samedi 30 juillet 2011

Dico-thon : ovation


On apprend des choses fascinantes au cours de lectures estivales. Que la France est peuplée de Francs-Maçons et obsédée sexuelle, certes. Mais on peut aussi apprendre les fabuleuses racines historiques de ce qui fait la beauté de notre langue française.

Ainsi, n'avais-je jamais fait le lien entre les standing ovations à l'américaine, et les racines de ce mot qui nous ramènent à la basse-cour (ovis,-is : mouton, brebis, in Le Latin pour les nuls, 2ème volume).

L'explication en est toute simple.
Dans la Rome Antique, les généraux revenant victorieux se voyaient célèbrés lors d'une cérémonie dite du "triomphe".
Un grand défilé était alors organisé à travers Rome, qui menait au Capitole, devant lequel étaient sacrifiés des bœufs. Le général vainqueur, couronné d'un laurier, sillonnait ainsi la ville sur son char triomphal. A l'occasion, il avait même droit à son petit monument. Le Triomphe était accordé par le Sénat lorsqu'une guerre était terminée, que les troupes étaient rentrées et que Rome était en sécurité. Il restait un hommage exceptionnel.

Pour les autres, il y avait l'ovatio : le triomphe du pauvre en quelque sorte. Elle récompensait un général certes victorieux, mais qui n'avait ramené qu'une partie de ses troupes, ou qui n'avait pas affronté d'armée digne de ce nom (de pauvres petits esclaves qui avaient eu le mauvais goût de de révolter par exemple). Elle était également décernée lorsque la victoire n'avait pas nécessité de combats sanglants (à Rome, on aime bien les discours, mais une bonne victoire bien martiale, on n'est pas contre).
Le général grimpait alors à pied au Capitole et se contentait de myrte au lieu de lauriers. Et au lieu d'un sacrifice de taureaux, une brebis était offerte aux Dieux.

Le Triomphe, c'est un peu la remontée de la place de la Concorde à la place de l'Etoile sur un Hummer avec une médaille de la Légion d'Honneur. C'est les Bleus en haut d'un bus immortalisés dans moult reportages que l'on devra s'ingurgiter pendant une dizaine d'années à vivre sur le souvenir d'une victoire passée.

L'ovatio, c'est une remontée en vélib du rond-point Roosevelt à la même place de l'Etoile. Avec Mireille Mathieu en fond sonore. Et une jolie médaille de chevalier des Arts et des Lettres (Christophe Mae l'ayant obtenue, c'est dire que c'est l'honneur du pauvre désormais).

Aujourd'hui, ovation et triomphe se confondent quelque peu. On ne sacrifie plus de brebis, ni de bœuf, sur l'autel des planches. On se contente de se lever, et d'applaudir. Et c'est heureux. La balneo-oblation dans les coulisses des salles de spectacles étant depuis quelques années assez mal perçue. Simple question d'hygiène, bien entendu.

lundi 11 juillet 2011

Simon says : play.



Le jour était levé depuis un bon moment déjà. Une heure, peut-être.


Nous quittâmes l'appartement cossu de celui qui avait été notre hôte de la nuit pour retrouver les boulevards de Saint Germain. Saint Germain, des jeunes premiers en scooter, écharpe autour du cou et cheveux en broussaille, c'était un peu cliché.



Nous nous étions quittés dans une atmosphère d'épilogue urbain. Certains terminaient leurs troisième année de formation professionnelle. D'autres allaient intégrer ce "cours des grands" en septembre. Les mains flirtaient dans des badinages interpromotions, comme entre les casiers des couloirs d'un lycée. Chirurgiens ou étudiants, mères de famille ou nymphettes, cette nuit là, nous avions tous un peu quinze ans.


Une semaine plus tôt, nous avions assisté à cinq heures d'audition. Aucun de nous ne les avait vues passer.


Une de mes camarades m'avait prévenue :


"Tu verras, on va aller au Gymnase, tu iras voir une audition, puis une autre, et le mois de juillet arrivera. Là tu comprendras que tu es devenue accro".


Certaines présences scéniques étaient juste évidentes.

De ces regards, de ces gestes, de ces tons qui vous emmènent dans une faille spatio-temporelle, vous faisant oublier que la scène n'a finalement duré que dix minutes tant vous êtes parti loin.


Tous les visages, tous les emplois s'étaient entrechoqués au cours de l'année.

L'ours attachant dans sa chemise trop grande, qui vous arrache des rires sans même qu'il n'ait besoin de parler, juste de par sa façon de marcher, ou de regarder son partenaire.
La mangeuse d'homme, carnassière magnifique, lionne redoutable.
Le calme et bienveillant, l'imperturbable au mot rare mais toujours à propos.
La réservée mais non moins volontaire douceur qui se forçait à sortir d'elle-même un peu plus à chaque fois.
Le jeune chien fou faux voyou et au fond bien inoffensif.
Le mystérieux taiseux au regard clair.
La gracieuse et décidée jeune femme de bonne famille dont le verbe est autant altier que le port.
L'imperturbable flegmatique dont la générosité se révélait semaine après semaine.
Le gargantuesque tendre et magnanime.

Et tant d'autres encore...

Se croisaient la candeur et l'ironie, le charme et la rudesse, les années d'études et les années de terre, l'expérience et l'innocence.


Tant d'emplois, tant de personnes et personnages qui se mêlaient et se démêlaient, illusionnaient de sincérité, doutaient, se révélaient, brillaient, touchaient.


Et puis un professeur. Entier. Sanguin. Passionné. Accumulant les qualificatifs comme seuls le font les excessifs.
Une nébuleuse superbe aux saillies intraitables.
Autant que peut l'être un maître exigeant, qui vous rend insatisfait lorsque vous vous savez que vous n'avez été que médiocre. Que vous vous êtes contenté de dire, de mimer sans ressenti, simple fantoche errant.

"Et puis soudain, une fois sur le plateau, on se rend compte qu'on ne sait plus marcher, que tous les petits gestes de la vie deviennent des prouesses. Ouvrir une porte est un exploit, ôter son chapeau un pari audacieux, dire deux syllabes à la suite sans bafouiller, une performance" (1).


Certains d'entre nous marchaient encore à quatre pattes, rampaient la rampe, se cognaient la tête contre le quatrième mur.

D'autres étaient rapidement devenus des actores erecti.

Ils avaient encore beaucoup de chemin à faire, nous en avions tous, une longue route semée d'obstacles et d'alexandrins, de mots qui buttent et de mauvais jeux de main.


Au départ, on se dit que l'on y consacrera un soir par semaine, deux tout au plus. Et puis on accélère le pas et les séances. On se fâche avec les cabotins fumistes, les couards qui vous laissent assumer pour deux la responsabilité d'un échec lorsque l'on court déjà une autre vie toute la journée durant. On admire la générosité de jeu des camarades qui montent sur scène. On est groupie de l'un et envieux de l'autre.


Une symphonie humaine appétente car forcément inachevée.


On se congratule en ayant conscience que l'on est encore tout petit, que l'on sait si peu de choses, et que cela nous ravit.


(1) Petit lexique amoureux du théâtre, Philippe Torreton, Stock.