mercredi 29 juillet 2009

I've just seen a face...

J'attendais le métro qui me ramenait chez moi.
Près de moi, était assis un type, écouteurs blancs semblables aux miens et à ceux de la moitié de la rame, plutôt pas mal, qui m'adressa un regard que je lui rendis.

Je restais debout devant lui, en me retournant de temps à autre (comme si de rien n'était, ce que toutes les filles font de façon ridicule en pensant réellement que cela n'a l'air de rien mais en espérant secrètement que ça ait l'air de quelque chose tout en ayant l'air de rien).

Nous nous apprêtions à entrer dans la même rame, lorsque l'ouverture des portes nous révéla le son d'un accordéon qui jouait probablement une version désaccordée de O Sole Mio - titre le plus répandu sur la ligne 6, devancé néanmoins largement par le fameux Besame Mucho des boliviens, et suivi de plus loin par Mon amant de Saint Jean, Imagine et Satisfaction.

Nous fîmes un pas en arrière pour intégrer la rame voisine.
Nous nous regardâmes en souriant à l'idée de cette échappée commune salvatrice.

Trois arrêts plus tard, nous nous séparâmes sur le même quai.

A chaque fois, je me disais qu'avec un peu plus de hardiesse, je pourrais adresser la parole à l'une de ces rencontres métropolitaines éphémères.
Mais à chaque fois c'est la même chose, on se toise, puis on se sépare, avec néanmoins en tête l'idée d'un beau petit moment qui nous tire un sourire ingénu et imbécile au coin des lèvres en sortant de la bouche de métro.

Il y a deux ans, alors que je sortais de la bibliothèque du lieu dans lequel j'effectuais mon stage, un jeune homme me rattrapa dans le couloir. Il avait dû marcher très rapidement, car quand j'étais partie, personne ne me suivait, et j'étais quasiment sortie du bâtiment quand il m'arrêta.

- Mademoiselle?
- Oui? [Merde. J'ai encore oublié ma carte de photocopie sur ma table].
- Excusez-moi je voulais juste vous dire... enfin je voulais juste vous dire que voilà vous êtes entrée dans la pièce et je vous ai trouvée magnifique.
Interdite devant cette déclaration, je restais muette.
Le jeune appariteur était tout embarrassé - on l'aurait été tout autant dans ce genre de situation.
- Ha euh... merci.
Que voulez-vous répondre?
- Non mais vraiment enfin c'était comme une apparition [Sainte Bernadette Soubirous priez pour nous].
- Heu ben merci [c'est tout naturel].
- Du coup je me demandais si ça vous disait d'aller prendre un verre un de ces jours après le boulot?
Et là je sais ce que vous pensez très fort : c'est comme dans un film, coup de foudre dans un couloir, ils vont prendre un verre, ne se quittent plus se marient et font beaucoup d'enfants.
Sauf que dans un film c'est Matthew Mac Conaughey qui flashe sur vous.
Il me faut répondre. Evaluation rapide de la situation. Pros : il est très gentil, et vient de me sortir un des plus jolis compliments qu'on m'ait fait. Et il est bougrement courageux. Cons : il n'est franchement pas attirant.
- Heu en fait, j'ai quelqu'un et...
Oui je sais, c'est naze. Absolument naze, et lâche, et nul.
Que voulez-vous, je suis faible parfois.
- Ha mais je comprends. Je me disais bien, une fille comme vous ne pouvait pas être célibataire [Vous ne pourriez pas mettre ça par écrit, et l'afficher en 3x2m sur les murs de la capitale?]. Vous êtes tellement belle...
Waow. Je commençais à être réellement prise de remords, et étais à deux doigts de lui proposer un verre, pour la bravoure dont il venait de faire preuve et le fix d'ego qu'il venait de m'offrir.
- Hehe - rire idiot et gêné, merci, en tout cas je tenais à vous dire, je suis très touchée, c'est très... chevaleresque ce que vous venez de faire. Vous m'avez ensoleillé ma journée, vraiment.
- Ben c'était normal, je devais vous le dire. On se recroisera sûrement si vous travaillez ici en ce moment.
- Oui, sûrement!

De fait, on s'était recroisés plusieurs fois jusqu'à ce que je quitte ce stage.
Il y a quelques mois, je suis retombée sur lui par hasard, dans ce bâtiment gigantesque.
Seuls, dans le même ascenseur.
Manifestement, il ne m'avait pas oubliée, et m'adressa un sourire et un bonjour gêné.

Qui oserait faire ça aujourd'hui?
Allez arrêter un inconnu qui a fait tomber la foudre sur vous, ou ne causerait ne serait-ce qu'un petit court-circuit dans votre circulation sanguine? Qui jouerait la carte de l'électron libre, du choc cardiaque, de la particule élémentaire?

Un autre individu l'avait fait de façon beaucoup moins rose bonbon un soir, à la sortie de ma station. Il m'avait abordée de façon assez drôle dans le métro, et j'avais commencé à discuter avec lui de la salubrité des chambres de bonnes à Paris.
- Et donc toi tu habites aussi une chambre de bonne dans le quartier?
- Oui, un peu plus bas...
- Ouais c'est trop la galère de vivre là-dedans!
- Ca va, je n'ai pas à me plaindre, elle est assez cool.
- Mais t'es vers où en fait?
- Sur les quais.
- Ha ouais carrément, genre t'a la vue sur...
- ... oui. C'est assez sympa.
- Cool! Moi je suis plus loin, j'ai une vue toute pourrie.
Nous arrivions devant mon immeuble.
- Attends, dans deux minutes tu vas me dire qu'en fait on habite le même immeuble?
- Non moi en fait j'habite de l'autre côté.
- Ah... Mais euh, c'est pas le bon chemin là pour rentrer chez toi.
- Non je sais, mais je pensais que tu pourrais peut-être me montrer ton appart, j'aimerais bien voir comment c'est disposé ça a l'air sympa.
- Tu me prends pour une débile? [Tu t'es soudainement découvert une vocation de Valérie Damidot?]
- Non mais promis, je veux juste voir et après je repars.
- Oui, bien sûr. [Et la marmotte elle met le chocolat...]
- Promis, je regarde, cinq minutes, et je pars.
- Non.
Et là, il tenta une approche fulgurante aux fins de m'asphyxier de sa face.
Après l'avoir esquivé, je fis rapidement mon code pour rentrer. Il me prit par le bras.
- Non mais on peut parler non?
- [Hum avec ta langue dans mon larynx je crois que ce sera difficile]. Non merci je rentre.
- Allez, je veux juste voir cinq minutes, et après je pars.
- [Cinq minutes? Arrêtes tu me fais rêver là, et si je te file playboy dans l'ascenseur, tu me le fais en deux?]. Allez casse-toi, je rentre.
- Je connais même pas ton prénom!
- Et ben moi non plus, comme ça on est quitte.
Alors que je refermais la porte, il y coinça son pied et tenta de passer sa tête.
Et là je commençais quand même à flipper un chouïa.
Je repoussai finalement vigoureusement son visage, écrasant son pied au passage, pour pouvoir enfin refermer la lourde porte sur l'importun.
Je devrais écouter ma mère parfois quand elle me dit de ne pas parler aux inconnus.

Peut-être que moult belles histoires ne naissent pas à cause de ce manque de courage.
Et puis demander l'heure, c'est tellement surfait.

Une de mes amies s'était faite draguer de façon a priori maladroite, mais que je trouvais fort attendrissante un jour :
- Vous avez du feu?
- Non je ne fûme pas désolée...
- Ouf tant mieux, moi non plus!
C'était une façon pour le moins involontairement détournée, et que je trouvais par conséquent décalée et touchante, d'utiliser cette approche qui avait fait son temps.

D'autant plus qu'aujourd'hui, elle ne peut s'utiliser qu'en extérieur.
Les tendanceurs lui ont d'ailleurs trouvé un nom : le smirting, contraction de smoke et flirting. Car les tendanceurs aiment bien contracter des mots anglo-saxons pour créer une nouvelle tendance. En somme, ils vivent parfois en autarcie d'abstractions absconses. Créer un nouveau mot, ça donne l'impression qu'on a crée un nouveau concept, alors qu'il existait déjà souvent depuis longtemps.

Comme le fooding, contraction de food et feeling, censé caractériser la désacralisation de la gastronomie. A l'Ouest, rien de nouveau. Prenez vos fonds de frigidaires. Tentez une nouvelle recettte improbable à base de restes. Vous faites du fooding. C'est beau, non? Quand vous préparez une salade avec tout ce qui vous tombe sous la main et qui menace de passer la date de péremption quatre jours plus tard, vous le faites de façon décomplexée et créative. Donc vous faite du fooding. Tout de suite, votre tuperware devient beaucoup plus tendance.

Mais je m'égare.
Le smirting, c'est donc le fait de draguer à l'extérieur, puisque l'on doit désormais fumer à l'extérieur des lieux publics. Que l'on pourra éventuellement coupler à la technique du rapprochement vers le radiateur de terrasse, en cas d'hiver un peu rude, et du partage de parapluie, en cas d'automne un peu trop pluvieux (et de fumeurs endurcis).

Après tout, c'est peut-être mieux que ces petits moments restent dans l'éphémère, le passage éclair, pour que l'on puisse les fixer sur ces Polaroïds d'instants de grâce, un peu flous parfois, pris de façon maladroite et mal cadrés, mais sur lequel pourront se fixer nos jolis souvenirs idéalisés.

Je m'apprêtais à descendre les escaliers, et me retournai une dernière fois sur l'inconnu en chemise blanche. Il s'apprêtait à monter les siens, et s'était également retourné. Nous échangeâmes un dernier sourire, mi-gênés, mi-amusés. La nuit était douce et mielleuse.

mardi 28 juillet 2009

Viens, mais ne viens pas quand je serai seule

Une aura blanche illuminait son visage.
Elle les avait tous occis, un par un, méthodiquement, dramatiquement.
Son visage rayonnait à présent une odeur de mort et de solitude.
Dans la pénombre, parmi ce chœur passif et impuissant au fatum implacable, il soutenait le poids de son destin.
Elle porta la fiole à ses lèvres et s'écroula.
Une étoffe pourpre s'abattit sur les planches, plongeant la pièce dans un silence, son silence.

Un battement, puis un deuxième qui lui répondit, et ce fut ensuite une ascension d'applaudissements.
Sur scène, Amélie s'était relevée, épuisée, splendide.

Hadrien absorbé, envoûté, ne la quittait pas du regard.

Il avait hésité, un bouquet à la main, à l'attendre à la sortie de sa loge, puis s'était ravisé.
Elle devait probablement recevoir la visite de nombreux admirateurs de renom. Qu'était-il lui, pauvre anonyme à peine sorti de l'adolescence?

C'était à cause d'elle qu'il avait décidé de suivre des cours de théâtre, parallèlement à ses études.
A elle qu'il comparait toutes ces jeunes comédiennes qu'il jugeait fades et insipides.


Puis il s'était pris au jeu, et le cours du soir était devenu inscription à une école d'art dramatique réputée.
En attendant de monter sa troupe, il avait intégré une compagnie qui l'assignait à des rôles de doux rêveurs ou de maladroits malchanceux.

Alors qu'il commençait à peine à se faire un nom, celui de son égérie se ternissait.
Les marches azuréennes la rejetaient tout autant que les réalisateurs qui s'étaient lassés de son imprévisibilité.

Il est un temps où l'on pardonne tout à ces mandarins de pacotille, pour un nom, pour une affiche, pour une rencontre.
Puis un temps où les caprices ne sont plus que des gémissements d'animal de foire qui se meurt et requiert une dernière attention de l'auditoire.
Des revues critiques elle n'était plus apparue que dans les journaux à scandales, puis enfin dans les faits divers.

On la disait recluse, telle une Pythie destituée que l'on ne croyait plus et qui se repliait dans ses opiums éthyliques et médicamenteux.
Celle qui avait partagé la couche des plus grands, des plus beaux, ne pouvait que contempler désormais la sécheresse de son lit désert.

Ses derniers amants auraient été successivement menacés, agressés et blessés.
Pour autant, aucun d'entre eux n'avait jamais donné de suite à ces rumeurs.

Un soir, les compagnes de planches d'Hadrien l'avaient pris pour un fou, quand, après être resté silencieux à leurs querelles stériles de jeunes saltimbanques, il était parti avec fracas, leur assénant qu'elles ne valaient pas le quart de l'estime qu'elles se portaient, qu'elles n'étaient que des cabotines qui se regardaient jouer et ne savaient pas oublier leur prétendue beauté pour la beauté d'une œuvre. Il était simplement fatigué de les entendre se chamailler pour une réplique plus haute que l'autre, pour une didascalie plus avantageuse.

Il décida de partir approcher cette sorcière que l'on disait retirée de tous.


Il rejoignit l'arrière-pays niçois.
La maison semblait presque abandonnée.
Les volets étaient à demi-rabattus pour empêcher le soleil d'entrer.

La porte était entrouverte. Il frappa. Pas de réponse.
Il n'osait pas la pousser. Alors qu'il hésitait à tourner les talons, une voix rauque l'interpella dans son dos.

- Qui êtes-vous?
- Hadrien Maillot.

Il avait l'impression d'être pris en flagrant délit d'effraction, et aurait pu jurer qu'elle avait une arme pointée sur lui.
En se retournant sur elle, il vit une silhouette en contre-jour de femme tassée, aux cheveux vaguement rabattus en un chignon informe, une large chemise sur les épaules.

- Qu'est-ce que vous voulez?
- Juste vous parler.
- Parler de quoi? De la pluie ou du beau temps? J'ai pas le temps pour ça.
- Je vous admire depuis toujours, accordez moi quelques minutes Amélie...
- Il n'y a pas d'Amélie qui vive ici. Amélie est morte, c'est une vestale enterrée vivante par des gens qui se croient dei ex machina en leur royaume. Cette femme là est partie depuis longtemps.
- Alors vous avez démissionné? Je vous croyais plus forte, au-dessus de ce que le monde de la comédie pensait de vous.
- Ecoute gamin, réveille-toi, t'as quoi, une trentaine d’années? T'as passé l'âge de jouer les groupies éplorées.
- J'ai un rôle pour vous.
- Tu ne doutes de rien. Je ne suis pas une artiste au rabais, y a pas écrit "liquidation totale" sur mon talent.
- Je pourrais vous aider à revenir.
- Je ne veux pas revenir, je n'implore la charité d'aucun auteur, et surtout pas d'un apprenti comédien qui sort d'on ne sait où.
- Mais...


Amélie le saisit soudain à la gorge, le plaquant contre le mur.
- Ecoute, j'en ai mâté des petits merdeux qui voulaient me voir sénilisée, déchue, des farfouilleurs de bourbe qui cherchaient un fossile à exhiber dans leurs torchons. Tu sais ce qu'on dit? On dit que j'ai essayé de tuer certains de mes amants quand ils ont voulu me quitter, que je suis dangereuse et bonne à hospitaliser d'office. Alors tu vas me faire plaisir de quitter ma propriété sur le champ, ou sinon tu auras l'occasion de voir si je suis à la hauteur de ma réputation de vieille folle.

La main vétuste mais néanmoins rigoureuse se desserra, laissant Hadrien reprendre son souffle avec difficulté.

- T'es pas un jeune premier toi. On doit te coller dans les seconds rôles.

Hadrien n'eut pas le temps d'amorcer un semblant de réponse qu'elle continua, comme s'il avait répliqué.

En même temps tu as le physique de l’emploi.

Regarde-toi là, on dirait presque que tu t’excuses d’exister.

Il faut de l’audace pour réussir dans ce milieu.

Tiens, avant de déguerpir, aide-moi à emmener ça dans la cuisine, dit-elle en désignant quatre cageots de fruits et légumes.


La raison aurait voulu qu’il parte immédiatement, la laissant à sa potée et ses confitures, ses chats et ses chemises informes.

Mais il prit les cageots et les rentra dans la cuisine, silencieux.

La paillasse était recouverte de plats, de boîtes à demi ouvertes.


La pièce était sale, un véritable capharnaüm alimentaire.

Probablement le reste de la maison était-il dans le même état.


Dans le couloir, il aperçut des bacs en plastiques dans lesquels s’empilaient des vêtements vraisemblablement bon marché.

La poussière avait envahi les sols, les meubles et jusqu’aux murs tapissés.


- T’es un bon petit.

Ils l’auraient pas fait, les autres.

Aujourd’hui ils se prennent pour des vedettes alors qu’ils ont encore un pied dans le bac à sable, ils se croient des artistes incompris alors que ce ne sont que des rebelles de supermarché, incapables de faire des choix pertinents, incapables d’aligner trois mots correctement.


Et, au fur à mesure, elle se mit à lui parler, de sa vie d’avant, de ces metteurs en scène avec qui elle avait travaillé, de ces artistes qu’elles avaient fréquenté, de ses nuits de doute et de ses nuits de chair qu’elle voilait de pudeur.


Une certaine complicité s’installa alors entre eux.

Il revenait, régulièrement, lui rendre visite.

Il lui racontait sa carrière naissante, cette apparition dans un film à succès, qui lui avait ouvert les portes des cérémonies.


Un jour, elle finit par accepter la proposition qu’il lui avait faite la première fois qu’ils s’étaient rencontrés.


Alors, pour la première fois depuis plusieurs années, elle quitta sa propriété pour revenir à Paris.


Hadrien avait réservé un minuscule théâtre pour faire une première lecture.


Amélie, le bras dans celui d’Hadrien, ralentit à l’approche de l’entrée du théâtre.

Soudain, elle avait peur.
Peur de ne plus être à la hauteur, de décevoir, d’être ridicule, pathétique.

Quand elle entra, le régisseur sembla ému de la rencontrer.

Elle sourit.


Elle descendit les escaliers, et s’arrêta devant la porte qui donnait accès à la salle voûtée.

- J'ai peur.

- Je suis là, avec vous. De quoi avez-vous peur?

- De mes fantômes. Je n’ai pas joué dans cette salle depuis mes débuts. Tous ceux que j’aimais, tous ceux que j’admirais sont partis.

Ses yeux s’embuaient au rythme de ses paroles.


Elle entra finalement, et avança à petit pas vers la scène.

Elle y voyait René, avec qui elle avait été mariée pendant huit ans à ses débuts. Elle le revoyait la reprendre quand elle ne parvenait pas à trouver la bonne intention. Quand, trop fatiguée, elle ne mettait pas l’énergie nécessaire à la réplique.

De sa main, elle caressa la scène, puis pleura.


Elle monta, se retourna, et regarda la salle vide.

Elle repensa à ses premières représentations.

A cette sensation qu’elle avait découverte, de se donner physiquement à une salle.

A cette impression que le public vivait au rythme de sa respiration.

Ce sentiment que pendant une heure trente, elle naviguait sur la mer capricieuse de leurs émotions, tirant sur les fils de leur enthousiasme et de leur trouble comme elle l’aurait fait avec un pantin.

Alors ils n’étaient plus qu’un. Une unique entité dont elle pouvait modeler le ressenti à son gré. A la sortie, ils retrouveraient toute leur individualité et leur sens critique. Mais pendant une centaine de minutes, ils étaient une chimère d’audience docile et malléable à son envie.


Elle commença alors à travailler avec Hadrien.

D’abord timide, il dût lui redonner confiance en elle.

Elle regardait le texte qu’elle avait entre les mains comme s’il s’agissait de la baïonnette instrument de son exécution publique.

Puis, elle s’accapara les mots et retrouva toute sa justesse.

Elle revivait.


Au lendemain de la première représentation, la critique fut unanime, assurant qu’elle était une des dernières grandes figures de la comédie.


La veille, le public s’était levé pour elle et l’avait ovationnée.

Lorsque le rideau était retombé, elle s’était soudain sentie auréolée d’une lueur laiteuse.

René était là. Elle resplendissait.



dimanche 19 juillet 2009

I love rock'n roll, so put another dime in the jukebox baby





Plusieurs groupes ce soir au programme du NME tour, plusieurs groupes qui commencent à faire du tapage nocturne : une bande issue du bloc d'à côté bien décidée to get the party started, menée par un Kele Okereke en garçon propret, petit polo pastel sur le dos, chantant les hélicoptères, les banquets et autres sujets alambiqués, des têtes du futur venues qualifiées de post-punk, des tueurs confirmés par quelqu'un leur ayant dit qu'il avait un petit ami qui ressemblait à une petite amie qu'il avait eu en septembre de l'année précédente et un groupe issu tout droit de Leeds dont le debut album Employment et ses rythmes martiaux commençait à résonner dans toutes les oreilles.







Stade de France, 2009.
U2, 360° tour.
Première partie, mon sang ne fait qu'un tour quand je vois apparaître Ricky Wilson sur scène.
Quatre années avaient passé, et les dimensions de la salle de jeux des Kaiser Chiefs avaient changé, au même titre que leurs comparses de tournée de l'époque, Bloc Party, The Futureheads et les Killers.
Le bassiste a conservé son casque capillaire bouclé et volumineux.

Un sentiment de béatitude s'empare de moi au premier riff de guitare, aux premiers coups de baguettes sur le tom et de marteau sur la grosse caisse.

Devant moi il ne manque rien, tout est là : un chanteur mécheux à l'accent banlieusard, un batteur en tee-shirt rayé noir et blanc, une basse qui me prend le bas du ventre et fait remonter tout le reste de la mélodie jusqu'à mon cerveau enivré.

A cet instant plus rien n'existe que la voix du lead singer et les trépignements des instruments.



Au départ, on se cherche un peu, on laisse son lecteur passer sur différents courants musicaux, ingurgiter des mélodies parfois sans saveur. Et puis un jour, on se rend compte que parmi tous les CD achetés avec notre argent de poche d'adolescent, c'est celui de Queen qui bénéficie d'un pass privilégié de choix dans le Discman. Alors on élargit le champ des possibles. On en prend un peu plus, juste pour essayer, un peu pour faire comme tout le monde, un peu parce que c'est à la mode, alors on commence gentiment, avec de la britpop. Sauf que petit à petit, on s'accoutume, et il n'est bientôt plus possible de passer un journée sans se faire un rail de Fender. Trop tard, il n'est plus possible de décrocher.





Le fait de partir vivre un an Outre-Manche n'améliore en rien les choses, il les amplifie. De la Students' Union au Barfly en passant par les petits clubs indés, on voit le meilleur comme le pire. Mais souvent le meilleur.


Car c'est comme ça, ça relève un peu de l'inexplicable, mais il existe une vibe au UK qu'il n'existe pas ailleurs. Quelque chose qui relève de l'irrationnel. Un don pour rendre la moindre mélodie efficace. Pour transformer le moindre "You can't run, you can't hide" en succès assuré. Car soyons honnêtes, les Beatles ont dû à l'occasion faire se retourner Lord Byron dans sa tombe avec certaines rimes faciles et histoires simplistes.
"Chéri tu peux conduire ma voiture, oui je serai une star, chéri tu peux conduire ma voiture, et peut-être je t'aimerai".
Pour autant, ils restent l'auteurs de petits bijoux du patrimoine mondial de la musique et c'est vers eux que je me tourne naturellement when I need to cheer up a bit. On se sent un peu en sécurité à travers cet héritage mélodique transmis par un paternel qui regrette de ne pas avoir pu avoir la même coupe de cheveux dans les années 60.


Ce sont ces filles qui se pâmaient devant les quatre garçons dans le vent à la moindre apparition, les mêmes que l'ont retrouve débarquer un samedi sur deux sur le boat that rocked.
Car il faut reconnaître au rock cet aspect libidinesque indéniable.
En ce qui me concerne, l'effet est démultiplié quand il s'agit d'un groupe britannique.
Des Who aux Franz Ferdinand, des Stones aux Arctic Monkeys, tout ce qui commence par "The" et vient d'un pool de villes comprenant Londres, Leeds, Liverpool, Sheffield, Glasgow et autres a le don de me faire frémir et oublier tout ce qui m'entoure. En clair, si vous voulez me conquérir facilement, emmenez-moi voir The-Whatever-comes-from-UK-and-rocks et vous aurez de bonnes chances d'arriver à vos fins. Et si vous êtes vous-mêmes un rockeur brit, je donne alors aussi cher de votre peau qu'aux animateurs radios assaillis de groupie en Mer du Nord.





On l'aime provocant et contestataire, glam et pailleté ou en jean déchiré et tee-shirt vintage, théâtral ou minimaliste, à la voix cassée qui se déchire en des sursauts électriques sur la scène de Woodstock, ou voilée en concert acoustique intimiste, on l'aime sur nos tee-shirts et nos badges d'ados attardés, sur les reflets des lunettes de Manoeuvre ou Eudeline, on l'aime quand Alex Kapranos et sa bande font trembler le sol de la Cigale, on l'aime quand il nous excite et quand il nous fait pleurer, quand il fait briller nos yeux en nous raccompagnant de nos soirées, puis nous enserre et nous prend finalement le corps tout entier contre le mur , quand il nous fait danser, trépigner, taper du pied, secouer la tête, les hanches la taille et tout le reste du corps encore et encore, de plus en plus fort, jusqu'à ce que le crescendo nous emmène de plus en plus haut, jusqu'à ce qu'on s'y accroche comme la seule chose qui puisse subsister, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un cri, une note en suspens, une moiteur infernale.

vendredi 17 juillet 2009

We used to be friends : Ladder theory, lemon law and friend zone.



- Do you have condoms here?
- Eeeer... yep... but we're just friends, aren't we?
- Yeah sure... Random question.
- Sure... You know I decided I wouldn't sleep anymore with good friends, it's a new rule. Edict from yesterday. Applies from tonight.
- Don't freak out, I was just wondering.

Lui restait calme, silencieux, à l'autre bout de la table.
Je fixais si intensément le fond de mon verre que je me suis visualisée le fendre façon Superman.
C'était sans doute une des techniques de drague les plus bizarres qu’on m’avait faite.

Il décida ensuite qu'il était un peu fatigué et qu'il allait rentrer.
Le lendemain, quand il m'appela pour qu'on prenne un café, j'eus quelques doutes quant à ses intentions. Finalement, il voulait juste prendre un café.

L'autre jour, en lisant un billet qui élucubrait sur la fameuse théorie de Harry (celui de Sally, pas celui qui fait mumuse avec un balai) - énonçant "Men and women can't be friends because the sex part always gets in the way" - je tombai sur un article traitant de la théorie de l'échelle, théorie américaine traitant de l'interaction entre hommes et femmes, au même titre que la Lemon Law ou que la Friend Zone.

D'abord hallucinée par la façon dont l'auteur voyait les femmes je me pris à cette lecture.
J'ai donc abandonné l'idée de rédiger un billet à ce sujet pour vous soumettre tout simplement le lien vers cette théorie, c'est un peu long, pseudoscientifique, assez cynique, mais pour le moins divertissant, et parfait pour lancer une discussion sur la plage (bien qu'en ce qui me concerne je sois au bureau, mais là j'aimerais croire que je suis à la plage, donc je vous y accompagne) :


Faites le calcul, mesdemoiselles, si vous êtes du genre à avoir beaucoup d’amis, messieurs, si vous êtes du genre à avoir beaucoup d’amies, et enlevez de ces derniers :
- ceux ou celles qui sont en couple,
- ceux ou celles qui sont gays / lesbiennes,
- ceux ou celles qui ont essayé de vous draguer,
- ceux ou celles que vous avez essayé de draguer,
- ceux avec qui vous êtes sorti(e),
A priori, vous devez avoir assez d’une main pour compter ceux ou celles qui restent.
Franchement, chez lequel de vos amis vous verriez-vous débarquer mademoiselle, mal fagotée et démaquillée ? Qui irait vraiment dormir sur le canapé si vous étiez seuls, un soir, avec une bouteille de vin pour vous accompagner ?
Après tout, ce n’est pas parce que vous n’avez aucune attirance envers cet ami qui ne vous plaît aucunement, mais est « teeeellement gentil », qu’il n’en a pas pour vous.

Cette ambiguïté latente et persistante est-elle pour autant vraiment à déplorer ?
Certes, mettre de côté le rapport de séduction est reposant, certes il y a un point de non-retour, certes, la dernière fois que vous avez dit "je préfèrerais qu'on reste amis", vous avez eu l'impression d'avoir commis autant de dégats qu'une bombe de napalm dans son coeur hiroshimisé, mais après tout, la vie est aussi faites de dérapages incontrôlés, et de changements de rapports non maîtrisés!
Bon, allez à l'essentiel, filez lire ce lien, ça vous donnera de quoi débattre autour d'un godet ce soir. Avec votre nouvel ami. Ne flippez pas comme ça, il est en couple.

mardi 14 juillet 2009

Come on baby light my fire












Au dehors, j'entendais encore la plèbe festoyante qui déambulait en une marée oisive au bas de mon immeuble.



Un sommeil semi-réparateur avait consciencieusement snobé la retransmission matinale du défilé martial.






Malgré un cerveau qui me réclamait une alcôve rédemptrice après une journée de lawyer class hero, j'avais testé la veille les festivités du bal des pompiers.






J'avais auparavant fait un bref détour par Bastille et son concert écolo-bio-ska-rap-musette.



N'étant ni particulièrement zouk de cœur, ni particulièrement ska, ni particulièrement musette, je ne m'y étais guère attardée et avais fini par faire une pause salutaire dans un pub du quartier, pour me régénérer d'ondes rock (le rock et ses effets libinidesques, qui feront d'ailleurs l'objet d'un très prochain billet).



Je m'étais sur la route faite accoster par un badaud de la séduction, un vaincu d'avance du charme, plus communément dénommé relou de service, de ceux que l'on ne croise que lorsque l'on se retrouve esseulée l'espace d'un millième de seconde au milieu des égarements d'une foule et qui nous presse à adresser un regard désespéré vers le premier garçon allié pour qu'il éloigne l'empêcheur de guincher en rond.



- C'est quoi le groupe qui joue là?



- Java.



- Cool. J'aime bien. Je viens de Châtelet.



- Ha. Cool.



- Oui y avait du rock aussi.



- Ha, bien. [Si Java c'est du rock je veux bien me pendre au-dessus de la scène du CBGB avec les cordes de Slash. Je feignais de ne pas m'offusquer de ce rapprochement hasardeux.]



- En fait j'ai laissé mes amis là-bas je suis venu tout seul.



- Ha, c'est dommage, vous auriez dû rester avec vos amis.



- Oui mais je voulais voir ce qu'il se passait ici. Sinon ton nom c'est quoi?



- ... Jocelyne.



- Cool. Anthony.



- Enchantée, [looser].



- Tu vois là j'ai laissé mes amis pour voir un peu quoi.



- Ha ok. Ben moi je vais essayer de retrouver les miens [vite, très vite, car moi j'ai des amis bien réels qui feraient bien de rappliquer rapidement].



- Mais si tu veux je te donne mon numéro de portable.



- [Tu sais où tu peux te le foutre ton 06?] Non ça ira merci c'est gentil.



- Non parce que j'habite à Voltaire à côté on pourrait se faire des sorties.



- [Ou pas]. Non c'est sympa merci.



- Non parce que tu sais je suis puissant.



- Aaaaah [le massacre de Jonestown c'était pas toi par hasard?].



- Non mais je suis puissant sur tous les plans tu vois...



- ... [May Day, May Day, je me fais attaquer par le fils caché de Charles Manson et Rocco Siffredi].



- Bon ben tu veux pas qu'on échange nos numéros alors?



- [Attends laisse-moi réféchir...] Non, toujours pas.



- Bon ben bonne soirée.



- Bonne soirée [psycho].






Après cet épisode ubuesque et un gin tonic revigorant, je délaissai mes amis qui se dirigeaient vers la caserne de Reuilly.






J'avais prévenu ma compagne de dancefloor, je faisais un saut, et je repartais.



Evidemment, je suis restée jusqu'à ce que Lionel Richie nous chante de dire toi, de dire moi et que les Scorpions nous envolent dans leur vent du changement



Je fus d'abord surprise par la queue devant la caserne, digne de celle qui patientait en trépignant devant l'Etoile.



Un premier pompier nous attendait à côté du portique de sécurité. Je me retenais de faire un mot improbable qui n'aurait été que le début d'une lignée de réparties usées de midinettes excitées par l'attrait de l'uniforme. De toute façon, je n'avais jamais particulièrement fantasmé sur les pompiers, le crâne rasé, ce n'est pas mon truc. Je fus forcée de revoir ma position face à une rangée de coyote firemen chauffant la foule du haut du bar. La soirée ressemblait à une gigantesque kermesse teintée de clubbing. La cour de la caserne pourtant grande était envahie d'une foule hallucinante. Des odeurs de merguez grillées arrivaient à mes narines, et je repensais soudain aux kermesses de l'école, aux galettes-saucisses, à la pêche à la ligne, à la tombola, aux mères qui préparent des tartes et des quatre-quart, aux flonflons à la française et fancy-fair à la fraise. L'ambiance était néanmoins beaucoup moins familiale, bien que tous les âges se croisaient, du couple en sortie hebdomadaire aux gang de copines surexcitées en passant par les mécheux des clubs branchés. Loin de l'imagerie beauf que je pouvais m'en faire. Ce fut une nuit populaire donc, mais dans le bon sens du terme. C'était dit, chaque année je retournerais au bal des pompiers.



Le bal terminé, des jets de pétards appelèrent un débarquement d'hommes en bleus casqués, tasers et flashballs à la main. On ne rigole plus avec la sécurité à la sortie des kermesses.






Le lendemain, je n'eus d'autre choix que d'annuler mon pique-nique un peu trop précoce en journée, pour me contenter d'un café en terrasse.



A 16H, mon quartier était déjà bloqué en prévision des festivités du soir.



Heureusement pour moi, j'avais une facture qui traînait dans mon sac à main et me permettait de justifier que oui, j'habitais bien au 12, dans l'immeuble duquel je venais de sortir et dont entre temps je n'avais pas déménagé.



Avant les kermesses, il faut montrer patte blanche désormais.






En fin d'après-midi, je rejoignis une bande de gais gamins qui regardait des oiseaux militaires multirotors s'envoler.



Comme la veille, je savais que j'étais censée passer la soirée avec de multiples connaissances, mais que nous ne retrouverions jamais au milieu d'un quartier envahi par la multitude de têtes chercheuses de sons et lumières.






Nous avions loupé le concert de l'année.



Un brailleur pour adolescentes prépubères à la voix grinçante et une ex idôle des jeunes retraitée au pays de Milka.



Je le regrettais un peu néanmoins. Non pour la première partie, qui m'aurait probablement hérissé les poils à en frire mes oreilles, mais pour ne pas m'être mélangée aux tee-shirts à têtes de loups argentées hurlant à la lune et aux tatouages de Harley. Après tout, on aime ou on n'aime pas, mais on ne pouvait dénier que le type assurait.



Et puis flûtiau, il fallait voir ça une fois dans sa vie avant que la sienne ne s'achève. Cela fait partie de ces monuments du patrimoine culturel que l'on dédaigne par mépris d'un français-moyennisme de grande surface, mais devant le succès duquel on ne peut que s'incliner.



Enfin, ce sont quand mêmes nos impôts, comme le rappelait justement C.






Nous nous dirigeâmes vers le Champ de Mars avant de faire escale dans une rue légèrement reculée, aux fins de voir quelques bribes des apparats de lumière de la Dame de Fer.



Mon regard se perdait avec un sourire en coin idiot dans les éclats pyrotechniques.



Des belles bleues, des belles rouges, des petits feux follets harnachés aux armatures métalliques de l'imposant ouvrage se miroitaient de façon touchante dans la cristallinité des yeux de mon voisin, qui avait retrouvé le temps d'un ballet illuminé un air de tendre gamin fasciné par les explosions multicolores.



J'occultais, l'espace de ce moment précieux suspendu à ces mirettes de môme hypnotisé, tous les brailleurs de bacs à disques pour adolescentes et rockeurs à la française pour playlist présidentielle aux goûts douteux, tous mes préjugés de néo-parisienne à l'endroit des festivités organisées par la ville, toute idée qu'il faudrait réintégrer dès le lendemain le flux de costards-jupe-crayon.






Le feu d'artifice était terminé, nous n'avions plus qu'à nous disperser dans les bruits de verre brisé, de pétard et de sirènes.



En rentrant, je retombai sur ma robe bleu marine à pois blancs que j'avais déposé sur mon lit, me disant qu'elle aurait été parfaitement raccord avec une guirlande d'ampoules multicolores et une guinguette de 14 juillet.



C'est plus fort que moi, je ne parviens pas à être cynique très longtemps, je fonce au devant d'images d'Epinal que j'accroche dans mes souvenirs comme autant d'enfantillages ressourçants.





dimanche 12 juillet 2009

Kids



- Bonsoir monsieur, excusez-moi de vous déranger à cette heure tardive, mais pourrais-je parler à J.?

- Oui oui il est là, J????, c'est pour toi! prend le téléphone en haut je raccroche!


Il me revenait des souvenirs d'ados, à chaparder le téléphone pour aller me caler sur mon lit dans ma chambre et passer un coup de fil qui s'éterniserait pendant au moins deux heures.


- Tu sais à quelle heure tu appelles? Mes grands-parents étaient déjà au lit!

- Oui mais je viens de rentrer et...

- Eh ho t'es pas à Paris ici, on vient de finir l'émission sur la 1 et moi j'allais me coucher.

- Moi aussi ça me fait plaisir de t'avoir au téléphone!


Cela faisait plus de dix ans qu'on se connaissait, et j'avais un peu l'impression de retrouver mon voisin de cours de latin à chaque fois que je l'avais au bout du fil.


- Bon sinon quoi de neuf?

- Ben écoute, rien de spécial et toi?


Le dialogue typique de deux personnes qui ne sont pas vues depuis trop longtemps, mais qui ne peuvent résumer leur vie en un coup de téléphone trop expéditif, juste pour prendre des nouvelles.

Alors en général on s'en tient à l'essentiel : Le boulot ça va, non je n'ai toujours pas déménagé, oui la petite dernière vient de passer son bac.


Je n'avais jamais ce problème avec J., même si on ne s'était pas eus au téléphone pendant des lustres, on avait l'impression de s'être quittés la veille. Comme lorsque l'on se rappelait le soir après le lycée, alors que l'on venait à peine de se quitter à la gare routière.


On ne se lassait pas se remémorer certaines anecdotes émoussées par le temps, mais qui ne prenaient pas une ride.


Il me voyait un peu comme une néo-parisienne légèrement aveuglée par les éclats citadins, jamais en panne de clabauderies boulevardières et de rencontres improbables, pendant que lui ermitait sa vie qu'il ne pensait que trop mal partie.


Pour autant, il continuait de moquer la collégienne timide et maladroite que j'avais été et que je restais, de me faire rire avec ses références qui n'avaient pas pris une ride depuis ces années.

J'allais volontairement me heurter à ses répliques réactionnaires mais prévisibles, parce que de toute façon je lui pardonnais tout.


Je réalisai, en raccrochant, qu'on ne s'était pas querellés depuis trop longtemps, cela me manquait presque.

Sans doute parce qu'à l'époque, je ne pouvais supporter certaines de ses réactions, et, quelque part, cela nous plaisait bien de nous raccrocher au nez après quelques échanges houleux.


C'était l'époque des messages sur le tam-tam, des posters sur le mur dont quelques-uns, jaunis par le soleil, n'ont jamais été ôtés. L'époque des cartables en cuir, des trousse en daim que l'on se dédicaçait mutuellement, des petits mots échangés sur une feuille de classeur en cours de français, des parents qui venaient nous chercher à minuit après que l'on ait dansé sur L'aventurier, des parties de Uno dans le car qui nous emmenait en voyage scolaire, des premiers émois qui ne se concrétisaient pas, des bandes dites "populaires" et des Doc Marten's


Puis la fac qui nous avait séparés, ce bar en face de la gare dans lequel on ne se lassait pas de se retrouver.

Les petites sœurs mutuelles que l'ont avait vues hautes comme trois pommes et qui étaient maintenant des jeunes filles affirmées. Plus je m'éveillais à rencontrer de nouvelles têtes et à voir de nouveaux horizons, plus il s'ancrait dans son quotidien et jouait les anachorètes.


Mais la gamine timorée et gaffeuse n'était jamais loin, et il ne manquait jamais de me le rappeler.


Je pouvais avoir été une working girl opiniâtre toute la journée, une aspirante écrivaillonne chaotique, en ce soir de semaine, je retrouvais mes mercredis après-midi de teenager au téléphone.

dimanche 5 juillet 2009

I don't wanna grow up



Un ciel bleu ardoise commençait à poindre à ma fenêtre.

J'étais rentrée depuis un peu moins d'une heure et ne parvenais pas à trouver le sommeil.

Certains étaient restés dormir sur place pour éviter de se réveiller dans leur petit appartement le lendemain matin, comme si tout avait filé en un trait de temps, en quelques pétales de roses retombés sur le parvis de l'église.


Je défie la plus cynique des âmes d'être totalement indifférente à l'effet post-mariage.

N'importe quel être normalement constitué ne peut s'empêcher de se troubler de ces deux "oui" voilés d'émotion échangés devant l'autel.


Je réentends encore N. revenu de son mariage, qui d'un seul coup se disait que peut-être, il devrait revoir sa position de bi pour se caser avec le sexe faible. A., assignée aux épousailles de sa sœur, qui oubliait soudainement qu'elle avait toujours été contre toute idée de pièce montée, de grains de riz et de robe blanche.


Pendant une journée, tout est parfait, tout le monde s'entend merveilleusement.

Plus précisément, on cache soigneusement aux mariés les heurts, incidents diplomatiques et autres vexations.

On occulte les retours nocturnes hasardeux et le passager arrière qui scotche sa tête à la fenêtre aux fins de ne pas sombrer dans des débordements gastriques des plus déplaisants.


Il y a des années comme ça, où votre agenda est surbooké de locations de voiture, de cartons réponse à envoyer à Madame Mère, de choix de dernière minute sur le site des Galeries Lafayette mariage, de plans de table qui vous assignent à faire la discussion avec un couple qui a autant de conversation que la première Dame de France a de coffre, de coupes de champagne et d'expéditions cervoises aux fins de mise en bière de vie de jeune fille.

Un petit côté wedding crasheuse.


Le soleil commençait à peine à poindre en-dessous de l'horizon, matelassant la ville d'un doux ruban rose-orangé.

Cela faisait des semaines que je ne m'étais pas couchée alors que le jour se levait.

Je me revois ce dernier petit matin d'année Erasmus. Nous n'avions tous dormi que quelques heures au cours de cette dernière semaine, parce que c'était la fin, parce qu'il fallait profiter de chaque instant. Les couples se formaient et se défaisaient à la vitesse des pintes de bière et des verres de vin, parce que c'était le dernier moment, parce qu'après ce serait trop tard. Tous les soirs nous en perdions quelques uns de plus. Et cette dernière nuit, nous l'avions passée d'une façon étrangement calme. Juste le plaisir de partager ces derniers moments ensemble. Nous avions déménagé nos chambres au lever du jour, les lieux devant être vidés pour 10H. Je me revois être partie chercher un caddie avec G., pour pouvoir tout entreposer. Il était 6H et la ville qui dormait encore était à nous. Les rues étaient vides, quelques papiers rampaient sur le bitume et nous poussions un ridicule caddie vide. Une impression de road-movie à petit budget...


Des nuits passées sans notion du lendemain.

Etre un tant soit peu fixés sur ce que nous allions devenir nous angoissait presque.

L'idée d'entrer dans la vie active, puis d'être sur des rails pour plusieurs décennies à cotiser pour une retraite au soleil ne nous enchantait guère. Nous avions besoin de savoir que toutes les portes nous étaient encore ouvertes.


Finalement, nous nous posons toujours les mêmes questions.

Nous savons pour l'heure où nous allons, mais ne garantissons pas ne pas tout plaquer dans quelques temps pour une vie différente.


Il y a quelques semaines, lors d'une soirée, une de mes amies de lycée me dit :

"Non mais c'est vrai, tu admettras qu'aujourd'hui à notre âge tout le monde est marié et commence à faire des enfants".

Une de ces soirées où il y a toujours une bonne copine pour vous demander quand est-ce que vous allez vous caser.

Bizarrement certains d'entre nous on peut-être encore envie de rester encore un peu incasables.


Elle avait une vie parfaite sur le papier.

Un mari charmant, une petite fille adorable, la sécurité de l'emploi et une maison en construction.

Etrangement, je préférais mon insécurité professionnelle, sentimentale et foncière.


Je n'étais pas plus emballée que ça par l'idée de contracter un prêt sur trente ans, passer une partie de mes week-end chez ma belle-famille et devoir abandonner toute idée de sortie après 22H, pour cause d'enfant à aller coucher.


J'y viendrai sans doute, mais ce n'était pas le moment.


Nous avons encore envie de papillonner et dans le même temps de reposer ses ailes sur un socle.

Envie de rentrer sans se soucier de l'heure, des impératifs ou de quiconque à avertir, et en même temps envie d'être attendu.

Envie de conserver cette sacro sainte et précieuse indépendance, et envie de s'en laisser dérober quelques miettes, de jouer les oiseaux libres et d'être apprivoisés.

Envie de construire et de déstructurer.


Il n'y pas d'âge pour se caser, pas d'âge pour changer de vie, pas d'âge pour se mettre en danger.


A trente ans largement passés, certains de mes amis cherchent encore la femme de leur vie, pendant que d'autres se sont mariés à vingt ans et des poussières pour fonder un foyer rapidement.


J'aimais ces week-end que je scindais entre un samedi passé entre camarades de gueuze, à s'éterniser à des terrasses pour plus tard errer dans les bars de nuits et finir grisés, sans savoir réellement comment nous étions rentrés - le pilotage automatique étant parfois de règle, une certaine dose éthylique dépassée - et un dimanche passé au calme avec des amis et leur dernière née que j'adorais pouponner.



Nous tâchons vaguement d'être responsables, de donner le change.

Mais nous restons des gamins qui aimons à croire encore en nos rêves impossibles et pêinons à sortir de notre crise d'adulescence.


Des gamins qui se complaisent dans un cynisme qui peine parfois à masquer leur idéalisme clandestin et leur innocence désenchantée.


Des gamins qui facturent plusieurs heures par jour mais qui redoutent le mauvais point quand ils n'ont pas fait correctement leurs devoirs.


Des gamins capables à la fois de saisir un col des mains pour croquer des babines alléchantes, et d'être interdits de timidité comme des adolescents qui laisseraient à l'être convoité un mot écrit sur une feuille de bloc note dans un cartable.



Il y a dix ans, le seul courrier que je recevais se résumait à quelques lettres, écrites au bic multicouleurs sur des feuilles de classeur. Aujourd'hui, je ne trouve quasiment plus que des factures sous ma porte.


Certains d'entre nous n'ont pas pour autant cessé de faire fonctionner leur imaginaire débordant, comme lorsque sur un même parquet de chambre d'enfant se rencontraient playmobils, poupées mannequins et robots maléfiques, dans des histoires invraisemblables et rocambolesques.


Nous ne savons toujours pas ce que nous voulons, mais nous savons ce que nous ne voulons pas, tels des Romain Duris cantonnés dans leurs rôles d'éternels grands adolescents immatures.


Un jour on se mariera, et on aura des enfants, parce que finalement, l'aventure nous tente aussi.

Pas avec Papa ou Maman, car on a depuis un moment classé notre Œdipe / Electre.

Peut-être demain, peut-être dans un an, peut-être dans dix ans.


Mais entre temps nous continuons de faire siffler des brins d'herbes entre nos deux pouces réunis, de brailler sur des jeux musicaux, d'en taper cinq à Tic et Tac quand on les croise au hasard de Mainstreet, Marne la Vallée, de nous renfoncer dans nos lits et de serrer nos coussins entre nos bras d'émotion devant un film, de récupérer des mobylettes usagées dans des vieux hangars pour faire du cirque dans le quartier, de récupérer des scooters un peu moins usagés chez des concessionnaires pour faire les beaux dans les arrondissements branchés, de faire des châteaux de sable qui n'attendent que la marée pour voir leurs douves emplies d'eau de mer, de rougir devant cette envoûtant être qui est loin de vous rendre indifférent, de jouer les groupies arborant fièrement leurs badges au concert de leur groupe préféré, de faire des expériences culinaires improbables, de croire que tout est encore possible et que tout est encore à faire.


Bélier :

"Vous êtes à la fois réservé et énergique, grave et enthousiaste, mais vous savez toujours ce que vous voulez". Pour une fois l'horoscope matinal de ce quotidien gratuit semble me seoir à merveille.


J'écoute cette reprise de Tom Waits qui avait fait briller mes yeux la première fois que je l'avais écoutée, et qui me fait toujours autant vibrer. Il est 8H et je n'ai aucune envie d'aller travailler, je préférerais nettement rester lézarder devant des dessins animés en mangeant un bol de corn flakes bourrés de colorants et d'arômes artificiels.


"When I see the 5 o'clock news
I don't wanna grow up
Comb their hair and shine their shoes
I don't wanna grow up
Stay around in my old hometown
I don't wanna put no money down
I don't wanna get me a big old loan
Work them fingers to the bone
I don't wanna float a broom
Fall in love and get married then boom
How the hell did I get here so soon
I don't wanna grow up
".