, était assis un type, écouteurs blancs semblables aux miens et à ceux de la moitié de la rame, plutôt pas mal, qui m'adressa un regard que je lui rendis.

Je restais debout devant lui, en me retournant de temps à autre (comme si de rien n'était, ce que toutes les filles font de façon ridicule en pensant réellement que cela n'a l'air de rien mais en espérant secrètement que ça ait l'air de quelque chose tout en ayant l'air de rien).

Nous nous apprêtions à entrer dans la même rame, lorsque l'ouverture des portes nous révéla le son d'un accordéon qui jouait probablement une version désaccordée de O Sole Mio - titre le plus répandu sur la ligne 6, devancé néanmoins largement par le fameux Besame Mucho des boliviens, et suivi de plus loin par Mon amant de Saint Jean, Imagine et Satisfaction.

Nous fîmes un pas en arrière pour intégrer la rame voisine.
Nous nous regardâmes en souriant à l'idée de cette échappée commune salvatrice.

Trois arrêts plus tard, nous nous séparâmes sur le même quai.

A chaque fois, je me disais qu'avec un peu plus de hardiesse, je pourrais adresser la parole à l'une de ces rencontres métropolitaines éphémères.
Mais à chaque fois c'est la même chose, on se toise, puis on se sépare, avec néanmoins en tête l'idée d'un beau petit moment qui nous tire un sourire ingénu et imbécile au coin des lèvres en sortant de la bouche de métro.

Il y a deux ans, alors que je sortais de la bibliothèque du lieu dans lequel j'effectuais mon stage, un jeune homme me rattrapa dans le couloir. Il avait dû marcher très rapidement, car quand j'étais partie, personne ne me suivait, et j'étais quasiment sortie du bâtiment quand il m'arrêta.

- Mademoiselle?
- Oui? [Merde. J'ai encore oublié ma carte de photocopie sur ma table].
- Excusez-moi je voulais juste vous dire... enfin je voulais juste vous dire que voilà vous êtes entrée dans la pièce et je vous ai trouvée magnifique.
Interdite devant cette déclaration, je restais muette.
Le jeune appariteur était tout embarrassé - on l'aurait été tout autant dans ce genre de situation.
- Ha euh... merci.
Que voulez-vous répondre?
- Non mais vraiment enfin c'était comme une apparition [Sainte Bernadette Soubirous priez pour nous].
- Heu ben merci [c'est tout naturel].
- Du coup je me demandais si ça vous disait d'aller prendre un verre un de ces jours après le boulot?
Et là je sais ce que vous pensez très fort : c'est comme dans un film, coup de foudre dans un couloir, ils vont prendre un verre, ne se quittent plus se marient et font beaucoup d'enfants.
Sauf que dans un film c'est Matthew Mac Conaughey qui flashe sur vous.
Il me faut répondre. Evaluation rapide de la situation. Pros : il est très gentil, et vient de me sortir un des plus jolis compliments qu'on m'ait fait. Et il est bougrement courageux. Cons : il n'est franchement pas attirant.
- Heu en fait, j'ai quelqu'un et...
Oui je sais, c'est naze. Absolument naze, et lâche, et nul.
Que voulez-vous, je suis faible parfois.
- Ha mais je comprends. Je me disais bien, une fille comme vous ne pouvait pas être célibataire [Vous ne pourriez pas mettre ça par écrit, et l'afficher en 3x2m sur les murs de la capitale?]. Vous êtes tellement belle...
Waow. Je commençais à être réellement prise de remords, et étais à deux doigts de lui proposer un verre, pour la bravoure dont il venait de faire preuve et le fix d'ego qu'il venait de m'offrir.
- Hehe - rire idiot et gêné, merci, en tout cas je tenais à vous dire, je suis très touchée, c'est très... chevaleresque ce que vous venez de faire. Vous m'avez ensoleillé ma journée, vraiment.
- Ben c'était normal, je devais vous le dire. On se recroisera sûrement si vous travaillez ici en ce moment.
- Oui, sûrement!

De fait, on s'était recroisés plusieurs fois jusqu'à ce que je quitte ce stage.
Il y a quelques mois, je suis retombée sur lui par hasard, dans ce bâtiment gigantesque.
Seuls, dans le même ascenseur.
Manifestement, il ne m'avait pas oubliée, et m'adressa un sourire et un bonjour gêné.

Qui oserait faire ça aujourd'hui?
Allez arrêter un inconnu qui a fait tomber la foudre sur vous, ou ne causerait ne serait-ce qu'un petit court-circuit dans votre circulation sanguine? Qui jouerait la carte de l'électron libre, du choc cardiaque, de la particule élémentaire?

Un autre individu l'avait fait de façon beaucoup moins rose bonbon un soir, à la sortie de ma station. Il m'avait abordée de façon assez drôle dans le métro, et j'avais commencé à discuter avec lui de la salubrité des chambres de bonnes à Paris.
- Et donc toi tu habites aussi une chambre de bonne dans le quartier?
- Oui, un peu plus bas...
- Ouais c'est trop la galère de vivre là-dedans!
- Ca va, je n'ai pas à me plaindre, elle est assez cool.
- Mais t'es vers où en fait?
- Sur les quais.
- Ha ouais carrément, genre t'a la vue sur...
- ... oui. C'est assez sympa.
- Cool! Moi je suis plus loin, j'ai une vue toute pourrie.
Nous arrivions devant mon immeuble.
- Attends, dans deux minutes tu vas me dire qu'en fait on habite le même immeuble?
- Non moi en fait j'habite de l'autre côté.
- Ah... Mais euh, c'est pas le bon chemin là pour rentrer chez toi.
- Non je sais, mais je pensais que tu pourrais peut-être me montrer ton appart, j'aimerais bien voir comment c'est disposé ça a l'air sympa.
- Tu me prends pour une débile? [Tu t'es soudainement découvert une vocation de Valérie Damidot?]
- Non mais promis, je veux juste voir et après je repars.
- Oui, bien sûr. [Et la marmotte elle met le chocolat...]
- Promis, je regarde, cinq minutes, et je pars.
- Non.
Et là, il tenta une approche fulgurante aux fins de m'asphyxier de sa face.
Après l'avoir esquivé, je fis rapidement mon code pour rentrer. Il me prit par le bras.
- Non mais on peut parler non?
- [Hum avec ta langue dans mon larynx je crois que ce sera difficile]. Non merci je rentre.
- Allez, je veux juste voir cinq minutes, et après je pars.
- [Cinq minutes? Arrêtes tu me fais rêver là, et si je te file playboy dans l'ascenseur, tu me le fais en deux?]. Allez casse-toi, je rentre.
- Je connais même pas ton prénom!
- Et ben moi non plus, comme ça on est quitte.
Alors que je refermais la porte, il y coinça son pied et tenta de passer sa tête.
Et là je commençais quand même à flipper un chouïa.
Je repoussai finalement vigoureusement son visage, écrasant son pied au passage, pour pouvoir enfin refermer la lourde porte sur l'importun.
Je devrais écouter ma mère parfois quand elle me dit de ne pas parler aux inconnus.

Peut-être que moult belles histoires ne naissent pas à cause de ce manque de courage.
Et puis demander l'heure, c'est tellement surfait.

Une de mes amies s'était faite draguer de façon a priori maladroite, mais que je trouvais fort attendrissante un jour :
- Vous avez du feu?
- Non je ne fûme pas désolée...
- Ouf tant mieux, moi non plus!
C'était une façon pour le moins involontairement détournée, et que je trouvais par conséquent décalée et touchante, d'utiliser cette approche qui avait fait son temps.

D'autant plus qu'aujourd'hui, elle ne peut s'utiliser qu'en extérieur.
Les tendanceurs lui ont d'ailleurs trouvé un nom : le smirting, contraction de smoke et flirting. Car les tendanceurs aiment bien contracter des mots anglo-saxons pour créer une nouvelle tendance. En somme, ils vivent parfois en autarcie d'abstractions absconses. Créer un nouveau mot, ça donne l'impression qu'on a crée un nouveau concept, alors qu'il existait déjà souvent depuis longtemps.

Comme le fooding, contraction de food et feeling, censé caractériser la désacralisation de la gastronomie. A l'Ouest, rien de nouveau. Prenez vos fonds de frigidaires. Tentez une nouvelle recettte improbable à base de restes. Vous faites du fooding. C'est beau, non? Quand vous préparez une salade avec tout ce qui vous tombe sous la main et qui menace de passer la date de péremption quatre jours plus tard, vous le faites de façon décomplexée et créative. Donc vous faite du fooding. Tout de suite, votre tuperware devient beaucoup plus tendance.

Mais je m'égare.
Le smirting, c'est donc le fait de draguer à l'extérieur, puisque l'on doit désormais fumer à l'extérieur des lieux publics. Que l'on pourra éventuellement coupler à la technique du rapprochement vers le radiateur de terrasse, en cas d'hiver un peu rude, et du partage de parapluie, en cas d'automne un peu trop pluvieux (et de fumeurs endurcis).

Après tout, c'est peut-être mieux que ces petits moments restent dans l'éphémère, le passage éclair, pour que l'on puisse les fixer sur ces Polaroïds d'instants de grâce, un peu flous parfois, pris de façon maladroite et mal cadrés, mais sur lequel pourront se fixer nos jolis souvenirs idéalisés.

Je m'apprêtais à descendre les escaliers, et me retournai une dernière fois sur l'inconnu en chemise blanche. Il s'apprêtait à monter les siens, et s'était également retourné. Nous échangeâmes un dernier sourire, mi-gênés, mi-amusés. La nuit était douce et mielleuse.

2 commentaires:

  1. Alors, l'approche du quelconqu'inconnu, chapeau. Vraiment couillu le garçon. Dommage qu'il ait un peu manqué de réparti.

    C'est vrai que c'est bon les fix d'égo...

    Frfr

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