dimanche 11 juillet 2010

Les fraises de la Fiancée










Enfin seule.


Assise en terrasse, faisant face à un fromager qui faisait recette en ce dimanche matin, elle appréciait cette chaise à présent vide à ses côtés.


Sa nuit s'envolait dans une dernière volute de fumée.


Tout ce qu'il en restait désormais, c'était un mégot nauséeux écrasé de ses doigts fins et parfaits dans un cendrier Pernot Ricard.


Il avait cru bon de lui faire une scène devant le café.

Elle trouvait cela d'un goût douteux, et surtout tellement surfait. Elle avait passé l'âge des drames. D'ailleurs, d'aussi loin qu'elle se souvienne, elle ne l'avait jamais eu. Elle ne comprenait pas ce besoin que tous avaient de vouloir chercher causes et circonstances à ce qui n'avait pas plus de logique que le chemin que prenait une goutte de pluie en tombant sur un toit.


"Désolée, je voulais t'aimer, j'ai essayé..."


Elle aurait aimé être romantique, mais ils ne lui en avaient pas laissé le temps.


Pourtant, les yeux absorbés par le tourbillon de crème de son café noisette, elle se voyait tourner, tourner encore dans une valse infinie, se laisser emporter par le courant.


En regardant au loin ce couple panier à la main, elle aussi rougissante que les tomates qu'il lui présentait, lui prévenant chevalier aux armoiries bio, Calixte se disait que cela ne lui déplairait pas.


Qu'un jour elle aussi respirerait des humeurs florales au petit matin.


Elle n'avait juste pas encore pu adouber le prétendant qui saurait être digne d'accompagner son caddie. Celui qui viendrait la convaincre d'acheter des fraises parce que si, c'est la saison, et que ce serait parfait pour achever le déjeuner dominical.


Cela faisait des années qu'elle n'avait pas mangé de fraises au dessert.

Pourtant, elle aimait cela quand elle était petite.

Mais aujourd'hui elles lui paraissaient un peu fades. Le goût de la ville peut-être.


Ces modèles de couples parfaits, sortant assortis le dimanche l'exaspéraient et lui faisaient envie.


Elle aussi, elle aurait aimé pouvoir se parer d'un précieux fiancé, coordonné à son éternel imperméable beige et à son regard un peu mystérieux, un peu mutin et intimidant à la fois, à peine effleuré par sa frange quidonnait juste ce qu'il fallait de gravité à ses yeux.


Elle incarnait le paradoxe de ces nouvelles filles, qui semblent parfois pécher par excès d'indépendance et de détachement, et osent à peine s'avouer qu'elles aussi cherchent leur parfaie épiphanie. Peut-être trop parfaite, de ces perfections qui n'existent pas.


Le romantisme de gare et ses mots trop faciles la déprimaient, trop accessibles, trop vendeurs. Elle voulait du Jane Austen, de l'amour courtois puis passionné, des déclarations au crépuscule au bord d'un lac.

Elle voulait une virilité élégante et assumée. Du victorien en plein Paris, du victorieux Pâris qui l'enlèverait à son quotidien.

Pas une de ces pâles copies au goût artificiel de masculinité, qui n'ont d'homme que l'étiquette de leur blouson mais rien de solide dans les talons.


Elle avait assez supporté de Münchhausen qui simulaient, de mal-aimés qui se cherchaient, d'artistes qui ne se trouveraient jamais, de reconversions avortées.


Elle voulait du solide pour pouvoir être portée à son tour.


A sa gauche, un client venait de renverser son café.

Il avait l'air maladroit. Il avait l'air de rien.


Elle n'avait même pas remarqué que quelques gouttes étaient tombées dans son cabas.


Confus, il avait prestement retiré l'accessoire pour le poser sur un tabouret, avant même qu'elle ne s'en rende compte.


C'était idiot, mais il avait un peu pris en main sa vie, pendant quelques secondes.


La rue sentait maintenant les fleuristes et les fruits d'été, les melons d'eaux et les azalées.


D'un seul coup, elle avait envie de partir faire le marché pour acheter des fraises pour le déjeuner, qu'elle saupoudrerait de sucre cristal.


http://www.deezer.com/fr/#music/la-fiancee

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