vendredi 31 décembre 2010

Lovers in Japan : Pierrick et Hifumi.

Dans le billet précédent, vous avez pu croiser certains personnages qui méritaient que l'on s'y attarde un peu plus. Leurs mini-histoires vous accompagneront donc jusqu'en 2011.


Pierrick était un hobbit timide.

Non que les hobbits soient particulièrement farouches de nature, ils seraient même plutôt festifs. Mais Pierrick était un peu différent. Toujours en retrait.


Déjà peu expansif lorsqu'il était hobbit chez les hobbits, il était devenu d'autant plus discret lorsqu'il était devenu jeune actif parmi les Grandes Gens. La population masculine, devenue glabre avait gagné quelques centimètres. Pierrick était petit et capillairement généreux. Il s’était même laissé pousser la barbe, chose qui était peu commune chez les siens.

Etait-ce son allure pouparde ou ses yeux de corniaud battu cachés derrière d’immenses lunettes d’un autre âge, sa petite bouche perdue dans sa jeune barbe en friche ou ses mains charnues qui ne trouvaient jamais où se ranger, Pierrick était naturellement attachant malgré son caractère sauvage, si bien qu’il était tout simplement impossible de ne pas s’adoucir lorsque l’on devait s’adresser à lui.


Il passait ses journées à coder des lignes sibyllines au commun des mortels. Un langage que seuls les gens de son espèce pouvaient comprendre. La nuit, il lisait, énormément. Et depuis quelques mois, il s'était pris à écrire les histoires qu'on ne voulait pas lui raconter. Des romans à mi-chemin entre l'heroic fantasy et les comédies romantiques. Des amours impossibles entre sirènes et centaures, trolls et fées. Un jour ses scenarii se réaliseraient, il voulait y croire.


Le jour où il rencontra Hifumi, il prenait un train de banlieue bien réel. Ce train qui déposait ingénieurs et jeunes cadres dans une Silicon valley gaulloise, et, plus loin, les touristes avides d'Histoire française.


Elle était assise face à lui et riait avec son amie.


Il avait croisé beaucoup de jeunes femmes asiatiques sur ce trajet. Mais aucune d'entre elles n'avait cette lumière si particulière. L'empire du soleil n'avait jamais aussi bien porté son nom.


Cependant Pierrick était un garçon timide, terriblement timide.


Heureusement pour lui, Hifumi et son amie étaient un peu perdues, et elle lui demanda quel trajet prendre pour la ville.

Prenant un peu d’assurance de par sa nouvelle qualité de guide touristique, il lui indiqua le trajet le plus adéquat, puis lui conseilla certains endroits à voir.

Hifumi souriait.
Pierrick pouvait deviner des mains adorables sous ses gants minuscules.

Il est une chose surprenante que l’on constate aujourd’hui régulièrement l’attrait des jeune hommes férus d’informatique et de mondes imaginaires pour les frêles Asiates. Etait-ce l’influence de ces recueils illustrés japonais, nul ne le savait, mais on pouvait croiser fréquemment ces couples au hasard des rues.

- C’est quoi votre prénom ?
- Hifumi.
- Hifumi… comme le jeu ?
- Le jeu ?
- Le jeu Pierre-feuille-ciseaux. Certains disent que Cela viendrait du japonais hi-fu-mi, un-deux-trois, en français on dit Chifoumi. Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’il existe des variantes intéressantes, à cinq ou six composantes, et que ce jeu est une illustration économique notable du théorème fondamental de Von Neumann sur… peu importe ça ne va pas vous intéresser.


- Vous êtes drôle.

Pierrick savait qu’il ennuyait parfois son entourage avec ses références nébuleuses, et ses explications que personne ne voulait connaître. Mais Hifumi, cela la faisait rire.

- Vous ressemblez à la Princesse Nidrysse dans le Royaume des Hippocampes.

Elle n’avait manifestement pas saisi que la comparaison était flatteuse, mais semblait amusée.

- Vous savez qu’elle a le pouvoir de l’eau. C’est la plus douce des quatre filles du roi Ankar, celle qui guidera les chevaliers errants à travers le monde des Merodéens jusqu’à la grotte du Dieu Röth, gardien des huit coffres sacrés...

Une fois encore, Pierrick comprit qu’il devait peut-être s’arrêter là dans ses développements.

Il fut de toute façon interrompu par l’arrivée à la station de Hifumi.

Ils devaient se séparer là.


Pris d’un courage inédit, il lui demanda son adresse e-mail, pour garder au contact, au cas où il irait à Osaka un jour.


Il se montra patient, se retînt de la contacter trop rapidement, puis lui écrivit, quelques semaines plus tard.

Elle lui répondit.

Pendant des mois, ils s’échangèrent e-mails, morceaux de musique, références de cinéma d’art et d’essai, jusqu’à ce qu’elle l’invite à le rejoindre pendant une semaine.

Là où le soleil se lèverait, tous les jours désormais.

mercredi 29 décembre 2010

« I KNOW WHAT A PRINCE AND LOVER OUGHT TO BE »


Spin Doctors - Two Princes

"Avant eux l'homme était un prince
La femme une princesse, l'amour une province
Mais ils sont arrivés, le prince est un mendiant
La province se meurt, la princesse se vend
Car ils ont inventé l'amour qui est un péché
L'amour qui est une affaire, le marché aux pucelles
Le droit de courte-cuisse et les mères maquerelles
Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
"

Les singes, Jacques Brel.


Il était une fois une très belle princesse.
Une de ces princesses pour qui colibris, pinsons et rouges-gorges chantaient de concert chaque matin que Dieu faisait pour lui rendre le réveil plus agréable.
Une de ces princesses aux traits délicats et à la voix angélique.
Une de ces princesses dont le charme n’avait d’égal que la douceur de ses paroles.


« J’ai sooooooooooooooooooooif !!!!!!»


Aimée, les cheveux en pagaille et la couronne chancelante, venait d’entrer dans la cuisine, la démarche tanguante.


Le personnel s’activa alors pour lui servir sa boisson préférée au réveil, une vodka-chicorée.



La destinée d’Aimée avait basculé alors qu’elle sortait à peine de l’adolescence, à l’âge où la tradition aurait voulu qu’une marâtre aigrie et jalouse l’enfermât dans un dongeon cruel.


Lorsqu’elle n’était encore qu’un frêle poupon, sept fées s’étaient penchées sur le berceau de la belle Aimée de la Maison du Vin, certaines bienfaisantes, d’autres plus néfastes.


La première des fées, Licité, lui assura un bonheur à vie.
Conde lui fit le don d’une imagination débordante.
Rybôte lui offrit le goût du voyage.
Minine fit en sorte qu’elle sache toujours mettre sa beauté en valeur.


Mais il fallait également compter parmi les fées Brile, qui décida qu’Aimée serait un peu lunatique. Rocité qui la fit hargneuse. Enfin, Tiche la rendit avide de toutes les nouveautés qui seraient à la mode selon Fairypolitan.


Cela n’avait pas fait d’Aimée une enfant facile.
Elle pouvait se montrer parfois douce, parfois capricieuse.


La veille de ses quinze ans, jour qui, elle l’ignorait, devait être synonyme de son enfermement pour plusieurs années, elle partit se balader dans la forêt, malgré l’interdiction qui lui en avait été faite.


Les fées, qui ne pouvaient l’empêcher de n’en faire qu’à sa tête, décidèrent de l’accompagner.


Au hasard d’une clairière, elle y fit la connaissance de sept nains.
Le nain Submersible, dont on disait qu’il pouvait boire des litres entiers d’eau de baies des bois sans jamais vaciller,
L’Oursin, le plus radin,
Moi-je, le plus orgueilleux, et son ami Toi-tu, le plus envieux,
Le nain rockuptible, le plus débauché.
Le magicien, adepte du bonto et des tours de passe-passe,
Et enfin Passe-partout, qui avait été recueilli après un licenciement économique subi en Charente-Maritime.


Tout ce petit monde batifola dans une fête des plus perlées et pailletées, une de ces fêtes que l’on appelait à la clairière les « sequine parties ».


Le lendemain matin, il ne restait plus des cris et des clameurs que le silence de l’aurore apaisée de ces excès.


Les fées, quelque peu groggies des festivités de la veille, se mirent en quête de la belle Aimée, et s’inquiétèrent de ne point la voir.


C’est dans un amas de coussins et autres polochons qu’elles la retrouvèrent finalement endormie.


Malgré tous leurs efforts, impossible de la réveiller.


Elles la ramenèrent alors au Palais.


Le père d’Aimée fit immédiatement venir le druide Cymesse.
Le diagnostic fut immédiat.
« Votre fille a voulu jouer à Hippocrate sans en connaître les règles. Les analyses sont formelles, on lui a probablement fait ingurgiter un cocktail de Goyave-Harissa-Banane pour pouvoir mieux profiter d’elle. Elle est plongée dans un profond sommeil il n’y a plus qu’à attendre ».


« Et le baiser d’un Prince ?»


« Vous pouvez toujours essayer, mais l’OMS le déconseille aujourd’hui, trop de risques de transmission de virus».


Le père d’Aimée fit néanmoins venir tous les Princes du royaume.
Aucun ne parvint à la sortir de sa narcose profonde.


Ce qui ressemblait à un ange blanc se présenta un matin, prétendant pouvoir la réveiller.
Dans un premier temps circonspect, le père de la princesse se résolut finalement à laisser le jeune homme tenter sa chance.


Il sortir de son sac à dos ce qui ressemblait à deux fers à repasser, et les apposa sur la princesse.
- Un, deux, trois, on recule !
Aimée sursauta.
- Un, deux, trois, on recule !
Nouveau sursaut. Cette fois, la princesse ouvrait les yeux.


- Mon Dieu, est-ce vous mon prince ? Vous m’avez embrassée ?
- Ah non, ça c’est un défibrillateur, plus efficace. Faites lui 100 mg d’adré, NFS, chimie, iono, gaz des sangs et une recherche de toxiques. Rapportez un flacon de plasma et du O neg, y a pas de plaie apparente mais on sait jamais ce qui a pu se passer dans ce quartier chaud du royaume.
- Quel est votre nom ?
- Michel Berger. Enfin, Docteur Shepherd pour les américains.
- Vous êtes mon prince alors ?
- Non, juste l’urgentiste de garde. Bon j’y vais j’ai d’autres gamins à sortir de leurs comas éthyliques. Vous la ferez voir un psy, je pense qu’elle est traumatisée.


Contre toutes attentes, et surtout celles de sa belle-mère, Aimée revenait donc à la vie.


Mais en se dévergondant avec les fées, elle avait perdu le bénéfice de leur protection.
Ses parents en étaient bien conscients, qui savaient combien il était difficile de recaser une princesse d’occasion.


C’était donc seule à présent qu’elle devait affronter la vie.


Son père voulait qu’elle s’inscrive à la Faculté et qu’elle se trouve un prétendant, tandis qu’elle ne rêvait que de chanter toute la journée.


Il décida de la laisser vivre sa jeunesse, la couvrant de cadeaux, lui offrant les plus grands palaces.


Lâchée par ses bonnes fées, elle se faisait sa propre éducation au gré de rencontres plus au moins heureuses.



Elle passait son temps dans les soirées de la jeunesse dorée, emportée par les poudres magiques que les marchands de passage lui offraient.


Alors qu’elle approchait de ses trente ans, ses préoccupations commencèrent à se rapprocher de celles de son père.


Elle regarda son fidèle ami le miroir.
« Miroir bon beau miroir, dis moi qui est la plus belle ? »
« Je ne sais pas qui est la plus belle, mais je sais qu’il serait temps que vous mettiez de l’anticernes et que vous m’arrachiez ce vilain cheveu blanc ».
« Un cheveu blanc ?»
« Et Scarlett Johansson, pour votre autre question ».


Elle se rendait compte qu’elle venait d’un milieu dans lequel il était de bon ton de se marier jeune, et que si elle laissait trop de temps passer, plus aucun prince ne serait disponible sur le marché du gotha.


Peut-être était-il temps qu’elle se trouve un Adonis.


Elle s’inscrivit alors sur adopteunprince.com
Mais il n’y avait là que des princes de passages qui n’en voulaient qu’à son royal séant.


Elle alla au Bal des Princesses.
Mais elle comprit vite que bon nombre de roturiers s’étaient infiltrés dans la soirée.


Son père eut alors une idée ultime.
Les sujets du royaume avaient besoin de rêver, et l’économie d’être relancée à grands coups de vaisselle estampillée à l’effigie d’un nouveau couple royal.


Le roi accepta donc la proposition d’un lutin appelé Lomedne, d’inscrire Aimée à l’émission
« Qui veut épouser ma [vieille] fille ? ».


A grands renforts de tapage médiatique, toute la population se prit à suivre les aventures d’Aimée.


Elle y rencontra des champions olympiques, des héritiers, des hommes d’affaires, des politiques, des mollusques décérébrés.


L’émission fut ponctuée des scandales habituels qui sont l’apanage de la vie d’une princesse moderne. Couvertures de magazines osés, clichés compromettants, témoignages d’anciennes conquêtes, réclames douteuses pour des yaourts bulgares.


A deux semaines de la fin de l’émission, il restait plus que quatre prétendants : Augustin, Paul-Anders, Pierrick et Clémentine.


« Clémentine ? »
« Oui ma chérie, c'est une sirène. N’oublie pas que le royaume a besoin du soutien de la LGBT aujourd’hui plus que jamais ».
La LGBT. L’association des lutins, griffons, bigfoot et transcréatures (tels que les sirènes, licornes et loups garous…).
Aimée devait aussi faire avec les diktats télévisuels en matière de quotas.


« Et qu’as tu fait de Justin le Berbère? »
« Ma chérie je t’ai déjà dit qu’il était hors de question que tu épouse un intermittent, tout prince de la pop soit-il. Tu nous as ramenés suffisamment de photographes, saltimbanques et autres bardes et pour que nous soyons convaincus qu’ils n’étaient pas ton avenir et n’en voulaient qu’à ta fortune».


Des prétendants restants, Paul-Anders était sans aucun doute le plus fort.
Héritier suédois d’une grande fabrique de meubles en bois, il passait ses journées à pratiquer la lutte quand il ne coupait pas du bois. Son seul point faible est qu’il était extrêmement taciturne.
Ce qui lui donnait certes un air mystérieux, mais mettait dans l’embarras Aimée qui ne parvenait à le sonder.


Il ne parlait que de deux choses : la lutte, et le bois.
Quand Aimée lui racontait son enfance, il lui parla de sa première hache.
Quand il dut choisir une sortie, il l’emmena voir une scierie.
Il n’avait rien contre elle, mais il avait autre chose à faire et se demandait un peu ce qu’il faisait là.


Augustin était le candidat préféré du Roi.
Prétendant télévisuel idéal, il était suffisamment beau de sa personne, spirituel et drôle pour séduire les téléspectatrices qui suivaient l'émission, avec cette part calculée d’anciennes amours contrariées qui lui donnait juste ce qu'il fallait d'humanité pour qu'il ne soit pas qu'un personnage de carton pâte.


C’était le plus poli des princes, et toutes les grands-mères du royaume l’avaient déjà adopté comme futur Prince consort.


Fraichement sorti d'une école de commerce renommée, il passait une partie de ses nuits dans les lieux branchés des capitales du monde, l'autre partie étant consacrée aux jeunes femmes qu'il ramenait dans sa chambre d'hôtel. Du moins c'est ce qu'il se plaisait à raconter.
A l’occasion, il tuait quelques dragons, de part et d’autres du globe.


Des nombreux dons dont l’avaient gratifié les fées à sa naissance, il avait la chance d’avoir assez de quatre heures de sommeil par nuit pout être frais et dispos, ce qui lui donnait l’assurance de pouvoir déjeuner en famille le dimanche midi avec une répartie impeccable.


Il emmena Aimée dans le club où il avait été DJ résident.
Les DJ, ces nouveaux papes de la coolitude citadine, électro boys perchés sur leurs estrades nocturnes, inaccessibles apollons des platines.


Aimée dansa une bonne partie de la nuit, non mécontente d’être la seule à figurer à ses côtés. Puis elle commença à s’ennuyer. Pavanant en jouant de ses disques, il était quelque peu absent.


Vers quatre heures, ils s’éclipsèrent.
Selon Augustin, c’était l’heure à laquelle il fallait rentrer. Après, il ne se passait plus rien d’intéressant.


Il héla un taxi.


D’ordinaire, Aimée aurait probablement défait sa cravate sur la banquette arrière et aurait ouvert sa chemise avant de descendre du taxi. Mais ce soir là, elle était un peu trop ivre pour être entreprenante.


Augustin n’avait d’autre choix que de la raccompagner.


Il l’aida à trouver ses clés, et la laissa au majordome.


Le lendemain, face à sa vodka-chicorée, Aimée scrutait son téléphone.


« Sale connard!!! »
« Je vous en prie Votre Altesse, surveillez votre langage ! »
« Ton Altesse elle t’emmeeeeeeeeeerde ! Pas de texto, rien!»
« Votre Altesse, pour vous envoyer un texto, encore eût-il fallut qu’il ait votre numéro, or je doute que vous ayez été dans la capacité de… »
« Fils de pute !»
« Votre Altesse ! Dites fils de gourgandine ».


Le personnel avait pris l’habitude des écarts de langage d’Aimée, mais essayait néanmoins de la reprendre quotidiennement, tout en ayant conscience que c’était une cause perdue.




« Allez, reprenez-vous, vous devez être en forme pour votre troisième rendez-vous ».


Le soir venu, Aimée ne put cacher un sursaut de surprise à la vue de son prétendant.
Pierrick était un petit hobbit barbu à lunettes, féru d’informatique.
En quelques années, il avait construit un empire de serveurs http.
Plutôt discret et timide, il était très maladroit dès qu’il s’agissait d’aborder une jeune femme.


Aimée cacha une forme de dégoût lorsque la main moite de Pierrick s’empara de la sienne pour effleurer un baisemain.


Pierrick était probablement le plus gentil, le plus serviable de tous les prétendants.
Mais il ennuyait terriblement Aimée.
Pourtant, il bénéficiait de l’affection des téléspectateurs, qui suivaient ses maladresses et ses erreurs de débutant.


Aimée avait hâte que l’aventure se termine. Paul-Anders serait reparti couper du bois, Augustin tuer des dragons dans tous les pays du monde et Pierrick et ses pieds poilus auraient codé des programmes pour rendre le monde meilleur.


Il lui restait une soirée à passer avec les trois.
Elle n’avait d’autre choix que d’en choisir un, qui deviendrait son époux à l’issue d’une cérémonie télévisuelle suivie par des millions de téléspectateurs.


Elle les emmena sur une île du Pacifique.
Là où il n’y aurait pas de bois à couper, pas de disques à passer, pas de lignes à coder et aucun dragon à tuer.


La première demi-heure du dîner lui parut interminable.
Les trois prétendants, qui n’avaient rien en commun, étaient terriblement silencieux.


Et puis, l’alcool déliant les langues, Paul-Anders se montra plus prolixe, Augustin plus modeste et Pierrick plus sociable. Ce qui aurait pu être un combat de coqs tourna en réunion d’anciens combattants, décontenançant Aimée qui se sentait des plus exclue et quitta la table précipitamment.


« Qu’est-ce qu’elle a l’autre ? »
« Aucune idée. Bon, tu nous ressers ? »


Aimée se servit une triple vodka dans la cuisine et revient en furie, armée de sa bouteille.


« Je suis une princeeeeeeeesse! »
« Aimée, veuillez poser cette bouteille vous risquez de vous blesser » lança Augustin.
« Je m’en fous ! Vous êtes là pour me séduire ! Pour me faire la cour, pour me dire des poèmes, pour me chanter des chansons d’amour ! »
« Mais, belle Aimée, vous ne sembliez pas emportée cela nous a découragés, quoique nous fassions, ce n’est jamais assez bien pour vous, vous avez tous vu, tout entendu, rien ne vous surprend et ne peut vous couvrir de cadeaux puisque vous avez déjà tout »…


Aimée, le mascara dégoulinant le long de ses joues, pointa successivement sa bouteille sur chacun des princes.
« Toi, toi t’es un gros naze, tout ce que tu sais faire c’est couper du bois, t’as même pas remarqué que j’avais changé de coiffure, rien, aucun compliment ! Et toi, toi t’es bon à faire des beaux discours, mais dès qu’il s’agit de rappeler aaaaah y a plus personne hein ! Et toi mais merde sois un mec, prends toi en main et viens me rouler une putain de pelle si t’es un homme, fais moi rêver bordel ! ».


Les trois princes restèrent interdits face à tant de fureur.


« J’en ai marre de tout faire dans ce putain de royaume de merde ! Je veux un prince qui me trouve le seul escarpin Manolo Blahnik qui ira à mon pied, je veux qu’il m’écrive des sonnets tous les jours que Dieu fait, je veux qu’il m’envoie des pigeons voyageurs tous les soirs pour me prévenir de l’heure à laquelle il compte rentrer, je veux qu’il me dise que je suis plus belle que Scarlett Johansson, je suis Aimée, et je suis une princesse, merde ! ».


Aimée s’effondra en pleurs sur la première chaise qui s’offrit à elle.


Au loin, une silhouette s’avançait vers le groupe.


« Qui êtes-vous ? »
« La présentatrice, ta marraine. Je crois qu’il est temps que tout ce petit monde se mette à discuter ».


Et en quelques minutes, la paillotte se transforma en cercle d’épanchements d’amoureux anonymes. Les garçons racontèrent à Aimée qu’ils ne savaient plus comment se comporter avec les filles comme elles. Paul-Anders expliqua qu’il était plus inquiet de l’avenir économique de sa société de meubles en bois et des licenciements économiques à venir que de son statut sentimental. Augustin avoua que sous ses atours de beau-parleur, il était incapable de toute action intelligente dès qu’une jeune femme avec un peu de jugeote l’approchait. Quant à Pierrick, il impressionna l’assemblée par le recul qu’il avait sur les rapports humains, expliquant qu’il venait d’écrire un film sur le sujet.


Aimée raconta qu’elle aurait voulu ne jamais commencer à faire n’importe quoi.
Que tout ce qu’elle voulait, c’était se balader avec son prince en carospace (un carosse à sept places) avec deux griffons et un pull sur les épaules le dimanche.


La marraine revint vers Aimée.
« Si tu veux que toute cette mascarade prenne fin, il suffit que tu prononces trois fois le nom du lutin qui t’a emmenée ici, à l’envers. Et tout reprendra forme, comme si le jour de tes quinze ans tu n’étais jamais partie te promener.
Toutes ces couvertures de magazine disparaîtront, tu seras de nouveau la princesse la plus convoitée et tu auras retrouvé toute ta pureté ».


Aimée hésita quelques secondes, regardant le lutin Lomedne qui l’implorait de ne pas détruire tous ses investissements.


« Endemol, endemol, endemol… »


Aimée regarda la pièce. Rien n’avait changé.


« Je ne comprends pas. Vous êtes toujours là, je suis toujours là ».


« Cela veut dire que tu ne veux pas vraiment que les choses changent ».


Et à bien y réfléchir, c’était vrai.
Si Aimée regrettait parfois d’avoir fait un peu n’importe quoi, elle ne pouvait s’empêcher de penser que sa vie aurait été terriblement ennuyeuse si elle avait dû attendre, du haut de sa tour d’ivoire, qu’un prince vienne la délivrer pour faire d’elle une princesse au foyer désespérée.


Peut-être écarterait-elle quelques faux pas, mais elle ne regrettait aucune de ses erreurs de jeunesse.


Aimée laissa là ses prétendants et décida de partir en cure au Priory, près de Londres, pour se remettre les idées en place une bonne fois pour toutes.


Aux dernières nouvelles, on murmure qu’Augustin aurait épousé une sage et sobre professeur de philosophie, que Pierrick serait tombé sous le charme de l’actrice japonaise héroïne de son dernier long-métrage et que Paul se serait mis en ménage avec un designer suédois.


Quant à Aimée, devenue éditrice, elle s’est mariée avec un agent immobilier, spécialisé dans les manoirs ibériques. Lassée de le voir bâtir des châteaux en Espagne, elle a finalement divorcé, ce qui n’était que le début d’une longue listes de mariages, qui assurèrent des couvertures aux journaux à scandales pour des années, et par là même, la pérennité économique du royaume pour longtemps.

Ecouter "Il était un Prince" par Astrée