dimanche 5 juillet 2009

I don't wanna grow up



Un ciel bleu ardoise commençait à poindre à ma fenêtre.

J'étais rentrée depuis un peu moins d'une heure et ne parvenais pas à trouver le sommeil.

Certains étaient restés dormir sur place pour éviter de se réveiller dans leur petit appartement le lendemain matin, comme si tout avait filé en un trait de temps, en quelques pétales de roses retombés sur le parvis de l'église.


Je défie la plus cynique des âmes d'être totalement indifférente à l'effet post-mariage.

N'importe quel être normalement constitué ne peut s'empêcher de se troubler de ces deux "oui" voilés d'émotion échangés devant l'autel.


Je réentends encore N. revenu de son mariage, qui d'un seul coup se disait que peut-être, il devrait revoir sa position de bi pour se caser avec le sexe faible. A., assignée aux épousailles de sa sœur, qui oubliait soudainement qu'elle avait toujours été contre toute idée de pièce montée, de grains de riz et de robe blanche.


Pendant une journée, tout est parfait, tout le monde s'entend merveilleusement.

Plus précisément, on cache soigneusement aux mariés les heurts, incidents diplomatiques et autres vexations.

On occulte les retours nocturnes hasardeux et le passager arrière qui scotche sa tête à la fenêtre aux fins de ne pas sombrer dans des débordements gastriques des plus déplaisants.


Il y a des années comme ça, où votre agenda est surbooké de locations de voiture, de cartons réponse à envoyer à Madame Mère, de choix de dernière minute sur le site des Galeries Lafayette mariage, de plans de table qui vous assignent à faire la discussion avec un couple qui a autant de conversation que la première Dame de France a de coffre, de coupes de champagne et d'expéditions cervoises aux fins de mise en bière de vie de jeune fille.

Un petit côté wedding crasheuse.


Le soleil commençait à peine à poindre en-dessous de l'horizon, matelassant la ville d'un doux ruban rose-orangé.

Cela faisait des semaines que je ne m'étais pas couchée alors que le jour se levait.

Je me revois ce dernier petit matin d'année Erasmus. Nous n'avions tous dormi que quelques heures au cours de cette dernière semaine, parce que c'était la fin, parce qu'il fallait profiter de chaque instant. Les couples se formaient et se défaisaient à la vitesse des pintes de bière et des verres de vin, parce que c'était le dernier moment, parce qu'après ce serait trop tard. Tous les soirs nous en perdions quelques uns de plus. Et cette dernière nuit, nous l'avions passée d'une façon étrangement calme. Juste le plaisir de partager ces derniers moments ensemble. Nous avions déménagé nos chambres au lever du jour, les lieux devant être vidés pour 10H. Je me revois être partie chercher un caddie avec G., pour pouvoir tout entreposer. Il était 6H et la ville qui dormait encore était à nous. Les rues étaient vides, quelques papiers rampaient sur le bitume et nous poussions un ridicule caddie vide. Une impression de road-movie à petit budget...


Des nuits passées sans notion du lendemain.

Etre un tant soit peu fixés sur ce que nous allions devenir nous angoissait presque.

L'idée d'entrer dans la vie active, puis d'être sur des rails pour plusieurs décennies à cotiser pour une retraite au soleil ne nous enchantait guère. Nous avions besoin de savoir que toutes les portes nous étaient encore ouvertes.


Finalement, nous nous posons toujours les mêmes questions.

Nous savons pour l'heure où nous allons, mais ne garantissons pas ne pas tout plaquer dans quelques temps pour une vie différente.


Il y a quelques semaines, lors d'une soirée, une de mes amies de lycée me dit :

"Non mais c'est vrai, tu admettras qu'aujourd'hui à notre âge tout le monde est marié et commence à faire des enfants".

Une de ces soirées où il y a toujours une bonne copine pour vous demander quand est-ce que vous allez vous caser.

Bizarrement certains d'entre nous on peut-être encore envie de rester encore un peu incasables.


Elle avait une vie parfaite sur le papier.

Un mari charmant, une petite fille adorable, la sécurité de l'emploi et une maison en construction.

Etrangement, je préférais mon insécurité professionnelle, sentimentale et foncière.


Je n'étais pas plus emballée que ça par l'idée de contracter un prêt sur trente ans, passer une partie de mes week-end chez ma belle-famille et devoir abandonner toute idée de sortie après 22H, pour cause d'enfant à aller coucher.


J'y viendrai sans doute, mais ce n'était pas le moment.


Nous avons encore envie de papillonner et dans le même temps de reposer ses ailes sur un socle.

Envie de rentrer sans se soucier de l'heure, des impératifs ou de quiconque à avertir, et en même temps envie d'être attendu.

Envie de conserver cette sacro sainte et précieuse indépendance, et envie de s'en laisser dérober quelques miettes, de jouer les oiseaux libres et d'être apprivoisés.

Envie de construire et de déstructurer.


Il n'y pas d'âge pour se caser, pas d'âge pour changer de vie, pas d'âge pour se mettre en danger.


A trente ans largement passés, certains de mes amis cherchent encore la femme de leur vie, pendant que d'autres se sont mariés à vingt ans et des poussières pour fonder un foyer rapidement.


J'aimais ces week-end que je scindais entre un samedi passé entre camarades de gueuze, à s'éterniser à des terrasses pour plus tard errer dans les bars de nuits et finir grisés, sans savoir réellement comment nous étions rentrés - le pilotage automatique étant parfois de règle, une certaine dose éthylique dépassée - et un dimanche passé au calme avec des amis et leur dernière née que j'adorais pouponner.



Nous tâchons vaguement d'être responsables, de donner le change.

Mais nous restons des gamins qui aimons à croire encore en nos rêves impossibles et pêinons à sortir de notre crise d'adulescence.


Des gamins qui se complaisent dans un cynisme qui peine parfois à masquer leur idéalisme clandestin et leur innocence désenchantée.


Des gamins qui facturent plusieurs heures par jour mais qui redoutent le mauvais point quand ils n'ont pas fait correctement leurs devoirs.


Des gamins capables à la fois de saisir un col des mains pour croquer des babines alléchantes, et d'être interdits de timidité comme des adolescents qui laisseraient à l'être convoité un mot écrit sur une feuille de bloc note dans un cartable.



Il y a dix ans, le seul courrier que je recevais se résumait à quelques lettres, écrites au bic multicouleurs sur des feuilles de classeur. Aujourd'hui, je ne trouve quasiment plus que des factures sous ma porte.


Certains d'entre nous n'ont pas pour autant cessé de faire fonctionner leur imaginaire débordant, comme lorsque sur un même parquet de chambre d'enfant se rencontraient playmobils, poupées mannequins et robots maléfiques, dans des histoires invraisemblables et rocambolesques.


Nous ne savons toujours pas ce que nous voulons, mais nous savons ce que nous ne voulons pas, tels des Romain Duris cantonnés dans leurs rôles d'éternels grands adolescents immatures.


Un jour on se mariera, et on aura des enfants, parce que finalement, l'aventure nous tente aussi.

Pas avec Papa ou Maman, car on a depuis un moment classé notre Œdipe / Electre.

Peut-être demain, peut-être dans un an, peut-être dans dix ans.


Mais entre temps nous continuons de faire siffler des brins d'herbes entre nos deux pouces réunis, de brailler sur des jeux musicaux, d'en taper cinq à Tic et Tac quand on les croise au hasard de Mainstreet, Marne la Vallée, de nous renfoncer dans nos lits et de serrer nos coussins entre nos bras d'émotion devant un film, de récupérer des mobylettes usagées dans des vieux hangars pour faire du cirque dans le quartier, de récupérer des scooters un peu moins usagés chez des concessionnaires pour faire les beaux dans les arrondissements branchés, de faire des châteaux de sable qui n'attendent que la marée pour voir leurs douves emplies d'eau de mer, de rougir devant cette envoûtant être qui est loin de vous rendre indifférent, de jouer les groupies arborant fièrement leurs badges au concert de leur groupe préféré, de faire des expériences culinaires improbables, de croire que tout est encore possible et que tout est encore à faire.


Bélier :

"Vous êtes à la fois réservé et énergique, grave et enthousiaste, mais vous savez toujours ce que vous voulez". Pour une fois l'horoscope matinal de ce quotidien gratuit semble me seoir à merveille.


J'écoute cette reprise de Tom Waits qui avait fait briller mes yeux la première fois que je l'avais écoutée, et qui me fait toujours autant vibrer. Il est 8H et je n'ai aucune envie d'aller travailler, je préférerais nettement rester lézarder devant des dessins animés en mangeant un bol de corn flakes bourrés de colorants et d'arômes artificiels.


"When I see the 5 o'clock news
I don't wanna grow up
Comb their hair and shine their shoes
I don't wanna grow up
Stay around in my old hometown
I don't wanna put no money down
I don't wanna get me a big old loan
Work them fingers to the bone
I don't wanna float a broom
Fall in love and get married then boom
How the hell did I get here so soon
I don't wanna grow up
".


11 commentaires:

  1. Je ne me lasse pas de voir que nous partageons tant de préoccupations, pensées et autre trucs tordus. Et souvent en même temps. Texte magnifique au passage.

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  2. :-)

    Je repensais à tous ces soirs où on a juste l'air d'une bande d'ados attardés, à descendre des shots enflammés pour se perdre ensuite dans un crétinisme absolu ^^ - mais n'y a-t-il pas de stupide que la stupidité?

    J'ai modifié la fin, en réécoutant ce morceau qui me tirerait presque une petite larme de bon matin, tout le monde doit écouter ça, c'est juste trop bon.

    Je crois qu'on est tous pareils, à commencer le boulot tout en voulant rester des étudiants attardés, à vouloir se poser tout en gardant notre part d'insouciance!

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  3. ps : ça me faisait penser à cet épisode de How I met your mother, où Lilly et Marshall se persuadent qu'ils doivent faire des trucs d'adultes et font des soirées barbantes avec un couple d'amis, pour finalement rejoindre Barney et Ted en boîte et faire les cons :)

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  4. Damned. Ca me donne envie de faire un billet juste là dessus, même si le thème de l'adulte responsable est une récurente dans mes écrits...
    En tout cas, je suis d'accord sur bien des choses !

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  5. ^^
    Je veux un billet sur mon bureau d'ici demain soir je te préviens, sinon tu ne manges pas! ;)

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  6. Encore une fois j'adore !
    Je sais je sais, je me répète, mais qu'ajouter de plus ?!
    Ah si, Merci ^^ ton blog est extra !

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  7. Oh là là je suis tte gênée, d'autant plus que tu dois être le 1er comment qui ne vienne pas d'un de mes potes :)
    Merci merci!

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  8. bien écoute, j'ai les enfants, le mari et la maison... mais j'ai pas l'impression d'être si "posée" que ça et ton texte me parle beaucoup!

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  9. Haha, je n'en doute pas, je connais de jeunes célibataires très planplan, et des couples mariés avec enfants qui sortent plusieurs fois par semaine!


    Heureusement, il n'y a pas de schéma prédéfini, et chacun construit le modèle de vie qu'il veut! :)

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