dimanche 23 janvier 2011

Augustin et Oriane : les golfes clairs

Deuxième spin off du conte de fées du mois dernier.



La fumée avait envahi toute la pièce.
Mais Augustin ne bougerait pas.
Il aimait profiter de ce brouillard moite propice à des réflexions abstruses sur son devenir immédiat.
Où allait-il dîner ce soir. Quelle serait sa prochaine destination de week-end avec sa fiancée.
Des pensées éthérées et vaporeuses qui l'emmitouflaient agréablement en ce début de soirée.

Enfin il pouvait se soustraire à sa vie d'infant pressé et sollicité.

A l'extérieur, l'attendait son valet.

Ce soir, il devrait encore parader pour un de ces galas qui ponctuaient sa vie publique.

Augustin, comme tous ces jeunes princes des monarchies modernes, devait composer tous les jours avec cette destinée qu'il n'avait pas choisie, mais qu'il avait toujours connue. Dans la chambre dormait Isabella, héritière d'un constructeur automobile italien. Isabella était parfaite. D'une beauté rare et gracieuse, elle savait se montrer discrète ou s'illustrer dans les conversations du monde. Et puis, elle plaisait beaucoup à sa mère. Sans doute l'aimait-il, du moins il s'en était toujours convaincu. Quand il l'avait rencontrée, cela avait été le coup de foudre, bête, immédiat. Elle l'impressionnait par ses connaissances en géopolitique. Hâbleur, il avait réussi à la déstabiliser, elle qui ne s'en laissait pas conter. Tout était parfait. Elle était parfaite. Le couple était splendidement télégénique. Augustin était un homme heureux.

Enveloppé de cette tiédeur molletonnée, il remit son peignoir et sortit pour se diriger vers le jacuzzi mais manqua de recevoir la porte de plein fouet. Une créature extra-terrestre venait d'en sortir. Extra-terrestre, car elle ne ressemblait en aucun point à tout ce qu'il avait pu rencontrer de féminin auparavant. Ses yeux semblaient améthyste et ses cheveux reflétaient un or rose incroyable.

- Bon... bonjour, excusez-moi...

La jeune femme porta sa main à sa bouche en guise d'excuse gênée et s'approcha de lui comme pour s'assurer qu'elle ne l'avait pas heurté.

- Tout va bien pas de problème, ne vous en faites pas, je me suis reculé à temps.

Elle hocha la tête rassurée.

- Vous ne parlez pas français?

- Je... désolée...

- Vous ne parlez pas du tout?

Augustin ne savait que faire. Sans savoir pourquoi il lui proposa de la raccompagner à la sortie du spa. Elle ne semblait pas comprendre plus, alors après un ou deux gestes, il fit chemin avec elle jusqu'à la sortie de la salle où une amie l'attendait.

- Ah je te cherchais! Tout va bien Monsieur?
- Oui oui, votre amie est étrangère?
- Elle est sourde. Elle parle, mais avec difficulté. Elle ne vous a pas causé de souci?
- Non, non pas du tout pourquoi?
- Elle n'est pas d'ici, alors elle a parfois des comportements, dirons-nous, qui sortent de l'ordinaire.
- Effectivement, elle n'est pas très ordinaire...
- Allez viens Oriane, il est temps de rentrer.
- Ecoutez, il y a un gala ce soir à l'hôtel, ça vous dirait de venir?
- Je ne sais pas, elle n'est pas très habituée à ces mondanités...
- Vous verrez ce sera très bien, essayez de passer je vous invite. J'y croise toujours les mêmes personnes à qui je n'ai parfois rien à raconter, j'ai envie de voir des gens différents ce soir.
- Nous verrons...


Mais le soir venu, elles ne vinrent pas.
Augustin les chercha des yeux pendant toute la soirée, forçant l'impatience de sa compagne.
Il fit ce pourquoi il était là : il sourit, il rit, il conversa. Il donna de la voix, parfois vive et enthousiaste, parfois apaisante, il donna de ses yeux, parfois langoureux et désirables, parfois porteurs de toute cette compassion qui était intrinsèque à son rôle de prince des cœurs. Il charmait le pauvre et le riche, le serpent et l’agneau, le loup et l’enfant.
Mais il était absent.

Le lendemain, il recroisa Oriane, de nouveau en peignoir, sur le chemin du golf, avec son amie.

- Vous semblez passer votre vie au jacuzzi chère amie.
- Je... c'est pour ma santé...
- Oh, d'accord pardon... si vous le souhaitez, je serai au bar de l'hôtel ce soir avec des amis, nous pourrions y discuter avec votre amie.
- Bar?... Peut-être...
- Vous fuyez de nouveau, c'est regrettable de ne faire que vous croiser...

Oriane fit quelques signes à son amie.
- Que dit-elle?
- Qu'elle espère qu'elle ne s'exprime pas trop mal.

Oriane avait un accent charmant.
Cet accent qui donne du relief aux yeux clairs et aux peaux diaphanes.
Cet accent qui fait délicieusement contracter les lèvres pour faire ressortir des sons mutins.

Augustin lui dit tout cela.
Et il le pensait, sincèrement.
C'est tout l'attrait des vrais séducteurs, que de savoir dire honnêtement à une femme qu'elle leur plaît, sans aucun détour ou sans peur de l'emphase audacieuse.

- Elle rit, pourquoi?
- Elle dit que vous parlez, vous parlez, vous ne savez faire que parler, vous faites des grands gestes, elle trouve ça drôle.
- Dites-lui qu'il n'y a rien de drôle dans son charme. Que sa simplicité me touche.
Oriane sourit à la vue de la traduction.
- Elle dit que vous avez des yeux qui parlent à votre place, que tout votre corps parle, mais qu'il faut que vous la regardiez en face sinon elle ne peut pas lire sur vos lèvres.

Là était le paradoxe. Augustin, qui n'avait jamais eu peur de regarder une femme dans les yeux, se trouvait démuni de verbe dès qu'il la fixait plus de cinq secondes. Il en redevenait presque dyslexique, le retranchant dans ses comportements de petit garçon sage et timide qu'il avait été des années auparavant.

- Qu'elle m'excuse de cette question un peu naïve, mais elle a toujours été sourde?
Augustin fit un effort pour se faire comprendre et articula consciencieusement chaque syllabe.
- Elle dit qu'elle est sourde mais pas stupide, vous n'êtes pas obligé de parler comme si elle était simple d'esprit.
- Désolée je...
- Elle dit que ce n'est pas grave, qu'elle a l'habitude. Oriane était étudiante en philosophie chez elle, elle est loin d'être idiote. Souvent, les gens sont plus prévenants avec elle, plus patients, mais ce n'est pas parce qu'elle ne peut pas vous entendre correctement qu'il faut la ménager. Elle a été chassée de son royaume par une sorcière qui l'a aidée à découvrir le monde terrestre, mais l'a empêchée de revenir à tout jamais.
- Ca me rappelle quelque chose cette histoire, elle est pas censée se marier un prince dans l'histoire?
- Elle dit que vous avez trop lu de contes de fées. On lui a juste confisqué ses papiers et elle ne sait pas comment rentrer.
- Je connais des gens. Je peux l'aider.
- Elle dit que vous devez accepter de ne pas être entendu de tous. Que malgré vos bonnes manières et votre connaissance du discours, personne ne voudra vous écouter, qu'il y a des choses que vous devez accepter ne pas savoir maîtriser.
- Je suis un peu indiscret, mais ses problèmes de santé, c'est grave?

Oriane fit non de la tête et reprit la parole.
- Non, mais j'ai besoin de prendre bain. Tous les jours.
- Comme dirait Mac Mahon, "Que d'eau, que d'eau!"
- Elle dit qu'elle ne comprend pas votre humour.
- Oui pardon, j'imagine que... c'était déplacé...
- Il est temps que nous y allions, bonne journée Monsieur.


Rien ne semblait attiser l'intérêt d'Oriane.
Augustin voulait aller plus loin. Il n'aimait pas l'échec.
Pour autant, et contrairement à ses habitude, il ne voulait pas la conquérir par jeu.
Il ne voulait pas la conquérir tout court.
En réalité, c'était lui qui était conquis depuis le début, sans qu'il ne sache vraiment pourquoi.

Elle ne s'exprimait qu'avec difficulté, mais une lucidité fulgurante couvait sous ses silences qui le désarmaient.
Elle portait dans ses yeux et dans ses mains qui parlaient avec une rapidité phénoménale toutes les contradictions de ce pays d'origine dont il ignorait tout, ce royaume qu'elle ne voulait lui dévoiler.
Elle ne correspondait en rien à ce qu'il pensait rechercher, elle aurait du mal à s'adapter, elle était un peu originale, et pourtant il lui semblait que c'était elle dont il avait vraiment besoin.
Que son équilibre pourrait être dans le déséquilibre de cette nymphe venue d'ailleurs.


Alors il se ravisa, se changea et retourna au spa.
Il pouvait entendre Oriane chanter de son bain, l'attirant encore plus vivement vers elle.
Quand il ouvrit la porte du jacuzzi, elle le regarda effrayée.
Et d'un regard, Augustin comprit son monde de silence.
Ses petites et fines jambes étaient devenues une incroyable nageoire aux écailles moirées.
Tout avait un sens.

Loreleï qui l'attira à sa perdition elle était, il en ferait son Ondine sans laquelle il lui serait désormais impossible de respirer.