vendredi 31 décembre 2010

Lovers in Japan : Pierrick et Hifumi.

Dans le billet précédent, vous avez pu croiser certains personnages qui méritaient que l'on s'y attarde un peu plus. Leurs mini-histoires vous accompagneront donc jusqu'en 2011.


Pierrick était un hobbit timide.

Non que les hobbits soient particulièrement farouches de nature, ils seraient même plutôt festifs. Mais Pierrick était un peu différent. Toujours en retrait.


Déjà peu expansif lorsqu'il était hobbit chez les hobbits, il était devenu d'autant plus discret lorsqu'il était devenu jeune actif parmi les Grandes Gens. La population masculine, devenue glabre avait gagné quelques centimètres. Pierrick était petit et capillairement généreux. Il s’était même laissé pousser la barbe, chose qui était peu commune chez les siens.

Etait-ce son allure pouparde ou ses yeux de corniaud battu cachés derrière d’immenses lunettes d’un autre âge, sa petite bouche perdue dans sa jeune barbe en friche ou ses mains charnues qui ne trouvaient jamais où se ranger, Pierrick était naturellement attachant malgré son caractère sauvage, si bien qu’il était tout simplement impossible de ne pas s’adoucir lorsque l’on devait s’adresser à lui.


Il passait ses journées à coder des lignes sibyllines au commun des mortels. Un langage que seuls les gens de son espèce pouvaient comprendre. La nuit, il lisait, énormément. Et depuis quelques mois, il s'était pris à écrire les histoires qu'on ne voulait pas lui raconter. Des romans à mi-chemin entre l'heroic fantasy et les comédies romantiques. Des amours impossibles entre sirènes et centaures, trolls et fées. Un jour ses scenarii se réaliseraient, il voulait y croire.


Le jour où il rencontra Hifumi, il prenait un train de banlieue bien réel. Ce train qui déposait ingénieurs et jeunes cadres dans une Silicon valley gaulloise, et, plus loin, les touristes avides d'Histoire française.


Elle était assise face à lui et riait avec son amie.


Il avait croisé beaucoup de jeunes femmes asiatiques sur ce trajet. Mais aucune d'entre elles n'avait cette lumière si particulière. L'empire du soleil n'avait jamais aussi bien porté son nom.


Cependant Pierrick était un garçon timide, terriblement timide.


Heureusement pour lui, Hifumi et son amie étaient un peu perdues, et elle lui demanda quel trajet prendre pour la ville.

Prenant un peu d’assurance de par sa nouvelle qualité de guide touristique, il lui indiqua le trajet le plus adéquat, puis lui conseilla certains endroits à voir.

Hifumi souriait.
Pierrick pouvait deviner des mains adorables sous ses gants minuscules.

Il est une chose surprenante que l’on constate aujourd’hui régulièrement l’attrait des jeune hommes férus d’informatique et de mondes imaginaires pour les frêles Asiates. Etait-ce l’influence de ces recueils illustrés japonais, nul ne le savait, mais on pouvait croiser fréquemment ces couples au hasard des rues.

- C’est quoi votre prénom ?
- Hifumi.
- Hifumi… comme le jeu ?
- Le jeu ?
- Le jeu Pierre-feuille-ciseaux. Certains disent que Cela viendrait du japonais hi-fu-mi, un-deux-trois, en français on dit Chifoumi. Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’il existe des variantes intéressantes, à cinq ou six composantes, et que ce jeu est une illustration économique notable du théorème fondamental de Von Neumann sur… peu importe ça ne va pas vous intéresser.


- Vous êtes drôle.

Pierrick savait qu’il ennuyait parfois son entourage avec ses références nébuleuses, et ses explications que personne ne voulait connaître. Mais Hifumi, cela la faisait rire.

- Vous ressemblez à la Princesse Nidrysse dans le Royaume des Hippocampes.

Elle n’avait manifestement pas saisi que la comparaison était flatteuse, mais semblait amusée.

- Vous savez qu’elle a le pouvoir de l’eau. C’est la plus douce des quatre filles du roi Ankar, celle qui guidera les chevaliers errants à travers le monde des Merodéens jusqu’à la grotte du Dieu Röth, gardien des huit coffres sacrés...

Une fois encore, Pierrick comprit qu’il devait peut-être s’arrêter là dans ses développements.

Il fut de toute façon interrompu par l’arrivée à la station de Hifumi.

Ils devaient se séparer là.


Pris d’un courage inédit, il lui demanda son adresse e-mail, pour garder au contact, au cas où il irait à Osaka un jour.


Il se montra patient, se retînt de la contacter trop rapidement, puis lui écrivit, quelques semaines plus tard.

Elle lui répondit.

Pendant des mois, ils s’échangèrent e-mails, morceaux de musique, références de cinéma d’art et d’essai, jusqu’à ce qu’elle l’invite à le rejoindre pendant une semaine.

Là où le soleil se lèverait, tous les jours désormais.

mercredi 29 décembre 2010

« I KNOW WHAT A PRINCE AND LOVER OUGHT TO BE »


Spin Doctors - Two Princes

"Avant eux l'homme était un prince
La femme une princesse, l'amour une province
Mais ils sont arrivés, le prince est un mendiant
La province se meurt, la princesse se vend
Car ils ont inventé l'amour qui est un péché
L'amour qui est une affaire, le marché aux pucelles
Le droit de courte-cuisse et les mères maquerelles
Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
Les singes, les singes, les singes de mon quartier
"

Les singes, Jacques Brel.


Il était une fois une très belle princesse.
Une de ces princesses pour qui colibris, pinsons et rouges-gorges chantaient de concert chaque matin que Dieu faisait pour lui rendre le réveil plus agréable.
Une de ces princesses aux traits délicats et à la voix angélique.
Une de ces princesses dont le charme n’avait d’égal que la douceur de ses paroles.


« J’ai sooooooooooooooooooooif !!!!!!»


Aimée, les cheveux en pagaille et la couronne chancelante, venait d’entrer dans la cuisine, la démarche tanguante.


Le personnel s’activa alors pour lui servir sa boisson préférée au réveil, une vodka-chicorée.



La destinée d’Aimée avait basculé alors qu’elle sortait à peine de l’adolescence, à l’âge où la tradition aurait voulu qu’une marâtre aigrie et jalouse l’enfermât dans un dongeon cruel.


Lorsqu’elle n’était encore qu’un frêle poupon, sept fées s’étaient penchées sur le berceau de la belle Aimée de la Maison du Vin, certaines bienfaisantes, d’autres plus néfastes.


La première des fées, Licité, lui assura un bonheur à vie.
Conde lui fit le don d’une imagination débordante.
Rybôte lui offrit le goût du voyage.
Minine fit en sorte qu’elle sache toujours mettre sa beauté en valeur.


Mais il fallait également compter parmi les fées Brile, qui décida qu’Aimée serait un peu lunatique. Rocité qui la fit hargneuse. Enfin, Tiche la rendit avide de toutes les nouveautés qui seraient à la mode selon Fairypolitan.


Cela n’avait pas fait d’Aimée une enfant facile.
Elle pouvait se montrer parfois douce, parfois capricieuse.


La veille de ses quinze ans, jour qui, elle l’ignorait, devait être synonyme de son enfermement pour plusieurs années, elle partit se balader dans la forêt, malgré l’interdiction qui lui en avait été faite.


Les fées, qui ne pouvaient l’empêcher de n’en faire qu’à sa tête, décidèrent de l’accompagner.


Au hasard d’une clairière, elle y fit la connaissance de sept nains.
Le nain Submersible, dont on disait qu’il pouvait boire des litres entiers d’eau de baies des bois sans jamais vaciller,
L’Oursin, le plus radin,
Moi-je, le plus orgueilleux, et son ami Toi-tu, le plus envieux,
Le nain rockuptible, le plus débauché.
Le magicien, adepte du bonto et des tours de passe-passe,
Et enfin Passe-partout, qui avait été recueilli après un licenciement économique subi en Charente-Maritime.


Tout ce petit monde batifola dans une fête des plus perlées et pailletées, une de ces fêtes que l’on appelait à la clairière les « sequine parties ».


Le lendemain matin, il ne restait plus des cris et des clameurs que le silence de l’aurore apaisée de ces excès.


Les fées, quelque peu groggies des festivités de la veille, se mirent en quête de la belle Aimée, et s’inquiétèrent de ne point la voir.


C’est dans un amas de coussins et autres polochons qu’elles la retrouvèrent finalement endormie.


Malgré tous leurs efforts, impossible de la réveiller.


Elles la ramenèrent alors au Palais.


Le père d’Aimée fit immédiatement venir le druide Cymesse.
Le diagnostic fut immédiat.
« Votre fille a voulu jouer à Hippocrate sans en connaître les règles. Les analyses sont formelles, on lui a probablement fait ingurgiter un cocktail de Goyave-Harissa-Banane pour pouvoir mieux profiter d’elle. Elle est plongée dans un profond sommeil il n’y a plus qu’à attendre ».


« Et le baiser d’un Prince ?»


« Vous pouvez toujours essayer, mais l’OMS le déconseille aujourd’hui, trop de risques de transmission de virus».


Le père d’Aimée fit néanmoins venir tous les Princes du royaume.
Aucun ne parvint à la sortir de sa narcose profonde.


Ce qui ressemblait à un ange blanc se présenta un matin, prétendant pouvoir la réveiller.
Dans un premier temps circonspect, le père de la princesse se résolut finalement à laisser le jeune homme tenter sa chance.


Il sortir de son sac à dos ce qui ressemblait à deux fers à repasser, et les apposa sur la princesse.
- Un, deux, trois, on recule !
Aimée sursauta.
- Un, deux, trois, on recule !
Nouveau sursaut. Cette fois, la princesse ouvrait les yeux.


- Mon Dieu, est-ce vous mon prince ? Vous m’avez embrassée ?
- Ah non, ça c’est un défibrillateur, plus efficace. Faites lui 100 mg d’adré, NFS, chimie, iono, gaz des sangs et une recherche de toxiques. Rapportez un flacon de plasma et du O neg, y a pas de plaie apparente mais on sait jamais ce qui a pu se passer dans ce quartier chaud du royaume.
- Quel est votre nom ?
- Michel Berger. Enfin, Docteur Shepherd pour les américains.
- Vous êtes mon prince alors ?
- Non, juste l’urgentiste de garde. Bon j’y vais j’ai d’autres gamins à sortir de leurs comas éthyliques. Vous la ferez voir un psy, je pense qu’elle est traumatisée.


Contre toutes attentes, et surtout celles de sa belle-mère, Aimée revenait donc à la vie.


Mais en se dévergondant avec les fées, elle avait perdu le bénéfice de leur protection.
Ses parents en étaient bien conscients, qui savaient combien il était difficile de recaser une princesse d’occasion.


C’était donc seule à présent qu’elle devait affronter la vie.


Son père voulait qu’elle s’inscrive à la Faculté et qu’elle se trouve un prétendant, tandis qu’elle ne rêvait que de chanter toute la journée.


Il décida de la laisser vivre sa jeunesse, la couvrant de cadeaux, lui offrant les plus grands palaces.


Lâchée par ses bonnes fées, elle se faisait sa propre éducation au gré de rencontres plus au moins heureuses.



Elle passait son temps dans les soirées de la jeunesse dorée, emportée par les poudres magiques que les marchands de passage lui offraient.


Alors qu’elle approchait de ses trente ans, ses préoccupations commencèrent à se rapprocher de celles de son père.


Elle regarda son fidèle ami le miroir.
« Miroir bon beau miroir, dis moi qui est la plus belle ? »
« Je ne sais pas qui est la plus belle, mais je sais qu’il serait temps que vous mettiez de l’anticernes et que vous m’arrachiez ce vilain cheveu blanc ».
« Un cheveu blanc ?»
« Et Scarlett Johansson, pour votre autre question ».


Elle se rendait compte qu’elle venait d’un milieu dans lequel il était de bon ton de se marier jeune, et que si elle laissait trop de temps passer, plus aucun prince ne serait disponible sur le marché du gotha.


Peut-être était-il temps qu’elle se trouve un Adonis.


Elle s’inscrivit alors sur adopteunprince.com
Mais il n’y avait là que des princes de passages qui n’en voulaient qu’à son royal séant.


Elle alla au Bal des Princesses.
Mais elle comprit vite que bon nombre de roturiers s’étaient infiltrés dans la soirée.


Son père eut alors une idée ultime.
Les sujets du royaume avaient besoin de rêver, et l’économie d’être relancée à grands coups de vaisselle estampillée à l’effigie d’un nouveau couple royal.


Le roi accepta donc la proposition d’un lutin appelé Lomedne, d’inscrire Aimée à l’émission
« Qui veut épouser ma [vieille] fille ? ».


A grands renforts de tapage médiatique, toute la population se prit à suivre les aventures d’Aimée.


Elle y rencontra des champions olympiques, des héritiers, des hommes d’affaires, des politiques, des mollusques décérébrés.


L’émission fut ponctuée des scandales habituels qui sont l’apanage de la vie d’une princesse moderne. Couvertures de magazines osés, clichés compromettants, témoignages d’anciennes conquêtes, réclames douteuses pour des yaourts bulgares.


A deux semaines de la fin de l’émission, il restait plus que quatre prétendants : Augustin, Paul-Anders, Pierrick et Clémentine.


« Clémentine ? »
« Oui ma chérie, c'est une sirène. N’oublie pas que le royaume a besoin du soutien de la LGBT aujourd’hui plus que jamais ».
La LGBT. L’association des lutins, griffons, bigfoot et transcréatures (tels que les sirènes, licornes et loups garous…).
Aimée devait aussi faire avec les diktats télévisuels en matière de quotas.


« Et qu’as tu fait de Justin le Berbère? »
« Ma chérie je t’ai déjà dit qu’il était hors de question que tu épouse un intermittent, tout prince de la pop soit-il. Tu nous as ramenés suffisamment de photographes, saltimbanques et autres bardes et pour que nous soyons convaincus qu’ils n’étaient pas ton avenir et n’en voulaient qu’à ta fortune».


Des prétendants restants, Paul-Anders était sans aucun doute le plus fort.
Héritier suédois d’une grande fabrique de meubles en bois, il passait ses journées à pratiquer la lutte quand il ne coupait pas du bois. Son seul point faible est qu’il était extrêmement taciturne.
Ce qui lui donnait certes un air mystérieux, mais mettait dans l’embarras Aimée qui ne parvenait à le sonder.


Il ne parlait que de deux choses : la lutte, et le bois.
Quand Aimée lui racontait son enfance, il lui parla de sa première hache.
Quand il dut choisir une sortie, il l’emmena voir une scierie.
Il n’avait rien contre elle, mais il avait autre chose à faire et se demandait un peu ce qu’il faisait là.


Augustin était le candidat préféré du Roi.
Prétendant télévisuel idéal, il était suffisamment beau de sa personne, spirituel et drôle pour séduire les téléspectatrices qui suivaient l'émission, avec cette part calculée d’anciennes amours contrariées qui lui donnait juste ce qu'il fallait d'humanité pour qu'il ne soit pas qu'un personnage de carton pâte.


C’était le plus poli des princes, et toutes les grands-mères du royaume l’avaient déjà adopté comme futur Prince consort.


Fraichement sorti d'une école de commerce renommée, il passait une partie de ses nuits dans les lieux branchés des capitales du monde, l'autre partie étant consacrée aux jeunes femmes qu'il ramenait dans sa chambre d'hôtel. Du moins c'est ce qu'il se plaisait à raconter.
A l’occasion, il tuait quelques dragons, de part et d’autres du globe.


Des nombreux dons dont l’avaient gratifié les fées à sa naissance, il avait la chance d’avoir assez de quatre heures de sommeil par nuit pout être frais et dispos, ce qui lui donnait l’assurance de pouvoir déjeuner en famille le dimanche midi avec une répartie impeccable.


Il emmena Aimée dans le club où il avait été DJ résident.
Les DJ, ces nouveaux papes de la coolitude citadine, électro boys perchés sur leurs estrades nocturnes, inaccessibles apollons des platines.


Aimée dansa une bonne partie de la nuit, non mécontente d’être la seule à figurer à ses côtés. Puis elle commença à s’ennuyer. Pavanant en jouant de ses disques, il était quelque peu absent.


Vers quatre heures, ils s’éclipsèrent.
Selon Augustin, c’était l’heure à laquelle il fallait rentrer. Après, il ne se passait plus rien d’intéressant.


Il héla un taxi.


D’ordinaire, Aimée aurait probablement défait sa cravate sur la banquette arrière et aurait ouvert sa chemise avant de descendre du taxi. Mais ce soir là, elle était un peu trop ivre pour être entreprenante.


Augustin n’avait d’autre choix que de la raccompagner.


Il l’aida à trouver ses clés, et la laissa au majordome.


Le lendemain, face à sa vodka-chicorée, Aimée scrutait son téléphone.


« Sale connard!!! »
« Je vous en prie Votre Altesse, surveillez votre langage ! »
« Ton Altesse elle t’emmeeeeeeeeeerde ! Pas de texto, rien!»
« Votre Altesse, pour vous envoyer un texto, encore eût-il fallut qu’il ait votre numéro, or je doute que vous ayez été dans la capacité de… »
« Fils de pute !»
« Votre Altesse ! Dites fils de gourgandine ».


Le personnel avait pris l’habitude des écarts de langage d’Aimée, mais essayait néanmoins de la reprendre quotidiennement, tout en ayant conscience que c’était une cause perdue.




« Allez, reprenez-vous, vous devez être en forme pour votre troisième rendez-vous ».


Le soir venu, Aimée ne put cacher un sursaut de surprise à la vue de son prétendant.
Pierrick était un petit hobbit barbu à lunettes, féru d’informatique.
En quelques années, il avait construit un empire de serveurs http.
Plutôt discret et timide, il était très maladroit dès qu’il s’agissait d’aborder une jeune femme.


Aimée cacha une forme de dégoût lorsque la main moite de Pierrick s’empara de la sienne pour effleurer un baisemain.


Pierrick était probablement le plus gentil, le plus serviable de tous les prétendants.
Mais il ennuyait terriblement Aimée.
Pourtant, il bénéficiait de l’affection des téléspectateurs, qui suivaient ses maladresses et ses erreurs de débutant.


Aimée avait hâte que l’aventure se termine. Paul-Anders serait reparti couper du bois, Augustin tuer des dragons dans tous les pays du monde et Pierrick et ses pieds poilus auraient codé des programmes pour rendre le monde meilleur.


Il lui restait une soirée à passer avec les trois.
Elle n’avait d’autre choix que d’en choisir un, qui deviendrait son époux à l’issue d’une cérémonie télévisuelle suivie par des millions de téléspectateurs.


Elle les emmena sur une île du Pacifique.
Là où il n’y aurait pas de bois à couper, pas de disques à passer, pas de lignes à coder et aucun dragon à tuer.


La première demi-heure du dîner lui parut interminable.
Les trois prétendants, qui n’avaient rien en commun, étaient terriblement silencieux.


Et puis, l’alcool déliant les langues, Paul-Anders se montra plus prolixe, Augustin plus modeste et Pierrick plus sociable. Ce qui aurait pu être un combat de coqs tourna en réunion d’anciens combattants, décontenançant Aimée qui se sentait des plus exclue et quitta la table précipitamment.


« Qu’est-ce qu’elle a l’autre ? »
« Aucune idée. Bon, tu nous ressers ? »


Aimée se servit une triple vodka dans la cuisine et revient en furie, armée de sa bouteille.


« Je suis une princeeeeeeeesse! »
« Aimée, veuillez poser cette bouteille vous risquez de vous blesser » lança Augustin.
« Je m’en fous ! Vous êtes là pour me séduire ! Pour me faire la cour, pour me dire des poèmes, pour me chanter des chansons d’amour ! »
« Mais, belle Aimée, vous ne sembliez pas emportée cela nous a découragés, quoique nous fassions, ce n’est jamais assez bien pour vous, vous avez tous vu, tout entendu, rien ne vous surprend et ne peut vous couvrir de cadeaux puisque vous avez déjà tout »…


Aimée, le mascara dégoulinant le long de ses joues, pointa successivement sa bouteille sur chacun des princes.
« Toi, toi t’es un gros naze, tout ce que tu sais faire c’est couper du bois, t’as même pas remarqué que j’avais changé de coiffure, rien, aucun compliment ! Et toi, toi t’es bon à faire des beaux discours, mais dès qu’il s’agit de rappeler aaaaah y a plus personne hein ! Et toi mais merde sois un mec, prends toi en main et viens me rouler une putain de pelle si t’es un homme, fais moi rêver bordel ! ».


Les trois princes restèrent interdits face à tant de fureur.


« J’en ai marre de tout faire dans ce putain de royaume de merde ! Je veux un prince qui me trouve le seul escarpin Manolo Blahnik qui ira à mon pied, je veux qu’il m’écrive des sonnets tous les jours que Dieu fait, je veux qu’il m’envoie des pigeons voyageurs tous les soirs pour me prévenir de l’heure à laquelle il compte rentrer, je veux qu’il me dise que je suis plus belle que Scarlett Johansson, je suis Aimée, et je suis une princesse, merde ! ».


Aimée s’effondra en pleurs sur la première chaise qui s’offrit à elle.


Au loin, une silhouette s’avançait vers le groupe.


« Qui êtes-vous ? »
« La présentatrice, ta marraine. Je crois qu’il est temps que tout ce petit monde se mette à discuter ».


Et en quelques minutes, la paillotte se transforma en cercle d’épanchements d’amoureux anonymes. Les garçons racontèrent à Aimée qu’ils ne savaient plus comment se comporter avec les filles comme elles. Paul-Anders expliqua qu’il était plus inquiet de l’avenir économique de sa société de meubles en bois et des licenciements économiques à venir que de son statut sentimental. Augustin avoua que sous ses atours de beau-parleur, il était incapable de toute action intelligente dès qu’une jeune femme avec un peu de jugeote l’approchait. Quant à Pierrick, il impressionna l’assemblée par le recul qu’il avait sur les rapports humains, expliquant qu’il venait d’écrire un film sur le sujet.


Aimée raconta qu’elle aurait voulu ne jamais commencer à faire n’importe quoi.
Que tout ce qu’elle voulait, c’était se balader avec son prince en carospace (un carosse à sept places) avec deux griffons et un pull sur les épaules le dimanche.


La marraine revint vers Aimée.
« Si tu veux que toute cette mascarade prenne fin, il suffit que tu prononces trois fois le nom du lutin qui t’a emmenée ici, à l’envers. Et tout reprendra forme, comme si le jour de tes quinze ans tu n’étais jamais partie te promener.
Toutes ces couvertures de magazine disparaîtront, tu seras de nouveau la princesse la plus convoitée et tu auras retrouvé toute ta pureté ».


Aimée hésita quelques secondes, regardant le lutin Lomedne qui l’implorait de ne pas détruire tous ses investissements.


« Endemol, endemol, endemol… »


Aimée regarda la pièce. Rien n’avait changé.


« Je ne comprends pas. Vous êtes toujours là, je suis toujours là ».


« Cela veut dire que tu ne veux pas vraiment que les choses changent ».


Et à bien y réfléchir, c’était vrai.
Si Aimée regrettait parfois d’avoir fait un peu n’importe quoi, elle ne pouvait s’empêcher de penser que sa vie aurait été terriblement ennuyeuse si elle avait dû attendre, du haut de sa tour d’ivoire, qu’un prince vienne la délivrer pour faire d’elle une princesse au foyer désespérée.


Peut-être écarterait-elle quelques faux pas, mais elle ne regrettait aucune de ses erreurs de jeunesse.


Aimée laissa là ses prétendants et décida de partir en cure au Priory, près de Londres, pour se remettre les idées en place une bonne fois pour toutes.


Aux dernières nouvelles, on murmure qu’Augustin aurait épousé une sage et sobre professeur de philosophie, que Pierrick serait tombé sous le charme de l’actrice japonaise héroïne de son dernier long-métrage et que Paul se serait mis en ménage avec un designer suédois.


Quant à Aimée, devenue éditrice, elle s’est mariée avec un agent immobilier, spécialisé dans les manoirs ibériques. Lassée de le voir bâtir des châteaux en Espagne, elle a finalement divorcé, ce qui n’était que le début d’une longue listes de mariages, qui assurèrent des couvertures aux journaux à scandales pour des années, et par là même, la pérennité économique du royaume pour longtemps.

Ecouter "Il était un Prince" par Astrée

lundi 22 novembre 2010

GIVE PIZZ A CHANCE


Grün grün grün sind alle meine pizzas...

N'en déplaise à Jeanne Mas, pour être tendance aujourd'hui, il faut être vert.

Ainsi Marion Cotillard qui s'achète un petit bout de forêt amazonienne, parce que c'est tellement plus in que le pot de géraniums sur la fenêtre.

On est vert dans sa façon de se déplacer, de consommer, de se restaurer.

C'est le nouveau noir.

Et un constat s'impose : canard, olive, anis, pin, amande, pomme, absinthe, sauge, bouteille, le vert appelle le culinaire.

Si les restaurants bio sont en plein essor, peu d'enseignes de restauration rapide présentent une alternative satisfaisante.

En 2008, Marc Veyrat lance Cozna Vera, son fast food bio annécien.

Cojean, Exki ou Bert’s s’engouffrent dans la brèche.

Les fondateurs de GreenPizz brainstorment de leur côté sur un Grenelle de la pizza comme « projet de fin d'école ».

Peut-être au préalable avaient-il fait appel au spin doctor Jacques Attali, qui définit la pizza comme un plat universel, car se limitant à une base commune sur laquelle chacun peut « disposer, agencer et exprimer sa différence ».[1]

La pizza comme symbole de la "globalocalisation", mot-valise désignant l'adaptation du global au local, la mondialisation adaptée aux spécificités d'un pays.

Alors que le « repas gastronomique des français » vient d’entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO, et le fooding de fêter ses dix ans, Greenpizz a su s’emparer de la pizza pour l’adapter aux us français, s’en démarquer pour créer une alternative saine et tricolore.

Et le constat est là, de la simple galette napée du boulanger napolitain, il ne reste plus grand chose.

Fraîchement sortis de l’ESCP-Europe, Philippe Lafon et Armel Jacquet auraient pu acheter un camion-pizza d’occasion sur leboncoin.fr et s’installer à la sortie de la station Grands Boulevards, après avoir embauché un cuisinier sans papier peinant à imiter un accent italien douteux.

Ils ont préféré prendre un virage à 180° (ce qui, sur une Quatre Fromages nous emmène non de Charybde en Scylla mais de chèvre en gorgonzola).

Ils ont ainsi fait appel à Alexandre Giesbert, jeune major de l'ESCF – Ferrandi ayant fait ses armes auprès d’étoilés de renom (Pierre Gagnaire, Eric Briffard ou encore le bistronome Christian Etchebest).

Ni une ni deux, le trio lance la "Pizz".

Car il faut être précis sur le produit, on vous servira des "pizz" et non des pizzas.

Première différence : les pizz’ sont ovales.

Je ne pus m’empêcher de m’interroger sur cette audace ovoïdesque. Hommage à l’imaginaire rugbystique ? Lubie d’un designer parisien inspiré par l’esthétique 70’s ? Manque de moyens pour s’acheter des assiettes et obligation de faire rentrer la pizza sur une ardoise ?

Investigatrice chevronnée, je questionnai Alexandre sur ce point.

« J't'en pose des questions... Ben elles sont pas rondes parce que ce sont pas des pizzas ».

Forcément, à question idiote réponse simple.

Mais il ne s’agit pas là que d’une question de forme.

De la farine semi complète à base de blé, de son et d’épeautre, à la place de la farine de blé, des sauces mijotées et colorées, de bons ingrédients frais et bien de chez nous.

Ensuite, chez GreenPizz, au-delà de la cuisine, le développement durable est partout.

Les emballages sont en matériaux biodégradables.

Les scooters sont électriques.

Le tri est sélectif (jusque dans la clientèle, vous diront Philippe et Armel).

Le midi s'y pressent les cadres pressés, lassés de Cojean et Kayser.

Le soir s'y retrouvent couples et amis.

Car quand on va chez GreenPizz, on est comme chez de vieilles connaissances aux petits soins pour vous, qui partageront à l'occasion un verre de vin bio une fois leur service terminé. Vous y retrouverez en salle Armel, l'oignon Nouveaux, le doux, le serein ; Philippe, le Piment, ardent et passionné ; et en cuisine, l'Artishow , Alexandre le Grand, l'ours grognard et virtuose, conquérant prometteur de l’audace culinaire, peintre en saveurs fines et fraîches.

En outre, il n'y a pas lieu de culpabiliser.

Remplacer la sacro-sainte salade par un passage chez GreenPizz n'est pas plus dommageable pour la ligne.

Vous y trouverez des Pizz 20 à 40% moins caloriques que des pizzas classiques, riches en fibres.

Et puis si vous tenez vraiment à votre salade, des salades, il y en a aussi.

Le succès est donc au rendez-vous, et les people ne s'y trompent pas.

On a ainsi pu voir à la table de GreenPizz, entre autres le bobo Arthur H ou l'ultra-tendance djette Tania Bruna-Rosso.

Et puis, qu’on se le dise, l’enseigne bénéficie de la bénédiction de Gilles Pudlowski et depuis récemment du Gault et Millau, excusez du peu.

Les choix d'Astrée?

La Fourmidable, pour la douceur de ses figues. Et puis, c'est Martin Piot qui le dit, “Le nouveau vert, c'est le bleu”, alors vive la fourme d'ambert.

L'Euskadi, basque et caractérielle.

La All Green, parce qu'elle est toute verte, et que c'est rudement joli.

La Boréale, parce qu'au saumon, elle pourrait devenir votre préférée.

La Chevrotine, parce que chèvre miel et pignons de pins c'est un peu Daudet qui nous est conté.

La Rasta Roquette, pour sa mozza et euh… sa roquette.

N'ayez crainte, si vous avez peur de l'innovation, vous retrouverez toujours la Tante Marguerite, aux couleurs de l'Italie, la Reine d'un Jour ou encore une adaptation maison de la Pissaladière.

De jolies douceurs vous attendront enfin tels que les tendres cookies (j’en suis fan), la pana cotta vanillée ou le savoureux crémeux au chocolat.

Alors à votre prochain passage dans le 9ème, passez par la rue Cadet, voir si la Pizz est plus verte dans le Potager des garçons d'à côté.

Vous tomberez alors peut-être pizz & love, car dixit Aldo, "l'amour c'est comme une pizza".


[1] Fraternités – une nouvelle utopie, Jacques Attali, Fayard



GREENPIZZ

8, rue Cadet 75009 PARIS

M° Grands Boulevards, Le Peletier ou Cadet

Livraison dans un rayon d'1 km.

http://www.greenpizz.com




dimanche 17 octobre 2010

Fondant en sol majeur






"Un osso buco du marquis pour la 12"!


En cuisine, commis et serveurs se pressaient dans un ballet continu et intense. Une ruche dont les ouvriers parvenaient à s'affairer avec une rapidité extrême sans jamais se marcher sur les pieds.




Guilhem y travaillait depuis cinq ans.


Cinq ans de réveil qui sonne à six heures du matin. Cinq ans de semaines de six jours. Cinq ans de cartes qui changent au gré des saisons. Cinq ans de ris de veau au poivre de Kampot et d'émulsion de gelée royale aux noix de Madagascar.






Claudine venait ici depuis des années. Elle aimait y retrouver sa table, chaque jeudi midi.




Guilhem connaissait parfaitement ses goûts, la cuisson de viande qui lui seyait, les saveurs qu'elle préférait, et prenait garde à traiter personnellement ses commandes.




Ils ne se parlaient pas vraiment pour autant. Claudine n'était pas quelqu'un qui avait besoin de parler. Elle venait, prenait son repas, et repartait. De temps à autres ils échangeaient quelques mots. Cela convenait parfaitement à Guilhem.






Un jour, Claudine vint avec une jeune fille. Le serveur s'avança vers elle.

- Vous venez accompagnée aujourd'hui Madame de Feuzieres?

- Je vous présente ma petite fille, Emilia. Je me suis dit qu'il était temps que je lui fasse comprendre ce que haute gastronomie voulait dire.

- C'est tout à votre honneur, Madame.



Emilia était suffisamment bien élevée pour ne pas prendre un air exaspéré lorsque son aieulle lui donnait l'impression de la traiter comme une enfant. Elle n'en pensait pas moins pour autant.




Le serveur les plaça à la table habituelle de Claudine.

- Il est temps que tu apprennes à manger correctement ma petite fille. Tu ne te nourris pas comme il faut.

- Mais si grand-mère...




Emilia n'avait au demeurant rien contre les restaurants. Elle avait pris l'habitude d'y aller assez souvent. Les japonais du quartier étaient devenus ses cantines du midi, la brasserie de la rue Saumur ce qui restait du droit de visite de son père. Le soir elle se faisait des plateaux télé, ou sortait avec ses amis. Quant à sa Claudine, elle n'était pas de ces grand mères qui accueillent ravies leurs petits enfants en vacances. Elle aimait les recevoir certes, mais non s'en occuper. Elle considérait qu'elle n'était pas là pour pallier l'absence de leurs parents. Et puis, avec la fondation de son mari, elle avait autre chose à faire à présent.




- Est-ce que tu as enfin décidé de ce que tu comptais faire?

- Mais je fais quelque chose, je suis à la fac...

- Lettres modernes, tu comptes faire quoi avec cela? Ce n'est pas avec des livres que l'on maintient un navire à flot!

- Tu as étudié la philosophie il me semble pourtant.

- Certes, mais je fréquentais déjà ton grand-père, mon avenir était assuré. Aujourd'hui les femmes ne peuvent compter que sur elle-mêmes.




Pendant une bonne partie du repas, Claudine fit à Emilia l'un de ses discours sur le rôle de la femme dans les sociétés modernes. Alors qu'elle avait vécu la plus grande partie de sa vie exclusivement grâce aux revenus de son mari, elle mettait aujourd'hui un point d'honneur à promouvoir l'accomplissement personnel de ses petites-filles.




A la fin du repas, elle rappela le serveur après qu'elle avait réglé l'addition.



- Pourriez-vous demander à Guilhem de venir s'il vous plait?

- Je vais voir si cela est possible Madame.




Quelques minutes plus tard arriva Guilhem.

- Madame.

- Bonjour Guilhem, comment vous portez-vous?

- Bien, c'est un peu le feu là, mais ça tourne bien.

- Guilhem, je vous presente ma petite fille Emilia. Je voulais savoir si vous pouviez la prendre à l'essai en cuisine.

- Comment? répondit, surprise, Emilia.

- Ne m'interrompts pas ma chérie.

Guilhem regarda Claudine d'un air interdit.

- C'est à dire que je ne vois pas trop ce que je pourrais lui faire faire...

- Vous trouverez bien.


Claudine n'était pas de ces clientes qui ennuyait Guilhem par des caprices alambiqués tels qu'obtenir un gratin dauphinois sans pommes de terre et sans crème fraîche pour garder la ligne. Aussi, pour une fois qu'elle sollicitait de lui une faveur, il ne pouvait décemment pas la refuser.


- Commis de cuisine c'est un métier, et puis c'est un travail intense, je ne sais pas si...

- C'est entendu. Dois-je vous rappeler sans notre fondation vous seriez à la rue? Que c'est elle qui vous a offert une résonance médiatique telle, que vous êtes aujourd'hui dans les petits papiers de Simon et Pudlowski?

- Non madame.

- Bien, elle commence lundi.

- Et je n'ai pas mon mot à dire?

- Non. Ça te fera le plus grand bien de découvrir ce que veut dire le mot travail. Ton grand-père disait toujours, "pour apprécier le goût du caviar, il faut avoir mangé de la merde".

- Je vous remercie pour la merde s'indigna Guilhem.

- Vous avez très bien compris ce que je voulais dire mon petit Guilhem.




Guilhem n'appréciait pas d'être ainsi pris dans un étau.


Il était vrai que Madame de Feuzieres étant l'actionnaire principale de l'établissement, il aurait eu du mal à refuser une quelconque faveur à son égard. Mais il ne se sentait guère l'âme d'un moniteur et n'avait pas l'intention d'être le précepteur culinaire d'Emilia la journée durant.





Le lundi suivant, Emilia se présenta au restaurant.


Elle n'avait pas encore recommencé les cours, et se disait que si après deux jours, elle revenait parfaitement convaincue que le monde de la restauration ne lui convenait pas, sa grand-mère la laisserait en paix, pourvu qu'elle ait essayé et qu'elle se soit montrée volontaire.




Mais Claudine connaissait bien sa petite fille, et savait qu'une fois lancée, elle n'abandonnerait pas, car elle ne capitulait jamais devant quelque chose qu'elle avait commencé à entreprendre.




Le lundi qui suivait, Guilhem plaça Emilia à la plonge, et demanda à l'un des commis de s'occuper d'elle.


Au fond Emilia était une travailleuse, même si elle ne cacha pas son manque d'intérêt pour cette tache ingrate.


Le lendemain soir, alors qu'ils s'étaient ignorés deux jours durant, elle s'adressa enfin à Guilhem.


- Vous comptez me bizuter encore longtemps?

- De quel bizutage tu parles?

- Je suis censée faire un stage en cuisine, pas en Paic Citron.

- La cuisine commence et finit par du Paic citron.

- ...

- Ecoute, j'ai pas demandé à t'avoir ici moi.

- Oui mais maintenant je suis là, donc apprenez-moi quelque chose.

Guilhem la regarda, semblant maugréer quelques secondes.

- Bon. Tu sais faire des œufs Bénédictine?

- Des quoi?

- Bon sang mais à quoi cela te sert d'aller manger dans les meilleurs restaurants si tu ne sais pas faire la différence entre une belle de Boskoop et une Gala?

- Mais de quoi vous parlez?

- Ca va être long...







Guilhem l'affecta dans un premier temps à la préparation des entremets. Il devait reconnaitre que la petite mettait de la volonté à apprendre.




De loin, il l'observait suivre avec attention les consignes données par l'un des chefs de partie, scruter avec attention la quantité d'ingrédients nécessaires, mélanger consciencieusement l'appareil, déposer avec délicatesse les décorations dans les assiettes.




- Alors, comment cela se passe-t-il?

- Bien, je crois...

- Remue plus doucement, comme si tu berçais la pâte.

- Pourquoi, cela créée une réaction chimique particulière si je vais plus vite?

- Non, tu vas en mettre partout à côté, c'est tout.




Les jours passaient et Emilia semblait prendre goût à ce stage forcé.





Un après-midi, elle s'approcha de la table de Guilhem. Personne ne le dérangeait quand il déjeunait. C'était une convention tacite. Il mangeait seul, sans lecture, mais en musique.




Ce n'était pas par misanthropie, simplement parce qu'il s'agissait du seul moment où il pouvait avoir enfin un peu répit entre le bruit et le labeur.



Il n'avait rien contre ses semblables, mais il les préférait en salle, loin de son domaine.

A l'occasion il venait parler à certains d'entre eux, puis retournait dans sa tanière.




Quand aux femmes, elles n'étaient plus sa priorité.



Déjà, lorsque quelques années plus tôt il collectionnait les conquêtes et faisait régulièrement la tournée des grands ducs, elles ne faisaient que passer, comme des poissons frétillants dans les paluches d'un ours.



Non pas qu'il s'en désintéressât totalement, loin de là, mais il n'avait plus le temps pour cela. Il n'était pour autant jamais indifferent au passage d'un joli minois en salle, quand il avait le temps de sortir le museau de ses fourneaux. Il laissait venir.




Sans qu'il ne sache vraiment pourquoi, la petite le touchait. Alors quand s'avança versa sa table, craignant qu'il n'aboie tel un chien que l'on approcherait trop, il ne dit rien. Il continua à manger en silence. C'était un taiseux. Il aimait écrire, composer des tableaux de couleurs et de saveurs dans ses assiettes, mais était un piètre causeur. Quand il ne trouvait rien à dire, il préférait se taire, tout simplement. Meubler une conversation, c'était aussi superflu que noyer un poisson dans une sauce au beurre blanc.




- Ça a l'air bon? C'est quoi?

- Du pot au feu des familles...

- Ha? Ca ressemble à ça?

- Mais non. C'est de la carbonnade.

- Aaah...

- T'as jamais vu un pot au feu de ta vie toi?

- Je ne crois pas... Ce n'est pas le genre de choses que l'on mangeait...

- Comment veux-tu que je t'apprenne des compositions sophistiquées si tu ne comprends pas l'essentiel, si on ne t'a pas éduquée aux basiques?

Bon demain, tu viens faire le marché avec moi. On va commencer par le commencement.





Et il l'emmena sur le marché, caresser le persil, sentir les melons, découvrir panais, tétragorne cornue et autres légumes dont elles ne suspectait pas l'existence. Humer le rouge des cerises et l'orangé doux des melons que l'on pouvait deviner à travers leur carapace verte. Choisir tellines et pangas. Entendre la clameur populaire, les exhortations des commerçants.




- La cuisine, c'est une musique. Tu dois trouver quelles couleurs tu veux donner à ta composition, quelle tonalité tu veux apporter au palais. Oublie tes livres de recettes, laisse parler ton intuition, ton toucher, ta vue, écoute l'eau frémir, regarde tes oignons dorer. Un plat réussi doit satisfaire tous tes sens, et quand tu portes la fourchette à ta bouche, tu dois pouvoir entendre tous les instruments qui ont joué, admirer un tableau qui te touchera, car tu en auras observé tous les contours, toutes les nuances. Tu dois tendre vers la perfection en sachant que tu ne pourras jamais l'atteindre.

- C'est quoi pour toi la perfection?

- Elle n'existe pas, et c'est heureux car alors je n'aurais plus qu'à rendre mon tablier. Mais je peux te dire que la seule chose dont je ne parviendrai jamais à me rapprocher avec satisfaction c'est la tarte de ma grand-mère.

- C'est tout? Ca doit être simple pourtant...

- C'est simple. Mais il ne suffit pas de suivre un modus operandi. Elle avait le goût des pommes du jardin, de la confiture renfermée dans des bocaux Le Parfait, du beurre de baratte, de ses mains qui pétrissaient l'appareil en un boule parfaite. Tu pourras aller dans les plus grands restaurants, si tu ne retrouves pas ce goût du simple, de l'élémentaire, tu auras perdu l'essentiel de ce qui fait la cuisine.

- Pourquoi tu n'ouvres pas ton propre restaurant? Loin des grands mariages de riches familles libanaises et cocktails organisés par je ne sais quel aviation club?

- J'y reviendrai, un jour...

- Pourquoi un jour? Qu'est-ce que tu attends?

- Je ne sais pas, à force de fréquenter ce type de clientèle j'ai peut-être perdu ma foi gastronomique, l'envie de défendre une école du goût propre à ce que je suis.

- Il n'est pas trop tard.

- Qu'est-ce que tu sais du haut de tes vingt ans et des poussières? Ca t'a amusée pendant quelques jours de jouer les "Martine fait la cuisine", mais tu ne te rends pas compte du sacrifice que cela représente. La cuisine est une compagne exigeante. Il faut lui accorder toute ton attention. Si tu la délaisse un peu trop, elle s’affadira, se ternira, ne sera plus qu’un élément de ton paysage quotidien. Mais si tu prends soin d’elle, elle attisera ta curiosité, te séduira te chatouillera, t’embrassera, t’emportera, s’emparera de tous tes sens, te surprendra jour après jour, te donnera des moments de jouissance uniques. Elle peut être forte et sensuelle, tendre et rassurante, ou égrillarde et provocante. Tu crois l’avoir possédée mais te rends compte que jamais tu n’en feras le tour.

Emilia était quelque peu troublée par ces derniers propos.

- C'est vrai, je n'y connais pas grand chose, mais je sais que si tu ne le fais pas maintenant, tu ne le feras jamais. Et je sais aussi que tu m'as donné le goût des bistros aux menus du jour à 15€. Accessible. Simple. Savoureux.





Le stage toucha à sa fin quelques semaines plus tard. Claudine revînt prendre le thé au restaurant, Emilia sortit de la cuisine pour la rejoindre.

- Alors? Cela t'a plu?

- Beaucoup grand-mère. Souhaites-tu accompagner ton thé d'une pâtisserie?

- Aaaah j'ai oublié mes lunettes...

- Ce n'est pas grave, laisse parler ton intuition.

- Comment?

- Ose rester un peu dans le flou, tu seras plus facilement surprise.

- Je n'ai jamais rien entendu d'aussi stupide.

- Non, c'est un peu de poésie au moment du quatre-heures, c'est tout.

- Cela ne te réussit vraiment pas d'avoir la tête dans les livres toute la journée.

- J'ai commandé pour toi, tu me fais confiance?

- Ai-je vraiment le choix...




Une dizaine de minutes plus tard, la table était servie.

- On dirait un fondant aux agrumes non?

- Goûte, tu verras. Je l'ai préparé pour toi.

Claudine scruta l'assiette sous tous les angles. Elle faisait toujours cela, comme passer son doigt sur la commode d'Emilia pour voir s'il y avait de la poussière. Elle avait l'air surprise par la frugalité de la présentation. Finalement, elle prit une bouchée du gâteau. Pour une fois, elle semblait de rien avoir à dire. Pas un mot.

- Ca ne va pas grand-mère?

- Il a un goût... particulier...

- Celui de ton appartement du XVIIème peut-être?

- Oui... c'est bien toi qui a préparé cela?

- Oui. Mais avec une recette de maman, je l'ai trouvée à la maison. Elle m'a dit que c'était la seule chose que tu lui aies jamais appris à cuisiner.

Claudine sourit.

- C'est bon...




Guilhem sortit de cuisine.

- Alors Madame, ça vous a plu?

- C'était parfait Guilhem, comme toujours. Non mieux, c'était juste bon.

- Et bien vous pourrez le trouver à la carte de "Chez Guilhem", si vous m'autorisez à vous emprunter la recette naturellement, je l'ai baptisé "le fondant de Claudine".

- Vous nous quittez?

- Oui, je crois qu'il est temps pour moi de rendre mon tablier ici et retourner à ce que j'ai toujours voulu faire.

- Emilia, tu y es pour quelque chose?

- Emilia n'y est pour rien, ça faisait un moment que ça me trottait dans la tête, j'attendais juste le bon moment. Et puis je me suis rendu compte que comme ce ne serait jamais le bon moment, il était temps que je me lance. Mais elle viendra organiser des cafés littéraires le dimanche, je lui ai promis.








Un an plus tard, l'affaire tournait bien. La brasserie était placée à la frontière d'un quartier populaire et de la tour d'un quotidien national. Costumes-cravates et habitants du coin s'y retrouvaient à l'heure du déjeuner.


C'était la nouvelle cantine d'Emilia.




Un soir de janvier, il y eut salle comble pour la sortie du livre de Guilhem. Il ne s'agissait pas d'un énième livre de recettes arborant le faciès d'un jeune chef cathodique en couverture, mais d'un simple livre à la présentation sobre.




"Ma cuisine", par Guilhem Etcheverry.





"Pour apprécier le goût du caviar, il faut avoir mangé de la merde". Dans le texte, citation de Monsieur le papa de Charles L., le stagiaire le plus parfait du monde.


"Quand tu mets tes lunettes, tu te prends toute l'agressivité du monde dans la figure, alors que moi, je ne les porte jamais, le flou, c'est plus confortable, ça permet de fonctionner à l'intuition". Citation de Monsieur Alex G., chef pizzaiolo renommé.


mardi 17 août 2010

De inspiratores

Il existe une injustice musicale terrible.

Si les hommes ont toujours pu séduire par des mélopées romantiques, la réciproque n'a pas toujours été vraie pour les femmes.

C'est comme l'humour.
Statistiquement, et à handicap physique égal, Jack Black aura beaucoup plus de succès qu'Anne Roumanoff.
D'ailleurs, entre nous, je trouve énormément de charme à Jack Black.

L'image du troubadour qui joue de la mandoline sous le balcon de la jouvencelle a perduré jusqu'à aujourd'hui, incarnée par le jeune guitariste qui jouera Oasis en fin de soirée.

Prenez un garçon, mettez lui une guitare dans les mains, et il y aura toujours une palanquée de groupies pour fondre devant ses envolées.

Prenez une fille, mettez lui une guitare dans les mains, et vous trouverez une palanquée de groupies pour pleurer devant ses mélopées.
Les quelques représentants occasionnels de la gent masculine dans le public ne feront le plus souvent qu'accompagner leur petit(e) ami(e).

A ce que je sache, Sheila n'a pas séduit Ringo en lui chantant les Rois Mages en Galilée et le seul retour qu'ait eu Amy Winehouse sur ses chansons de la part de son mari furent des bleus et une lèvre inférieure ouverte.

Entre Bob Dylan et Joan Baez, Roch Voisine et Fabienne Thibault, Robbie Williams et Geri Halliwell, il n'y a qu'à faire le bilan de ceux qui ont le plus cueilli en backstage.


Prenez un homme à la voix cassée sculptée au J&B, et de Rod Steward à Joe Cocker, les femmes tomberont aussi vite que les condamnations desdits chanteurs pour détention de produits stupéfiants.

Prenez une femme à la voix cassée et vous aurez... Bonnie Tyler.



Cela étant, une remarque très maladroite d'un ami lors d'un concert que j'avais donné m'avait beaucoup faite rire.

- Et ben tu sais quoi Astrée, pendant quelques minutes, quand tu étais sur scène, je t'ai presque trouvé belle.

Tout était dans le presque.
Le connaissant, loin de me vexer, j'éclatai de rire.
Bien évidemment, il m'expliqua après que ce n'était pas pour autant que ce n'était pas le cas d'habitude, mais que là "à un moment particulier, dans une position particulière", j'avais l'air "particulièrement épanouie".

Oui j'ai des amis un peu bizarres.


Un illustre auteur-compositeur-interprête avait expliqué que même si un de ses albums ne marchait pas, si douze de ses titres avaient été chantés par douze femmes différentes, alors il avait été gratifié d'autant de disques d'or.

Les hommes composent pour séduire, et éventuellement, pour que leurs instruments pleurent à leur place.

Les femmes se placeront souvent a posteriori, quand elle savent que c'est déjà fini, ou que cela ne commencera jamais.




Notez, je ne me plains guère de mes sources, s'il n'y avait que des garçons faciles, je n'aurais rapidement plus rien à écrire.

J'aime la difficulté. Elle fait le challenge.
J'aime être déstabilisée, car cela démange.

Faites-moi remarquer que l'une des personnes présentes à un concert m'a trouvée très jolie, et a fait moult compliments enthousiastes sur notre playlist, j'en serai très contente.
Mais ne fondrai qu'au simple "c'était cool" des yeux bleus cachés derrière le bar. Allez comprendre.
C'est injuste pour les gentils pleins de bonnes intentions, nous sommes d'accord.
Mais nous n'avons jamais prétendu que les humains sonnaient juste, lorsqu'ils ne sonnaient pas creux.

La composition apparaît alors comme une façon de les posséder par écrit, ou tout du moins, d'en posséder un phantasme en ré mineur.

Est-ce là une atteinte à leur image?

Après tout, cela ne reste que l'expression de notre imagination débordante, et la chanson qu'un portrait impressionniste, un déjeuner sur l'herbe qui tourne en nymphéas esseulés.


Le seul point commun de tous ces personnages était qu'à un moment T ils m'avaient touchée, parfois le temps d'une minute, d'une soirée, ou plus durablement.
Vous me direz, ils n'ont jamais rien demandé.


Certains n'avaient jamais réapparu sur ma route, d'autres étaient devenus des amis, certains n'avaient jamais rien su, d'autres n'avaient rien voulu savoir, tout cela n'était pas bien grave.

Comme il était rare que mes amis apparaissent dans mes billets, il était plus que rare que mes conquêtes apparaissent dans mes chansons.
C'est chose logique, car là où commençait l'histoire s'arrêtait l'imagination.

Paul, Pierre, Martin et Camille avaient-ils un jour existé?
Ma rancœur à l'égard de celle qui avait monopolisé l'attention du comédien à l'origine de la complainte de la boîte de thon s'était évaporée aussi rapidement que les rides de Sheila ces dernières années, le too cute to be straight fait partie de mes meilleurs amis et je ne fermerai jamais la porte à qui voudrait une explication de texte.

Quelque part, j'espérais qu'ils me pardonneraient tous de leur avoir volé ces bribes de personnalité qui transparaissaient dans mes textes.

Il restera de tout cela deux minutes trente-cinq de bonheur musical, ou de souffrance auditive selon les goûts, qu'importe après tout.



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lundi 26 juillet 2010

Neighbourhood threat

Petite note qui traînait sur un coin du bureau depuis un peu plus d'un mois...

 
I love my neighbours, ça sonne un peu comme une série américaine qui passerait le samedi matin et qu'on regarderait le nez plongé dans notre bol de corn-flakes.


Le genre de séries qui mettrait en scène la vie d'une petite famille tout ce qu'il y a de plus normale, avec l'adolescente qui ne demande qu'à esquiver les avertissements de son père, et un petit frère un peu teigne mais attachant, qui termine toutes ses semaines en retenue et drague les copines de sa soeur.

Les I love my neighbours, c'est un peu ce genre de garnements.

Jérémy et William débarquent, un peu insolents, un peu affolants pour nous jouer leur petit tour de piste, tels deux petits minets beaux gosses, qui se pavanent sur la pelouse du lycée pour épater la galerie.

Sauf qu'en fait, les margoulins sont vraiment bons, parvenant à transmettre, par une simple session acoustique, l'énergie d'un live de baby rockeurs brit pas si baby, mécheux mais non moins talentueux.

A coup de David Ghetto et de voix haut perchées, ils se mettent en scène dos à dos, jouent les cabots des jardins publics, et terminent leur set en reprenant du Christophe Willem.

Au final, on a un peu l'impression de s'être posés à l'intercours de midi avec deux potes qui auraient le don d'exaspérer un prof de physique ne cessant de les reprendre pendant qu'ils tentent des expériences hasardeuses avec tout ce qui se trouve devant eux.

Mais la formule marche, elle est explose aux oreilles et au final, toute la classe en redemande.

A la fin, on serait bien partis faire un bowling avec eux avant de manger des pizzas retrouvées froides sur la moquette de leur chambre d'étudiant.


Neighbors, neighbors, neighbors
Have I got neighbors?
Have I got neighbors?
All day and all night
Neighbors
Have I got neighbors?
Ringing my doorbells
All day and all night
Ladies, have I got crazies?


I'd love those bloody neighbours.


http://www.myspace.com/thefuckinneighbours
Crédits photo : Claire Dori

lundi 19 juillet 2010

1, 2, 3, apple tree

"And then you're like, "David, it's like one, two, three"
as you're climbing barefoot on the apple tree".






Pomme de reinette et pomme d'api, faisons un brin de causette, laissez tomber vos applis.


Vient l'été et le temps des billets plus légers, sur les modèles de ces numéros spéciaux de magazines qui abandonnent les sujets de société traditionnels pour se tourner vers des thèmes plus insouciants et abordons, après les plagistes l’été dernier, une nouvelle catégorie masculine : les iBlokes.


Le 7-8 m'a accueillie il y a de cela quelques mois, me faisant hôte de ses journées versaillaises.
Versailles, son RER et ses touristes que je redirige soir et matin vers le Château, Notre Dame et la Tour Eiffel, et ses ingénieurs en informatique qui descendent à Issy Val de Seine.

Versailles et ses groupes électro.
Phœnix, Daft Punk, Air, la ville était plus tendance qu'il n’y pouvait paraître.

Versailles et son Apple store, qui y avait fait son nid il y a peu.


Et un constat qui s'impose : Apple avait en main une carte imparable pour appâter le chaland yvelinois : ses vendeurs.

Je me demandais si Apple avait crée une convention collective ad hoc, autorisant la discrimination positive à l’égard de ses employés en boutique aux fins qu’ils soient tous beaux, jeunes et fringants.


J'ai été élevée à la culture apple.
Non par boboïsation précoce, ou branchitude douteuse, mais parce que c'est comme ça.
J'en étais à l'époque assez fière, alors que la plupart des parents de mes camarades de classe avaient des PC avec des caractères blancs qui s'alignaient sur des écrans bleus, et des moniteurs ayant pour mascotte un crocodile.


Puis, à la fac, les pommes McIntosh ont commencé être de plus en plus présentes sur les tables des bibliothèques universitaires.

Alors qu'utiliser un mac était quelque chose d'assez alternatif, cela devenait mode, d’autant plus lorsque se sont faits jours les i-produits.


Apple misait sur le glamour et remontait la pente pour finalement exploser les ventes.

Apple ou la marque des geek beautiful people.


Assurément, Steve Jobs pouvait se vanter de savoir vendre sa marque.


Achetez un PC, et qui aurez-vous la chance d'avoir pour interlocuteur?


Un jeune commercial de chez Connexion, chemisette jaune et gilet vert, gourmette apparente et cheveux en brosse.

Achetez un mac à Versailles, et vous souriront deux vendeurs amènes aux costumes bien coupés.


Se faire faire un devis par le sosie de Jason Statham est moins difficile à avaler que par Roger Milleperthuit de chez GiFi.

Il est bien loin, le temps des geeks aux cheveux longs et tee-shirts informes!


Je me demandais s'il s'agissait d'une exception propre à la ville du Roi Soleil.


Alors que je passais dans le quartier du Louvre, je décidai de pousser le journalisme d'investigation jusqu'à l'Apple store du Carousel.


Mes mains pianotant le dernier-né de la gamme, auprès d'un client aux faux airs de Jake Gyllenhaal mode geek, je devais me rendre à l'évidence : Apple savait ménager sa clientèle féminine. Certes, l'équipe, un poil jeune, ne portait pas le costume mais des tee-shirts bleus. Cependant elle ressemblait à tout sauf à la promo 1994-1995 de l'IUT forces de vente informatique.


Après tout, la marque était devenue la reine du placement de produit, de Carrie Bradshaw à Wall-E en passant par la moitié des séries télévisées et autres productions américaines.

Etre Apple c’était être beau et cool.




De ce côté, je n’avais rien à reprocher à mes vendeurs aux allures de jeunes cadres dynamiques et plein d’avenir, qui apportaient un peu de charme aux vitrines versaillaises, plus enclines à séduire la sage mère de famille nombreuse que la jeune citadine.

L'un - appelons-le Armel - semble sorti tout droit d'une école de commerce parisienne, un peu jeunesse dorée qui aurait voyagé à travers le monde et fini par poser ses valises pour se trouver un "vrai travail" et répondre aux espérances familiales de réussite. Le genre gendre idéal et qui présente bien.

L'autre - appelons-le Karl, le Jason Statham lookalike (en plus gentil néanmoins, car Jason Statham, faut pas trop le chercher), yeux bleus et sourire faussement timide ravageur, que l'on verrait bien moniteur de planche à voile pour jeunes filles à qui on imposerait des vacances en famille, et qui dessineraient des petits coeurs dans leurs carnets intimes le soir venu.

C'est injuste, ça vous pousse à la consommation des gens comme ça.

Ce qui est formidable avec Google, c'est que l'on retrouve ces garçons aussi facilement que l'agenda de l'Elysée, quand on a dix minutes à perdre entre deux dossiers (Oui, à Versailles parfois, on s'ennuie un peu).

C'est un peu comme si, juste en tapant le prénom de votre fleuriste préférée, vous retrouviez instantanément les photos de sa dernière soirée.

Quelque part, cela ne vous intéresserait pas vraiment.

Elle doit rester la fleuriste, dont on veut imaginer la vie, mais non la découvrir.

Un peu comme ces boys band qui prétendaient tous être célibataires, ou Ricky Martin qui voulait nous faire croire qu'il aurait vraiment pu se faire Maria.

Tout cela, on ne veut pas le savoir.

Comme les hommes attendent de leur boulangère qu’elle soit douce et chaleureuse, et de leur fleuriste qu’elle soit fraîche comme la rosée, on attend d’un vendeur Apple qu’il ait un design impeccable, pour pouvoir le sortir fièrement auprès de ses amis, qu'il ait l'air en bonne santé et exempt de tout virus.

Les filles, à votre prochain passage à Versailles, si vous avez une once d'hésitation sur le fonctionnement de votre laptop, passez voir Karl et Armel, un joli sourire, c'est toujours bon à prendre pour la journée.

Et puis moi, si je peux me faire de nouveaux iPotes, ce sera toujours ça de pris.



One apple a day keeps gloomyness (and Microsoft) away.


dimanche 11 juillet 2010

Les fraises de la Fiancée










Enfin seule.


Assise en terrasse, faisant face à un fromager qui faisait recette en ce dimanche matin, elle appréciait cette chaise à présent vide à ses côtés.


Sa nuit s'envolait dans une dernière volute de fumée.


Tout ce qu'il en restait désormais, c'était un mégot nauséeux écrasé de ses doigts fins et parfaits dans un cendrier Pernot Ricard.


Il avait cru bon de lui faire une scène devant le café.

Elle trouvait cela d'un goût douteux, et surtout tellement surfait. Elle avait passé l'âge des drames. D'ailleurs, d'aussi loin qu'elle se souvienne, elle ne l'avait jamais eu. Elle ne comprenait pas ce besoin que tous avaient de vouloir chercher causes et circonstances à ce qui n'avait pas plus de logique que le chemin que prenait une goutte de pluie en tombant sur un toit.


"Désolée, je voulais t'aimer, j'ai essayé..."


Elle aurait aimé être romantique, mais ils ne lui en avaient pas laissé le temps.


Pourtant, les yeux absorbés par le tourbillon de crème de son café noisette, elle se voyait tourner, tourner encore dans une valse infinie, se laisser emporter par le courant.


En regardant au loin ce couple panier à la main, elle aussi rougissante que les tomates qu'il lui présentait, lui prévenant chevalier aux armoiries bio, Calixte se disait que cela ne lui déplairait pas.


Qu'un jour elle aussi respirerait des humeurs florales au petit matin.


Elle n'avait juste pas encore pu adouber le prétendant qui saurait être digne d'accompagner son caddie. Celui qui viendrait la convaincre d'acheter des fraises parce que si, c'est la saison, et que ce serait parfait pour achever le déjeuner dominical.


Cela faisait des années qu'elle n'avait pas mangé de fraises au dessert.

Pourtant, elle aimait cela quand elle était petite.

Mais aujourd'hui elles lui paraissaient un peu fades. Le goût de la ville peut-être.


Ces modèles de couples parfaits, sortant assortis le dimanche l'exaspéraient et lui faisaient envie.


Elle aussi, elle aurait aimé pouvoir se parer d'un précieux fiancé, coordonné à son éternel imperméable beige et à son regard un peu mystérieux, un peu mutin et intimidant à la fois, à peine effleuré par sa frange quidonnait juste ce qu'il fallait de gravité à ses yeux.


Elle incarnait le paradoxe de ces nouvelles filles, qui semblent parfois pécher par excès d'indépendance et de détachement, et osent à peine s'avouer qu'elles aussi cherchent leur parfaie épiphanie. Peut-être trop parfaite, de ces perfections qui n'existent pas.


Le romantisme de gare et ses mots trop faciles la déprimaient, trop accessibles, trop vendeurs. Elle voulait du Jane Austen, de l'amour courtois puis passionné, des déclarations au crépuscule au bord d'un lac.

Elle voulait une virilité élégante et assumée. Du victorien en plein Paris, du victorieux Pâris qui l'enlèverait à son quotidien.

Pas une de ces pâles copies au goût artificiel de masculinité, qui n'ont d'homme que l'étiquette de leur blouson mais rien de solide dans les talons.


Elle avait assez supporté de Münchhausen qui simulaient, de mal-aimés qui se cherchaient, d'artistes qui ne se trouveraient jamais, de reconversions avortées.


Elle voulait du solide pour pouvoir être portée à son tour.


A sa gauche, un client venait de renverser son café.

Il avait l'air maladroit. Il avait l'air de rien.


Elle n'avait même pas remarqué que quelques gouttes étaient tombées dans son cabas.


Confus, il avait prestement retiré l'accessoire pour le poser sur un tabouret, avant même qu'elle ne s'en rende compte.


C'était idiot, mais il avait un peu pris en main sa vie, pendant quelques secondes.


La rue sentait maintenant les fleuristes et les fruits d'été, les melons d'eaux et les azalées.


D'un seul coup, elle avait envie de partir faire le marché pour acheter des fraises pour le déjeuner, qu'elle saupoudrerait de sucre cristal.


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