mercredi 29 juillet 2009
I've just seen a face...
mardi 28 juillet 2009
Viens, mais ne viens pas quand je serai seule
Une aura blanche illuminait son visage.
Elle les avait tous occis, un par un, méthodiquement, dramatiquement.
Son visage rayonnait à présent une odeur de mort et de solitude.
Dans la pénombre, parmi ce chœur passif et impuissant au fatum implacable, il soutenait le poids de son destin.
Elle porta la fiole à ses lèvres et s'écroula.
Une étoffe pourpre s'abattit sur les planches, plongeant la pièce dans un silence, son silence.
Un battement, puis un deuxième qui lui répondit, et ce fut ensuite une ascension d'applaudissements.
Sur scène, Amélie s'était relevée, épuisée, splendide.
Hadrien absorbé, envoûté, ne la quittait pas du regard.
Il avait hésité, un bouquet à la main, à l'attendre à la sortie de sa loge, puis s'était ravisé.
Elle devait probablement recevoir la visite de nombreux admirateurs de renom. Qu'était-il lui, pauvre anonyme à peine sorti de l'adolescence?
C'était à cause d'elle qu'il avait décidé de suivre des cours de théâtre, parallèlement à ses études.
A elle qu'il comparait toutes ces jeunes comédiennes qu'il jugeait fades et insipides.
Puis il s'était pris au jeu, et le cours du soir était devenu inscription à une école d'art dramatique réputée.
En attendant de monter sa troupe, il avait intégré une compagnie qui l'assignait à des rôles de doux rêveurs ou de maladroits malchanceux.
Alors qu'il commençait à peine à se faire un nom, celui de son égérie se ternissait.
Les marches azuréennes la rejetaient tout autant que les réalisateurs qui s'étaient lassés de son imprévisibilité.
Il est un temps où l'on pardonne tout à ces mandarins de pacotille, pour un nom, pour une affiche, pour une rencontre.
Puis un temps où les caprices ne sont plus que des gémissements d'animal de foire qui se meurt et requiert une dernière attention de l'auditoire.
Des revues critiques elle n'était plus apparue que dans les journaux à scandales, puis enfin dans les faits divers.
On la disait recluse, telle une Pythie destituée que l'on ne croyait plus et qui se repliait dans ses opiums éthyliques et médicamenteux.
Celle qui avait partagé la couche des plus grands, des plus beaux, ne pouvait que contempler désormais la sécheresse de son lit désert.
Ses derniers amants auraient été successivement menacés, agressés et blessés.
Pour autant, aucun d'entre eux n'avait jamais donné de suite à ces rumeurs.
Un soir, les compagnes de planches d'Hadrien l'avaient pris pour un fou, quand, après être resté silencieux à leurs querelles stériles de jeunes saltimbanques, il était parti avec fracas, leur assénant qu'elles ne valaient pas le quart de l'estime qu'elles se portaient, qu'elles n'étaient que des cabotines qui se regardaient jouer et ne savaient pas oublier leur prétendue beauté pour la beauté d'une œuvre. Il était simplement fatigué de les entendre se chamailler pour une réplique plus haute que l'autre, pour une didascalie plus avantageuse.
Il décida de partir approcher cette sorcière que l'on disait retirée de tous.
Il rejoignit l'arrière-pays niçois.
La maison semblait presque abandonnée.
Les volets étaient à demi-rabattus pour empêcher le soleil d'entrer.
La porte était entrouverte. Il frappa. Pas de réponse.
Il n'osait pas la pousser. Alors qu'il hésitait à tourner les talons, une voix rauque l'interpella dans son dos.
- Qui êtes-vous?
- Hadrien Maillot.
Il avait l'impression d'être pris en flagrant délit d'effraction, et aurait pu jurer qu'elle avait une arme pointée sur lui.
En se retournant sur elle, il vit une silhouette en contre-jour de femme tassée, aux cheveux vaguement rabattus en un chignon informe, une large chemise sur les épaules.
- Qu'est-ce que vous voulez?
- Juste vous parler.
- Parler de quoi? De la pluie ou du beau temps? J'ai pas le temps pour ça.
- Je vous admire depuis toujours, accordez moi quelques minutes Amélie...
- Il n'y a pas d'Amélie qui vive ici. Amélie est morte, c'est une vestale enterrée vivante par des gens qui se croient dei ex machina en leur royaume. Cette femme là est partie depuis longtemps.
- Alors vous avez démissionné? Je vous croyais plus forte, au-dessus de ce que le monde de la comédie pensait de vous.
- Ecoute gamin, réveille-toi, t'as quoi, une trentaine d’années? T'as passé l'âge de jouer les groupies éplorées.
- J'ai un rôle pour vous.
- Tu ne doutes de rien. Je ne suis pas une artiste au rabais, y a pas écrit "liquidation totale" sur mon talent.
- Je pourrais vous aider à revenir.
- Je ne veux pas revenir, je n'implore la charité d'aucun auteur, et surtout pas d'un apprenti comédien qui sort d'on ne sait où.
- Mais...
Amélie le saisit soudain à la gorge, le plaquant contre le mur.
- Ecoute, j'en ai mâté des petits merdeux qui voulaient me voir sénilisée, déchue, des farfouilleurs de bourbe qui cherchaient un fossile à exhiber dans leurs torchons. Tu sais ce qu'on dit? On dit que j'ai essayé de tuer certains de mes amants quand ils ont voulu me quitter, que je suis dangereuse et bonne à hospitaliser d'office. Alors tu vas me faire plaisir de quitter ma propriété sur le champ, ou sinon tu auras l'occasion de voir si je suis à la hauteur de ma réputation de vieille folle.
La main vétuste mais néanmoins rigoureuse se desserra, laissant Hadrien reprendre son souffle avec difficulté.
- T'es pas un jeune premier toi. On doit te coller dans les seconds rôles.
Hadrien n'eut pas le temps d'amorcer un semblant de réponse qu'elle continua, comme s'il avait répliqué.
En même temps tu as le physique de l’emploi.
Regarde-toi là, on dirait presque que tu t’excuses d’exister.
Il faut de l’audace pour réussir dans ce milieu.
Tiens, avant de déguerpir, aide-moi à emmener ça dans la cuisine, dit-elle en désignant quatre cageots de fruits et légumes.
La raison aurait voulu qu’il parte immédiatement, la laissant à sa potée et ses confitures, ses chats et ses chemises informes.
Mais il prit les cageots et les rentra dans la cuisine, silencieux.
La paillasse était recouverte de plats, de boîtes à demi ouvertes.
La pièce était sale, un véritable capharnaüm alimentaire.
Probablement le reste de la maison était-il dans le même état.
Dans le couloir, il aperçut des bacs en plastiques dans lesquels s’empilaient des vêtements vraisemblablement bon marché.
La poussière avait envahi les sols, les meubles et jusqu’aux murs tapissés.
- T’es un bon petit.
Ils l’auraient pas fait, les autres.
Aujourd’hui ils se prennent pour des vedettes alors qu’ils ont encore un pied dans le bac à sable, ils se croient des artistes incompris alors que ce ne sont que des rebelles de supermarché, incapables de faire des choix pertinents, incapables d’aligner trois mots correctement.
Et, au fur à mesure, elle se mit à lui parler, de sa vie d’avant, de ces metteurs en scène avec qui elle avait travaillé, de ces artistes qu’elles avaient fréquenté, de ses nuits de doute et de ses nuits de chair qu’elle voilait de pudeur.
Une certaine complicité s’installa alors entre eux.
Il revenait, régulièrement, lui rendre visite.
Il lui racontait sa carrière naissante, cette apparition dans un film à succès, qui lui avait ouvert les portes des cérémonies.
Un jour, elle finit par accepter la proposition qu’il lui avait faite la première fois qu’ils s’étaient rencontrés.
Alors, pour la première fois depuis plusieurs années, elle quitta sa propriété pour revenir à Paris.
Hadrien avait réservé un minuscule théâtre pour faire une première lecture.
Amélie, le bras dans celui d’Hadrien, ralentit à l’approche de l’entrée du théâtre.
Soudain, elle avait peur.
Peur de ne plus être à la hauteur, de décevoir, d’être ridicule, pathétique.
Quand elle entra, le régisseur sembla ému de la rencontrer.
Elle sourit.
Elle descendit les escaliers, et s’arrêta devant la porte qui donnait accès à la salle voûtée.
- J'ai peur.
- Je suis là, avec vous. De quoi avez-vous peur?
- De mes fantômes. Je n’ai pas joué dans cette salle depuis mes débuts. Tous ceux que j’aimais, tous ceux que j’admirais sont partis.
Ses yeux s’embuaient au rythme de ses paroles.
Elle entra finalement, et avança à petit pas vers la scène.
Elle y voyait René, avec qui elle avait été mariée pendant huit ans à ses débuts. Elle le revoyait la reprendre quand elle ne parvenait pas à trouver la bonne intention. Quand, trop fatiguée, elle ne mettait pas l’énergie nécessaire à la réplique.
De sa main, elle caressa la scène, puis pleura.
Elle monta, se retourna, et regarda la salle vide.
Elle repensa à ses premières représentations.
A cette sensation qu’elle avait découverte, de se donner physiquement à une salle.
A cette impression que le public vivait au rythme de sa respiration.
Ce sentiment que pendant une heure trente, elle naviguait sur la mer capricieuse de leurs émotions, tirant sur les fils de leur enthousiasme et de leur trouble comme elle l’aurait fait avec un pantin.
Alors ils n’étaient plus qu’un. Une unique entité dont elle pouvait modeler le ressenti à son gré. A la sortie, ils retrouveraient toute leur individualité et leur sens critique. Mais pendant une centaine de minutes, ils étaient une chimère d’audience docile et malléable à son envie.
Elle commença alors à travailler avec Hadrien.
D’abord timide, il dût lui redonner confiance en elle.
Elle regardait le texte qu’elle avait entre les mains comme s’il s’agissait de la baïonnette instrument de son exécution publique.
Puis, elle s’accapara les mots et retrouva toute sa justesse.
Elle revivait.
Au lendemain de la première représentation, la critique fut unanime, assurant qu’elle était une des dernières grandes figures de la comédie.
La veille, le public s’était levé pour elle et l’avait ovationnée.
Lorsque le rideau était retombé, elle s’était soudain sentie auréolée d’une lueur laiteuse.
René était là. Elle resplendissait.
dimanche 19 juillet 2009
I love rock'n roll, so put another dime in the jukebox baby
vendredi 17 juillet 2009
We used to be friends : Ladder theory, lemon law and friend zone.
- Eeeer... yep... but we're just friends, aren't we?
- Yeah sure... Random question.
- Sure... You know I decided I wouldn't sleep anymore with good friends, it's a new rule. Edict from yesterday. Applies from tonight.
- Don't freak out, I was just wondering.
Lui restait calme, silencieux, à l'autre bout de la table.
Je fixais si intensément le fond de mon verre que je me suis visualisée le fendre façon Superman.
C'était sans doute une des techniques de drague les plus bizarres qu’on m’avait faite.
Il décida ensuite qu'il était un peu fatigué et qu'il allait rentrer.
Le lendemain, quand il m'appela pour qu'on prenne un café, j'eus quelques doutes quant à ses intentions. Finalement, il voulait juste prendre un café.
L'autre jour, en lisant un billet qui élucubrait sur la fameuse théorie de Harry (celui de Sally, pas celui qui fait mumuse avec un balai) - énonçant "Men and women can't be friends because the sex part always gets in the way" - je tombai sur un article traitant de la théorie de l'échelle, théorie américaine traitant de l'interaction entre hommes et femmes, au même titre que la Lemon Law ou que la Friend Zone.
D'abord hallucinée par la façon dont l'auteur voyait les femmes je me pris à cette lecture.
J'ai donc abandonné l'idée de rédiger un billet à ce sujet pour vous soumettre tout simplement le lien vers cette théorie, c'est un peu long, pseudoscientifique, assez cynique, mais pour le moins divertissant, et parfait pour lancer une discussion sur la plage (bien qu'en ce qui me concerne je sois au bureau, mais là j'aimerais croire que je suis à la plage, donc je vous y accompagne) :
Faites le calcul, mesdemoiselles, si vous êtes du genre à avoir beaucoup d’amis, messieurs, si vous êtes du genre à avoir beaucoup d’amies, et enlevez de ces derniers :
- ceux ou celles qui sont en couple,
- ceux ou celles qui sont gays / lesbiennes,
- ceux ou celles qui ont essayé de vous draguer,
- ceux ou celles que vous avez essayé de draguer,
A priori, vous devez avoir assez d’une main pour compter ceux ou celles qui restent.
Franchement, chez lequel de vos amis vous verriez-vous débarquer mademoiselle, mal fagotée et démaquillée ? Qui irait vraiment dormir sur le canapé si vous étiez seuls, un soir, avec une bouteille de vin pour vous accompagner ?
Après tout, ce n’est pas parce que vous n’avez aucune attirance envers cet ami qui ne vous plaît aucunement, mais est « teeeellement gentil », qu’il n’en a pas pour vous.
Cette ambiguïté latente et persistante est-elle pour autant vraiment à déplorer ?
Certes, mettre de côté le rapport de séduction est reposant, certes il y a un point de non-retour, certes, la dernière fois que vous avez dit "je préfèrerais qu'on reste amis", vous avez eu l'impression d'avoir commis autant de dégats qu'une bombe de napalm dans son coeur hiroshimisé, mais après tout, la vie est aussi faites de dérapages incontrôlés, et de changements de rapports non maîtrisés!
mardi 14 juillet 2009
Come on baby light my fire
Au dehors, j'entendais encore la plèbe festoyante qui déambulait en une marée oisive au bas de mon immeuble.
Un sommeil semi-réparateur avait consciencieusement snobé la retransmission matinale du défilé martial.
Malgré un cerveau qui me réclamait une alcôve rédemptrice après une journée de lawyer class hero, j'avais testé la veille les festivités du bal des pompiers.
J'avais auparavant fait un bref détour par Bastille et son concert écolo-bio-ska-rap-musette.
N'étant ni particulièrement zouk de cœur, ni particulièrement ska, ni particulièrement musette, je ne m'y étais guère attardée et avais fini par faire une pause salutaire dans un pub du quartier, pour me régénérer d'ondes rock (le rock et ses effets libinidesques, qui feront d'ailleurs l'objet d'un très prochain billet).
Je m'étais sur la route faite accoster par un badaud de la séduction, un vaincu d'avance du charme, plus communément dénommé relou de service, de ceux que l'on ne croise que lorsque l'on se retrouve esseulée l'espace d'un millième de seconde au milieu des égarements d'une foule et qui nous presse à adresser un regard désespéré vers le premier garçon allié pour qu'il éloigne l'empêcheur de guincher en rond.
- C'est quoi le groupe qui joue là?
- Java.
- Cool. J'aime bien. Je viens de Châtelet.
- Ha. Cool.
- Oui y avait du rock aussi.
- Ha, bien. [Si Java c'est du rock je veux bien me pendre au-dessus de la scène du CBGB avec les cordes de Slash. Je feignais de ne pas m'offusquer de ce rapprochement hasardeux.]
- En fait j'ai laissé mes amis là-bas je suis venu tout seul.
- Ha, c'est dommage, vous auriez dû rester avec vos amis.
- Oui mais je voulais voir ce qu'il se passait ici. Sinon ton nom c'est quoi?
- ... Jocelyne.
- Cool. Anthony.
- Enchantée, [looser].
- Tu vois là j'ai laissé mes amis pour voir un peu quoi.
- Ha ok. Ben moi je vais essayer de retrouver les miens [vite, très vite, car moi j'ai des amis bien réels qui feraient bien de rappliquer rapidement].
- Mais si tu veux je te donne mon numéro de portable.
- [Tu sais où tu peux te le foutre ton 06?] Non ça ira merci c'est gentil.
- Non parce que j'habite à Voltaire à côté on pourrait se faire des sorties.
- [Ou pas]. Non c'est sympa merci.
- Non parce que tu sais je suis puissant.
- Aaaaah [le massacre de Jonestown c'était pas toi par hasard?].
- Non mais je suis puissant sur tous les plans tu vois...
- ... [May Day, May Day, je me fais attaquer par le fils caché de Charles Manson et Rocco Siffredi].
- Bon ben tu veux pas qu'on échange nos numéros alors?
- [Attends laisse-moi réféchir...] Non, toujours pas.
- Bon ben bonne soirée.
- Bonne soirée [psycho].
Après cet épisode ubuesque et un gin tonic revigorant, je délaissai mes amis qui se dirigeaient vers la caserne de Reuilly.
J'avais prévenu ma compagne de dancefloor, je faisais un saut, et je repartais.
Evidemment, je suis restée jusqu'à ce que Lionel Richie nous chante de dire toi, de dire moi et que les Scorpions nous envolent dans leur vent du changement
Je fus d'abord surprise par la queue devant la caserne, digne de celle qui patientait en trépignant devant l'Etoile.
Un premier pompier nous attendait à côté du portique de sécurité. Je me retenais de faire un mot improbable qui n'aurait été que le début d'une lignée de réparties usées de midinettes excitées par l'attrait de l'uniforme. De toute façon, je n'avais jamais particulièrement fantasmé sur les pompiers, le crâne rasé, ce n'est pas mon truc. Je fus forcée de revoir ma position face à une rangée de coyote firemen chauffant la foule du haut du bar. La soirée ressemblait à une gigantesque kermesse teintée de clubbing. La cour de la caserne pourtant grande était envahie d'une foule hallucinante. Des odeurs de merguez grillées arrivaient à mes narines, et je repensais soudain aux kermesses de l'école, aux galettes-saucisses, à la pêche à la ligne, à la tombola, aux mères qui préparent des tartes et des quatre-quart, aux flonflons à la française et fancy-fair à la fraise. L'ambiance était néanmoins beaucoup moins familiale, bien que tous les âges se croisaient, du couple en sortie hebdomadaire aux gang de copines surexcitées en passant par les mécheux des clubs branchés. Loin de l'imagerie beauf que je pouvais m'en faire. Ce fut une nuit populaire donc, mais dans le bon sens du terme. C'était dit, chaque année je retournerais au bal des pompiers.
Le bal terminé, des jets de pétards appelèrent un débarquement d'hommes en bleus casqués, tasers et flashballs à la main. On ne rigole plus avec la sécurité à la sortie des kermesses.
Le lendemain, je n'eus d'autre choix que d'annuler mon pique-nique un peu trop précoce en journée, pour me contenter d'un café en terrasse.
A 16H, mon quartier était déjà bloqué en prévision des festivités du soir.
Heureusement pour moi, j'avais une facture qui traînait dans mon sac à main et me permettait de justifier que oui, j'habitais bien au 12, dans l'immeuble duquel je venais de sortir et dont entre temps je n'avais pas déménagé.
Avant les kermesses, il faut montrer patte blanche désormais.
En fin d'après-midi, je rejoignis une bande de gais gamins qui regardait des oiseaux militaires multirotors s'envoler.
Comme la veille, je savais que j'étais censée passer la soirée avec de multiples connaissances, mais que nous ne retrouverions jamais au milieu d'un quartier envahi par la multitude de têtes chercheuses de sons et lumières.
Nous avions loupé le concert de l'année.
Un brailleur pour adolescentes prépubères à la voix grinçante et une ex idôle des jeunes retraitée au pays de Milka.
Je le regrettais un peu néanmoins. Non pour la première partie, qui m'aurait probablement hérissé les poils à en frire mes oreilles, mais pour ne pas m'être mélangée aux tee-shirts à têtes de loups argentées hurlant à la lune et aux tatouages de Harley. Après tout, on aime ou on n'aime pas, mais on ne pouvait dénier que le type assurait.
Et puis flûtiau, il fallait voir ça une fois dans sa vie avant que la sienne ne s'achève. Cela fait partie de ces monuments du patrimoine culturel que l'on dédaigne par mépris d'un français-moyennisme de grande surface, mais devant le succès duquel on ne peut que s'incliner.
Enfin, ce sont quand mêmes nos impôts, comme le rappelait justement C.
Nous nous dirigeâmes vers le Champ de Mars avant de faire escale dans une rue légèrement reculée, aux fins de voir quelques bribes des apparats de lumière de la Dame de Fer.
Mon regard se perdait avec un sourire en coin idiot dans les éclats pyrotechniques.
Des belles bleues, des belles rouges, des petits feux follets harnachés aux armatures métalliques de l'imposant ouvrage se miroitaient de façon touchante dans la cristallinité des yeux de mon voisin, qui avait retrouvé le temps d'un ballet illuminé un air de tendre gamin fasciné par les explosions multicolores.
J'occultais, l'espace de ce moment précieux suspendu à ces mirettes de môme hypnotisé, tous les brailleurs de bacs à disques pour adolescentes et rockeurs à la française pour playlist présidentielle aux goûts douteux, tous mes préjugés de néo-parisienne à l'endroit des festivités organisées par la ville, toute idée qu'il faudrait réintégrer dès le lendemain le flux de costards-jupe-crayon.
Le feu d'artifice était terminé, nous n'avions plus qu'à nous disperser dans les bruits de verre brisé, de pétard et de sirènes.
En rentrant, je retombai sur ma robe bleu marine à pois blancs que j'avais déposé sur mon lit, me disant qu'elle aurait été parfaitement raccord avec une guirlande d'ampoules multicolores et une guinguette de 14 juillet.
C'est plus fort que moi, je ne parviens pas à être cynique très longtemps, je fonce au devant d'images d'Epinal que j'accroche dans mes souvenirs comme autant d'enfantillages ressourçants.
dimanche 12 juillet 2009
Kids
- Bonsoir monsieur, excusez-moi de vous déranger à cette heure tardive, mais pourrais-je parler à J.?
- Oui oui il est là, J????, c'est pour toi! prend le téléphone en haut je raccroche!
Il me revenait des souvenirs d'ados, à chaparder le téléphone pour aller me caler sur mon lit dans ma chambre et passer un coup de fil qui s'éterniserait pendant au moins deux heures.
- Tu sais à quelle heure tu appelles? Mes grands-parents étaient déjà au lit!
- Oui mais je viens de rentrer et...
- Eh ho t'es pas à Paris ici, on vient de finir l'émission sur la 1 et moi j'allais me coucher.
- Moi aussi ça me fait plaisir de t'avoir au téléphone!
Cela faisait plus de dix ans qu'on se connaissait, et j'avais un peu l'impression de retrouver mon voisin de cours de latin à chaque fois que je l'avais au bout du fil.
- Bon sinon quoi de neuf?
- Ben écoute, rien de spécial et toi?
Le dialogue typique de deux personnes qui ne sont pas vues depuis trop longtemps, mais qui ne peuvent résumer leur vie en un coup de téléphone trop expéditif, juste pour prendre des nouvelles.
Alors en général on s'en tient à l'essentiel : Le boulot ça va, non je n'ai toujours pas déménagé, oui la petite dernière vient de passer son bac.
Je n'avais jamais ce problème avec J., même si on ne s'était pas eus au téléphone pendant des lustres, on avait l'impression de s'être quittés la veille. Comme lorsque l'on se rappelait le soir après le lycée, alors que l'on venait à peine de se quitter à la gare routière.
On ne se lassait pas se remémorer certaines anecdotes émoussées par le temps, mais qui ne prenaient pas une ride.
Il me voyait un peu comme une néo-parisienne légèrement aveuglée par les éclats citadins, jamais en panne de clabauderies boulevardières et de rencontres improbables, pendant que lui ermitait sa vie qu'il ne pensait que trop mal partie.
Pour autant, il continuait de moquer la collégienne timide et maladroite que j'avais été et que je restais, de me faire rire avec ses références qui n'avaient pas pris une ride depuis ces années.
J'allais volontairement me heurter à ses répliques réactionnaires mais prévisibles, parce que de toute façon je lui pardonnais tout.
Je réalisai, en raccrochant, qu'on ne s'était pas querellés depuis trop longtemps, cela me manquait presque.
Sans doute parce qu'à l'époque, je ne pouvais supporter certaines de ses réactions, et, quelque part, cela nous plaisait bien de nous raccrocher au nez après quelques échanges houleux.
C'était l'époque des messages sur le tam-tam, des posters sur le mur dont quelques-uns, jaunis par le soleil, n'ont jamais été ôtés. L'époque des cartables en cuir, des trousse en daim que l'on se dédicaçait mutuellement, des petits mots échangés sur une feuille de classeur en cours de français, des parents qui venaient nous chercher à minuit après que l'on ait dansé sur L'aventurier, des parties de Uno dans le car qui nous emmenait en voyage scolaire, des premiers émois qui ne se concrétisaient pas, des bandes dites "populaires" et des Doc Marten's
Puis la fac qui nous avait séparés, ce bar en face de la gare dans lequel on ne se lassait pas de se retrouver.
Les petites sœurs mutuelles que l'ont avait vues hautes comme trois pommes et qui étaient maintenant des jeunes filles affirmées. Plus je m'éveillais à rencontrer de nouvelles têtes et à voir de nouveaux horizons, plus il s'ancrait dans son quotidien et jouait les anachorètes.
Mais la gamine timorée et gaffeuse n'était jamais loin, et il ne manquait jamais de me le rappeler.
Je pouvais avoir été une working girl opiniâtre toute la journée, une aspirante écrivaillonne chaotique, en ce soir de semaine, je retrouvais mes mercredis après-midi de teenager au téléphone.
dimanche 5 juillet 2009
I don't wanna grow up
Un ciel bleu ardoise commençait à poindre à ma fenêtre.
J'étais rentrée depuis un peu moins d'une heure et ne parvenais pas à trouver le sommeil.
Certains étaient restés dormir sur place pour éviter de se réveiller dans leur petit appartement le lendemain matin, comme si tout avait filé en un trait de temps, en quelques pétales de roses retombés sur le parvis de l'église.
Je défie la plus cynique des âmes d'être totalement indifférente à l'effet post-mariage.
N'importe quel être normalement constitué ne peut s'empêcher de se troubler de ces deux "oui" voilés d'émotion échangés devant l'autel.
Je réentends encore N. revenu de son mariage, qui d'un seul coup se disait que peut-être, il devrait revoir sa position de bi pour se caser avec le sexe faible. A., assignée aux épousailles de sa sœur, qui oubliait soudainement qu'elle avait toujours été contre toute idée de pièce montée, de grains de riz et de robe blanche.
Pendant une journée, tout est parfait, tout le monde s'entend merveilleusement.
Plus précisément, on cache soigneusement aux mariés les heurts, incidents diplomatiques et autres vexations.
On occulte les retours nocturnes hasardeux et le passager arrière qui scotche sa tête à la fenêtre aux fins de ne pas sombrer dans des débordements gastriques des plus déplaisants.
Il y a des années comme ça, où votre agenda est surbooké de locations de voiture, de cartons réponse à envoyer à Madame Mère, de choix de dernière minute sur le site des Galeries Lafayette mariage, de plans de table qui vous assignent à faire la discussion avec un couple qui a autant de conversation que la première Dame de France a de coffre, de coupes de champagne et d'expéditions cervoises aux fins de mise en bière de vie de jeune fille.
Un petit côté wedding crasheuse.
Le soleil commençait à peine à poindre en-dessous de l'horizon, matelassant la ville d'un doux ruban rose-orangé.
Cela faisait des semaines que je ne m'étais pas couchée alors que le jour se levait.
Je me revois ce dernier petit matin d'année Erasmus. Nous n'avions tous dormi que quelques heures au cours de cette dernière semaine, parce que c'était la fin, parce qu'il fallait profiter de chaque instant. Les couples se formaient et se défaisaient à la vitesse des pintes de bière et des verres de vin, parce que c'était le dernier moment, parce qu'après ce serait trop tard. Tous les soirs nous en perdions quelques uns de plus. Et cette dernière nuit, nous l'avions passée d'une façon étrangement calme. Juste le plaisir de partager ces derniers moments ensemble. Nous avions déménagé nos chambres au lever du jour, les lieux devant être vidés pour 10H. Je me revois être partie chercher un caddie avec G., pour pouvoir tout entreposer. Il était 6H et la ville qui dormait encore était à nous. Les rues étaient vides, quelques papiers rampaient sur le bitume et nous poussions un ridicule caddie vide. Une impression de road-movie à petit budget...
Des nuits passées sans notion du lendemain.
Etre un tant soit peu fixés sur ce que nous allions devenir nous angoissait presque.
L'idée d'entrer dans la vie active, puis d'être sur des rails pour plusieurs décennies à cotiser pour une retraite au soleil ne nous enchantait guère. Nous avions besoin de savoir que toutes les portes nous étaient encore ouvertes.
Finalement, nous nous posons toujours les mêmes questions.
Nous savons pour l'heure où nous allons, mais ne garantissons pas ne pas tout plaquer dans quelques temps pour une vie différente.
Il y a quelques semaines, lors d'une soirée, une de mes amies de lycée me dit :
"Non mais c'est vrai, tu admettras qu'aujourd'hui à notre âge tout le monde est marié et commence à faire des enfants".
Une de ces soirées où il y a toujours une bonne copine pour vous demander quand est-ce que vous allez vous caser.
Bizarrement certains d'entre nous on peut-être encore envie de rester encore un peu incasables.
Elle avait une vie parfaite sur le papier.
Un mari charmant, une petite fille adorable, la sécurité de l'emploi et une maison en construction.
Etrangement, je préférais mon insécurité professionnelle, sentimentale et foncière.
Je n'étais pas plus emballée que ça par l'idée de contracter un prêt sur trente ans, passer une partie de mes week-end chez ma belle-famille et devoir abandonner toute idée de sortie après 22H, pour cause d'enfant à aller coucher.
J'y viendrai sans doute, mais ce n'était pas le moment.
Nous avons encore envie de papillonner et dans le même temps de reposer ses ailes sur un socle.
Envie de rentrer sans se soucier de l'heure, des impératifs ou de quiconque à avertir, et en même temps envie d'être attendu.
Envie de conserver cette sacro sainte et précieuse indépendance, et envie de s'en laisser dérober quelques miettes, de jouer les oiseaux libres et d'être apprivoisés.
Envie de construire et de déstructurer.
Il n'y pas d'âge pour se caser, pas d'âge pour changer de vie, pas d'âge pour se mettre en danger.
A trente ans largement passés, certains de mes amis cherchent encore la femme de leur vie, pendant que d'autres se sont mariés à vingt ans et des poussières pour fonder un foyer rapidement.
J'aimais ces week-end que je scindais entre un samedi passé entre camarades de gueuze, à s'éterniser à des terrasses pour plus tard errer dans les bars de nuits et finir grisés, sans savoir réellement comment nous étions rentrés - le pilotage automatique étant parfois de règle, une certaine dose éthylique dépassée - et un dimanche passé au calme avec des amis et leur dernière née que j'adorais pouponner.
Nous tâchons vaguement d'être responsables, de donner le change.
Mais nous restons des gamins qui aimons à croire encore en nos rêves impossibles et pêinons à sortir de notre crise d'adulescence.
Des gamins qui se complaisent dans un cynisme qui peine parfois à masquer leur idéalisme clandestin et leur innocence désenchantée.
Des gamins qui facturent plusieurs heures par jour mais qui redoutent le mauvais point quand ils n'ont pas fait correctement leurs devoirs.
Des gamins capables à la fois de saisir un col des mains pour croquer des babines alléchantes, et d'être interdits de timidité comme des adolescents qui laisseraient à l'être convoité un mot écrit sur une feuille de bloc note dans un cartable.
Il y a dix ans, le seul courrier que je recevais se résumait à quelques lettres, écrites au bic multicouleurs sur des feuilles de classeur. Aujourd'hui, je ne trouve quasiment plus que des factures sous ma porte.
Certains d'entre nous n'ont pas pour autant cessé de faire fonctionner leur imaginaire débordant, comme lorsque sur un même parquet de chambre d'enfant se rencontraient playmobils, poupées mannequins et robots maléfiques, dans des histoires invraisemblables et rocambolesques.
Nous ne savons toujours pas ce que nous voulons, mais nous savons ce que nous ne voulons pas, tels des Romain Duris cantonnés dans leurs rôles d'éternels grands adolescents immatures.
Un jour on se mariera, et on aura des enfants, parce que finalement, l'aventure nous tente aussi.
Pas avec Papa ou Maman, car on a depuis un moment classé notre Œdipe / Electre.
Peut-être demain, peut-être dans un an, peut-être dans dix ans.
Mais entre temps nous continuons de faire siffler des brins d'herbes entre nos deux pouces réunis, de brailler sur des jeux musicaux, d'en taper cinq à Tic et Tac quand on les croise au hasard de Mainstreet, Marne la Vallée, de nous renfoncer dans nos lits et de serrer nos coussins entre nos bras d'émotion devant un film, de récupérer des mobylettes usagées dans des vieux hangars pour faire du cirque dans le quartier, de récupérer des scooters un peu moins usagés chez des concessionnaires pour faire les beaux dans les arrondissements branchés, de faire des châteaux de sable qui n'attendent que la marée pour voir leurs douves emplies d'eau de mer, de rougir devant cette envoûtant être qui est loin de vous rendre indifférent, de jouer les groupies arborant fièrement leurs badges au concert de leur groupe préféré, de faire des expériences culinaires improbables, de croire que tout est encore possible et que tout est encore à faire.
Bélier :
"Vous êtes à la fois réservé et énergique, grave et enthousiaste, mais vous savez toujours ce que vous voulez". Pour une fois l'horoscope matinal de ce quotidien gratuit semble me seoir à merveille.
J'écoute cette reprise de Tom Waits qui avait fait briller mes yeux la première fois que je l'avais écoutée, et qui me fait toujours autant vibrer. Il est 8H et je n'ai aucune envie d'aller travailler, je préférerais nettement rester lézarder devant des dessins animés en mangeant un bol de corn flakes bourrés de colorants et d'arômes artificiels.
"When I see the 5 o'clock news
I don't wanna grow up
Comb their hair and shine their shoes
I don't wanna grow up
Stay around in my old hometown
I don't wanna put no money down
I don't wanna get me a big old loan
Work them fingers to the bone
I don't wanna float a broom
Fall in love and get married then boom
How the hell did I get here so soon
I don't wanna grow up".