lundi 7 mars 2011

Le baiser


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Kiss me, out of the bearded barley

Nightly, beside the green, green grass...



"Avant le crépuscule dominical, je vous écrirai un baiser, le tout premier, le fatal.

Celui que je n'ai jamais osé vous voler.

Celui qui hante mes songes à chaque fois que je m'endors, chaque nuit, un peu plus encore.

Celui qui s'arrête chaque soir à la frontière du Vatican, retenue papale, celui qui me glace quand, hésitante, je m'approche peut-être un peu trop pour vos manières cléricales.


Avant que la nuit ne bleuisse je vous écrirai un baiser, celui que vous n'avez pas voulu me donner.

Celui que je suis venue chercher, poliment, au pied de votre demeure, sobre gouvernante de vos changeantes humeurs

Le doux, le délicat, l'exquis qui se bat, à chaque minute plus vaillant, pour obtenir de vous cet abandonnement.


Avant que la sorgue noire ne nous envahisse, je vous écrirai un baiser.

Celui que nous attendions pendant tant d'années.

Celui qui nous tournait autour, sans jamais oser se poser.

Celui que j'ai cru voir sortir de votre pochette, un soir en cachette, celui qui mouche et crochette pour s'en retourner trop sagement, timide silhouette.


Avant les balbutiements de l'aube, je vous écrirai un baiser, celui que l'on s'est accordé sans atours.

Comme une parenthèse enchantée, un présent en contre-jour,

Alors que nous n'étions plus grimés, alors que je partais de chez vous,

Sur le pas de la porte vous m'avez fait escorte jusqu'à ce que votre regard m'exhorte et que je m'emporte.

Nous n'y reviendrions plus, c'était chose acquise, mais chaque fois aujourd'hui brille ma pupille à votre regard qui me fusille, je grésille, puis m'éparpille.


Avant que le soleil ne se lève, je vous écrirai un baiser, celui que je vous avais refusé.

Car je le savais vil traître, dague impétueuse qui se planterait à jamais en votre for intérieur et vous laisserait tel un animal blessé ayant soif de plus, déloyal angélus, alors que j'étais déjà loin, bien loin de vous sans velléité de retour.


Avant que Phœbus ne s'élève au plus haut, je vous écriraiun baiser, celui que je ne voulais pas vous donner.

Celui que l'on demande pas, que l'on ne quémande pas, celui que l'on amende, celui du galapiat en contrebande.

Celui de l'enfant de la balle à qui on ne sait pas dire non, ce qui vous plaque, animal, vous laissant brulée à vif aux tisons.


Avant le crépuscule dominical je vous écrirai un baiser, le tout premier, le fatal.


Pendant ces infimes secondes qui nous sembleront des heures, incarnant la théorie du chaos, instable sensibilité vers un point de non-retour, pèsera sur nos épaules le poids de l'Histoire qui se renouvelle, perpétuelle et unique à la fois, prête à nous faire basculer, vers ce qui ne sera plus, vers ce qui est déjà.


Je serai si proche de vous, un millième de pouce nous séparant alors, que je pourrai sentir déjà votre souffle au plus profond de mon corps.


C'est peut-être pour ce moment que je vis depuis si longtemps, pour cette imperceptible et si considérable inspiration, pour cet entre-deux, pour ce pont.

Pour que le temps s'arrête, et que vous ne repartiez plus jamais, car à instant vous êtes une symphonie fantastique, un moment parfait.


Et comme Doisneau nous oublierons la ville qui court trop vite, comme Rodin nous serons seuls, féroces, accrochés à notre roche, comme Klimt nos ne ferons plus qu'un, comme Picasso ma bouche sera mes yeux et mon cœur votre main.


Je toucherai enfin à cet instant déjà perdu, à cet aperçu de l'absolu.

Une suspension de temps et d'univers, une pause, un soupir,

Un coeur qui accélère, des pupilles qui se dilatent, un ventre qui se resserre et, sous le verre, le mercure qui éclate.


Et nous nous laisserons, interdits et stupéfaits de notre sage audace, de notre impudence magnifique,

Repus et faméliques, soûls et extatiques.



Cette nuit, je vous ai écrit, mais vous êtes déjà parti".