mardi 28 juin 2011

Doves, fishes, paper lanterns and Ana Gog





"Do you not get it, lads? The Irish are the blacks of Europe. And Dubliners are the blacks of Ireland. And the Northside Dubliners are the blacks of Dublin. So say it once, say it loud: I'm black and I'm proud".



Jimmy Rabitte, the Commitments.



Je tournais dans les petites rues en sens unique du 20ème arrondissement en ce doux dimanche de juin. Quelques jours auparavant, s'étaient invités à ma soirée deux charmants Irlandais. Des Irlandais comme un imaginaire artistique pourrait les dessiner. L'un d'apparence brute mais littéraire, à l'accent ténébreux et coupé au couteau . Une gueule, à proprement parler. L'autre à l'élégance musicienne, casquette couvrant à peine ses yeux clairs. Le sombre poète aux allures de sage voyou et le doux ménestrel guitare sur le dos.



Je ne les avais pas revus entre temps, avant ce suave soir de printemps.



Au détour d'une rue calme, je découvrais un lieu qui m'était inédit, le Carrosse, petit espace de création autogéré, maison d'accueil pour artistes en panne d'exposer, cocon pour concerts intimisés.


En attendant ma compagne galloise, je m'installais, liais connaissance, prenais attache avec le lieu.



La salle de concert était juste derrière, à mi-chemin entre un hangar qui accueillerait les élans artistiques des petits derniers et une cour aux lampions, une guinguette intimiste.



Le premier groupe était français. Parisien. Autant que peuvent l'être des musiciens qui laissent se balader leurs mots le long d'une contrebasse, au gré d'un timbre de raconteur d'histoires.



Dans le fond, s'agitait déjà Kevin, manifestement habitué des lieux, qui trépignait, imbibé au gin tonic, dans l'attente de ses compatriotes.



Mike et ses comparses ont finalement pris possession de la scène. Et les mots ont tout leur sens. Dès les premières notes, ressort une personnalité qui dépasse chaque membre du collectif. Qui a sa propre respiration, ses propres mouvements vitaux.



Car c'est bien de collectif qu'il s'agit, dont le nombre de participants oscille au gré des scènes, n'hésitant pas à inviter et se faire inviter. Ce soir ils étaient cinq. Un trompettiste attendait dans son coin qu'on lui fasse une place. Une belle bande avec qui on ne demande qu'à sympathiser une fois le concert terminé.


Ils me faisaient penser aux Commitments. L'un d'entre eux surtout, massif, aux cheveux attachés en arrière et au pull sans âge. Un des autres était tout mince et rouquin, comme l'était Glen Hansard à l'époque de la sortie du film. Derriere sa batterie, une rousseur tout en rock et bracelets de force. Il y avait enfin un grand gamin brun qui achevait le tableau.



Des gosses, heureux de jouer ensemble. Mike était des plus calmes. So regard clair et bienveillant supervisait cette marmaille magnifique. Pendant ce temps, Kevin braillait, dansait comme un pantin mal articulé. Et pour une fois, je n'en voulais pas à ce saoulard de polluer la scène. Il était tellement couleur locale à sa façon, on l'aurait imaginé être sorti du film Les Virtuoses, tel un musicien qui aurait été viré de l'orchestre car il tirait trop sur sa bouteille. Michael, d'une patience stupéfiante, le laisser aller et venir et s'amusait presque de ses pitreries.



Ana Gog vous berce et vous emporte, avec ce charme bien propre aux irlandais qui donne l'impression que leur musique est l'incarnation d'un calme retrouvé après des années de conflit. On y a entendu de la mélancolie. On y a entendu l'appel de tribus issues des montagnes, on y a entendu la guerre et la paix, les colombes et les poissons d'eau douce, les ballades sous un clair de lune un peu pluvieux.


On aurait voulu rencontrer l'un d'entre eux au coin d'une rue, pour entrer dans un magasin de musique et refaire un monde musical autour des instruments d'exposition, tels Glen Hansard et Marketa Irglova dans Once.




Après tout, c'est l'image que nous offre cette Irlande qui se projette sur nos écrans et nous berce dans les cordes de Damien Rice. Un peuple qui reste à part, un peu mystérieux, un peu romantique, un peu mélancolique. Une terre jusqu'à laquelle ne sont pas remontés les Romains, et qui cultive encore aujourd'hui sa différence avec la Grande-Bretagne et l'Empire occidental. Il y a un peu de tout cela chez Ana Gog.



Ces Irlandais ont le don de nous emporter dans leur univers, et Ana Gog nous promène ainsi à travers ses expérimentations, nous laissant reposer la tête contre l'accoudoir au son de leur ballades, nous promettant de ne pas quitter la maison alors que le soir arrive, puis nous emportant dans la ferveur de leurs élans instrumentaux, intervertissant les mains qui passent de la guitare au piano, des choeurs aux claviers, murmurant à la Lune et hurlant aux vertes collines.



Et alors on se voit partir là-bas, et rencontrer un de ces Irlandais sur un petit chemin, un peu poète, un peu musicien, qui nous ferait danser dans des brumes de stout, puis nous conterait son pays et nous jouerait du tin whistle sur un petit mur de pierre, à l'extérieur du village.


Tout un imaginaire.



Mais que demande-t-on à des musiciens, sinon d'installer en même temps que leurs instruments leur monde, et de nous emporter loin, très loin d'ici...




"The water is wide, I can-not cross o'er.


And neither have I the wings to fly.


Build me a boat that can carry two,


And both shall row, my true love and I".



En réalité, l'origine de cette chanson est plus anglaise ou écossaise qu'irlandaise. Mais on retrouve des liens de parenté avec des morceaux irlandais, alors...







ANA GOG - MR.MAGPIE from Media Coop on Vimeo.



ANA GOG - DOVE & FISHES from Media Coop on Vimeo.



ANA GOG - MOUNTAIN RESCUE from Media Coop on Vimeo.



http://www.myspace.com/anagogmusic


Le groupe revient à Paris à la rentrée après un Irish tour. Ne les manquez pas, car bien sûr il y a myspace, bien sûr il y a les enregistrements studio. Mais c'est à dix mille lieues de ce qu'il se passe sur scène...