mardi 10 février 2009

La complainte de la boite de thon

Les comédies romantiques. 

Ces romances auxquelles nos coeurs de midinettes ont parfois envie de croire, juste l'espace d'une heure cinquante-huit, en espérant que des batraciens puissent un jour devenir princes charmants.

Que ce mystérieux correspondant, à l'autre bout du clavier, est en fait votre voisin de palier, un grand brun baroudeur mal-rasé, qui soigne des enfants malades en Afrique, aide les vieilles dames  à traverser et garde votre chien quand vous vous absentez, et même quand vous n'avez pas de chien.

Qu'il existe vraiment des inconnus qui offrent des fleurs dans la rue. 

Parfois, on aurait envie d'y croire, juste un tout petit peu, comme pour se maintenir blottie douillettement dans notre lit devant notre film.

Toute héroïne de comédie romantique se doit d'être désespérément maladroite et apte à croire qu'il est possible de rencontrer un avocat droit-de-l'hommiste au coin de la rue qui craque sur le fait que votre lipstick ait dérapé ou que vous arriviez trempée comme une soupe au Palais de Justice. 

Etape numéro 1 : Flasher bêtement sur le pote d'une copine.
Comédien. Parce que commercial en téléphonie mobile, c'est moins glamour.

Etape numéro 2 : Rechercher frénétiquement son profil sur un site communautaire, à peine la porte de son appartement refermée.

Etape numéro 3 : Éplucher chaque photo, chaque statut posté par le nouvel élu de votre idôlatrie. Il a de l'humour. Et il aime les labradors. Il ne manquerait plus qu'il ne mette pas ses coudes sur la table et il serait parfait.

Tout va bien, vous êtes officiellement une crush-geek : une adepte des béguins virtuels, réagissant avec émoi à chaque "Vous avez un nouveau message".

Etape numéro 4 : Scruter colonnes Morris et autres sites culturels aux fins de voir pointer le bout du nez dudit comédien.

Etape numéro 5 : Il est à l'affiche.
Cinq minutes plus tard vos places sont réservées et votre meilleure copine embarquée dans l'expédition.

Etape numéro 6 : Que porter pour l'occasion?
C'est dimanche. On ne veut donc pas avoir l'air trop sophistiquée. Il s'agit de faire ressortir son charme naturel. A l'aide de quelques artifices si besoin est. 

Etape numéro 7 : On attend, fébrile, le début de la pièce, comme tous les autres spectateurs, en se répétant que, ne vendons pas la peau de l'ours trop vite, l'objet de votre convoitise est peut-être un malotru dénué de tout intérêt dans la vie réelle.

Et enfin il apparaît sur scène. 
Le visage devient une voix, une gestuelle, un regard.
Ca y est, c'est officiel, vous avez fondu aussi vite qu'un glaçon tombé de son verre de coca sur une terrasse de Palavas.
Dit en des termes plus triviaux, extraits de ma compagne de PFPM (plan foireux à ne surtout pas manquer) : "Ferme la bouche. Tu baves".

Rideaux. 
Salut final. 
Il vous regarde, plusieurs fois.
Peut-être est-il myope.

Alors on attend dehors pour féliciter l'artiste.
Il fait froid, très froid, votre amie vous maudit de lui imposer cette expectance interminable mais meurt d'envie de connaître le dénouement de la soirée.
Vous allumez cigarette sur cigarette, pour vous donner une contenance (l'abus de timidité est mauvais pour la santé).

Et enfin il sort.
Vous avez préparé quatre ou cinq phrases d'accroche.
Evidemment, et en dépit de votre répartie habituelle, aucune de ces dernières ne sort de votre bouche, il s'agit plutôt d'un pot-pourri de l'ensemble, auquel vous tentez de donner un sens.

Quand il vous propose d'aller boire un verre dans le café d'en face, vous répondez très dignement : "hum oui, pourquoi pas, après tout je ne suis pas vraiment pressée".

Et là, c'est le drame.
Entre dans la place une ténébreuse créature qui envoûte le baladin et l'éloigne deux tables plus loin.

Vous pourrez alors ramer tout ce que vous voudrez, game over, next please.

De toute façon, il la draguait tout en regardant un match de foot. 
Ca ne se fait pas. 

Alors vous rongez votre frein et rentrez chez vous, digne dans la défaite.

Et, comme vous trouvez votre productivité dans l'adversité, vous composez une mélopée aussi pathétique que dissonante.



Tiens, ça pourrait être une idée ça, un billet, une chanson.
On appellerait ça Astrée et son blog enchanté.
Mes voisins seraient ravis.
Je m'égare...


Plusieurs semaines passent, vous l'oubliez plus ou moins.
Après tout, vous ne le connaissiez pas, et mille autres opportunités s'offrent à vous.

Vous décidez de partir un week-end à Londres, pour vous changer les esprits de Paris et de sa dose de travail hebdomadaire qui vous oppresse.

19H00, gare du Nord.
Fin décembre, le hall est bondé, vous faites du saut d'obstacles entre les valises et les poussettes pour arriver à l'heure. Vous tentez de ne pas perdre de vue votre comparse, celle-là même qui vous avait accompagné quelques semaines plus tôt soutenir votre acte de groupitude indolente mais néanmoins vain, et qui ne peut se résoudre à s'en remettre à votre seule mémoire pour retrouver le guichet adéquat.

Alors, dans la foule chahutante, braillante, assourdissante, dans cette affluence ferroviaire, elle se rapproche d'une silhouette lui semblant encline à nous guider promptement.

Le jeune homme se retourne, et apparaît au milieu du cortège de voyageurs un visage céleste.
De la pièce comique du XVIIème siècle aux quais d'une gare du Xème arrondissement il n'y a qu'un pas.

Inouïe coïncidence qui se présente devant vos yeux.

Vous eussiez apprécié que le temps s'arrêtât alors. 

Qu'il vous regardât de ses yeux bleu turquin et qu'un sourire illuminât son museau.
Que les mouvements se ralentissent. Que les violons violinassent.
Que des colombes s'envolassent dans un balai somptueux.

En fait de visage céleste, il a les traits tirés par une journée de dur labeur publicitaire, et, après avoir brièvement et incertainement renseigné votre partenaire, vous adresse un regard lapis-lazuli embrumé, mêlé de lassitude et d'épuisement.

Autrement dit de poisson mort.

À tel point que vous n'êtes même pas sûre qu'il ait saisi les prestes et polies salutations que vous lui avez destinées, avant de reprendre votre course frénétique.

Votre amie s'évertue ensuite à vous répéter, dans la file menant aux quais :
"Je sais ce que tu vas penser, mais non, ce n'est pas un signe".

Quand même, vous ne pouvez vous empêcher de penser que l'ensemble aurait pu faire, avec un peu de bonne volonté de la part du bellâtre, un magnifique téléfilm de début d'après-midi pour ménagères de moins de cinquante ans.

Les signes ça n'existe que dans les comédies romantiques à l'eau de rose, il faut se rendre à la triste évidence.

Le week-end a rapidement balayé ces réflexions stériles, les fêtes sont arrivées, une nouvelle année peut commencer.

Vous voilà parée pour de nouvelles rencontres aussi improbables qu'enchantantes.

Il y a trois jours, un de vos amis vous appelle. 
Jamais deux sans trois : 
Il vient d'embaucher un garçon formidable, au charisme prodigieux et au regard bleu de Gênes.

Sur M6, on aurait compris qu'après trois apparitions de Hugh Grant dans la vie de Meg Ryan, ces deux-là finiraient bien par comprendre qu'ils sont faits l'un pour l'autre, ce qui de toute façon était écrit depuis le début. 


Heureusement, vous savez maintenant qu'il n'y a pas plus de coup de foudre à Montmartre-Hill que de crabe dans un bâtonnet de surimi.

6 commentaires:

  1. J'ai comme l'impression d'avoir déjà entendu tout ça qq part ... en moins bien dis ça c'est sur .. .Gros bisous et vive "La complainte de la boite de thon" !!!

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  2. Chouette histoire et très chouette complainte. J'espère que tu nous laisseras moins longtemps sans nouvelle histoire.

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  3. Haaaa superbe note. Et ton style est toujours superbe, drole, piquant. Je te hais. Je voudrais savoir ecrire d'une maniere si fluide et si sophistiquee.

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  4. Voici une note qui me fait rire aux éclats alors que même les comédies les plus drôles ne me font qu'esquisser un vague sourire...

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  5. Hehe merci ma petite Lala, ça me fait drôlement plaisir ce que tu me dis, d'autant plus depuis que je t'ai accompagnée au ciné et ai pu constater qu'effectivement, les blockbusters comico-romantiques US ne te faisaient parfois que sourire ^^

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  6. Moi je dis STOP ! lançons un nouveau mouvement ! vivons comme dans une comédie romantiques ! forçons le destin ! qu'est ce que l'on risque à part une injonction pour ne plus approcher à moins de 500 mètre les plus beaux princes charmant en carton de Paris ? soyons fou !

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