mardi 3 février 2009

Un peu de vie dans le théâtre, un peu de théâtre dans la vie - 1

"La vie est une pièce de théâtre : ce qui compte, ce n'est pas qu'elle dure longtemps, mais qu'elle soit bien jouée", disait Sénèque.

Et c'est vrai que parfois, il n'est nul besoin d'aller chercher des histoires rocambolesques pour trouver suffisamment d'inspiration pour tenir quelques pages.

Un soir, alors que je rentrais chez moi en métro, j'étais assise face à un couple d'une cinquantaine d'années, typiquement XVIème. Comme à mon habitude, j'avais mon casque sur les oreilles, et me mis à les observer silencieusement. Je ne pouvais entendre ce qu'ils disaient, mais je savais déjà que la femme était emplie de reproches à l'encontre de son mari. Lui, avait le regard baissé, et semblait tenter par intermittences de se justifier, avant de capituler face à la logorrhée accusatrice de son épouse.

J'imaginais leur sujet de discorde :
Ils auraient parlé de cette pièce de théâtre qu'ils venaient de voir. Le mari n'avait pas réservé à temps, ils avaient été très mal placés, elle avait dû faire un scandale auprès de l'ouvreur impuissant et se donner en public. Car de toute façon c'était toujours la même chose avec lui, il ne faisait les choses qu'à moitié, il prenait des initiatives mais n'assumait pas la logistique, parce que ce n'était qu'un intellectuel, un rêveur.

Bien sûr je n'ai pas entendu toute cette conversation qui n'est que le pur produit de mon imagination.

Mais, poussée par la curiosité - oui, car, il faut l'avouer, les gens qui aiment écrire sur autre chose que sur leur petite personne sont de grands curieux, pour ne pas dire de grands voyeurs, mais ce sera l'objet d'un autre billet - je disais donc, poussée par la curiosité, j'ai mis mon iPod en pause alors qu'ils se levaient pour quitter la rame à la même station que moi.

C'est là que l'instant théâtral sublime eut lieu :
Ils poussent les portes de sortie du métro (oui, celles-là même pour lesquelles il m'a fallu six mois avant de comprendre qu'il fallait pousser la partie verte pour qu'elles s'ouvrent), et font une pause en haut des escaliers de Passy.

Lui a le regard baissé, les yeux rivés sur ses Bexley.
Elle le regarde de haut, silencieuse et lui dit, froidement :

"Même à la femme de ménage, tu ne lui as jamais parlé comme ça".

Instant magnifique donc, je ne pouvais m'empêcher de regretter de ne pas avoir coupé mon lecteur plus tôt, pour savoir ce qui avait justifié cette réplique. En même temps, cela laissait la part belle à mon imaginaire. Après les avoir laissés remonter les escaliers, je rentrai donc chez moi et ne pus m'empêcher, bien sûr, de laisser partir mon imagination.

Ces deux-là auraient pu être les personnages d'une pièce bourgeoise.
J'imaginais la suite de cet épisode, qui aurait pu être le commencement d'une pièce mettant en scène, au hasard, Charlotte Rampling et Claude Rich.

Noir dans la salle, les trois coups.
Le salon d'un appartement boulevardier.

MARIANNE : Alors, on fait comme on a dit
PIERRE : On fait comme on a dit.
MARIANNE : J'ai prévenu Nathalie que tu partirais tôt aujourd'hui.
PIERRE : C'est bien.
MARIANNE : Trente ans ça demande un minimum d'organisation.
PIERRE : Une once de dispositions.
MARIANNE : Tout fout le camp. Le pays, nos enfants, nous. Toute notre postérité.
PIERRE : Notre progéniture se porte très bien et tu en as parfaitement conscience. Seuls nous, anciens privilégiés, avons du mal à accepter ce changement de régime, ce schisme...
MARIANNE : Cette sécession.
PIERRE : Ce n'est pas une sécession. Je n'aime pas ce mot, il y a quelque chose de froidement définitif et péremptoire dans le sécession. Nous vivons de simples dissidences passagères tout au plus. Qui n'excluent pas une restauration...
MARIANNE : Un jour?
PIERRE : Peut-être... quand viendra le temps de la réforme alors nous reparlerons.
MARIANNE : Quand tu auras accepté que tu ne peux plus être monarque en ton palais.
PIERRE : ...
MARIANNE : Pierre?
PIERRE : Hum?...
MARIANNE : Elle semble vouloir dire quelque chose puis se ravise. Tu as oublié ta montre.
PIERRE : C'est amusant. Je ne l'oublie jamais. Je la mets tous les matins, par automatisme.
MARIANNE : Mais aujourd'hui tu l'as oubliée.
PIERRE : Un acte manqué?
MARIANNE : Tu n'as pas de rendez-vous. De quoi as-tu peur, de manquer ton départ? Elle lui tend sa montre qu'il met.
PIERRE : Regarde sa montre. Heure du départ 8H30.
MARIANNE : On a fait tout ce qu'on a pu.
PIERRE : C'était un cas désespéré.
MARIANNE : C'est une heure curieuse pour une rupture.
PIERRE : Curieuse en effet. Je pars ce matin mais nous avons rompu il y a longtemps déjà.
MARIANNE : Pierre?
PIERRE : Hum?
MARIANNE : Ce que tu m'as dit, hier - ses yeux s'embuent soudainement - même à la femme de ménage tu ne lui aurais jamais parlé pas comme ça.
PIERRE : Détaché. "Même la femme de ménage tu ne lui aurais jamais parlé comme ça". C'est charmant. Tu es charmante. On dirait du Chabrol. Tu es un personnage de Chabrol mon amour. En apparence froide et insensible, mais finalement... Tout cela est tellement regrettable...

Pierre quitte la pièce.


C'est un peu le problème des scribes compulsifs, on a des idées comme ça, plein d'idées, mais on ne prend pas toujours le temps de les mener à terme, parce qu'on en avait déjà mille autres en tête avant et que d'autres nous arrive en pagaille.

Pourtant je sais très bien ce qu'il serait advenu de ce couple si d'une scène j'avais fait un acte, puis deux, puis quatre. L'histoire d'un couple qui reprend petit à petit pied dans la réalité, chacun de son côté, après avoir passé trente ans de vie rangée.

Quelque part, cela est rassurant. Je sais que je peux toujours les garder dans un coin, je sais déjà où vont ces personnages, ce qui va leur arriver, comment ils vont appréhender, chacun de leur côté, cette nouvelle vie sans l'autre. S'ils parviendront à se retrouver.

Un jour peut-être je trouverai le temps de leur écrire ce bout de vie que je leur ai imaginé, quelque part je les ai fait naître, alors je m'y attache, je me dois de les accompagner encore un peu...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire