vendredi 29 janvier 2010

Because the Night



Crédits : R. O. Bento



Il est un moment de la journée que je n'écourterais pour rien au monde.


Je dépose rapidement mon manteau sur le lit, garde mon casque sur les oreilles, ouvre la fenêtre et allume une cigarette.




Je ne suis pas une vraie fumeuse, mais j'attends parfois toute la journée cet instant parfait. Une soirée qui se termine, ni trop tôt, ni trop tard, le dernier métro de deux heures moins le quart, mon ascension fatiguée des étages qui me séparent de ma chambre.





Les monuments sont éteints, les péniches et leurs passagers qui crient sous les ponts ne voguent plus, l'onde est calme.


Je profite de la quiétude de ce moment (*).


Ce moment où je maîtrise enfin vraiment le temps, où je suis hors du temps.


Ce moment où l'obscurité rencontre les espérances les plus folles, où la pénombre se fait écrin des songes les plus improbables.


Ce moment où aucun impératif trop réel ne se heurte à mes contes, à mes histoires sans queue ni tête.


Ce moment où l'on peut croire que demain, si on le voulait, nos phantasmes pourraient se réaliser d'un seul coup de baguette.


Quand on sait qu'aucun réveil ne viendra nous imposer de rapidement se vêtir des apparats de la ville.


Quand on ne demande plus aux réflexions d'être fondées ou pertinentes.


L'autre jour, un de mes amis a baptisé ce moment l'heure d'Astrée.

Allo Astrée ou les nuits des Sans-sommeil.


Enfin on peut m'appeler sans crainte que je ne doive couper la conversation par un métro à prendre, un double-appel ou un rendez-vous qui s'impatiente.


Pour certains, c'est une heure maudite, une heure de doute, voire d'angoisse.

Pour d’autres, c’est l’heure à laquelle on peut se retrouver, après une soirée à l’extérieur. Le coup de téléphone devient un peu comme une infusion que l'on partagerait, à la table de la cuisine, juste avant d’aller se coucher.


Je referme la fenêtre, et m'installe sur mon lit, tantôt pour retrouver quelques cordes qui accompagneront mes murmures ou mes égarements acoustiques, tantôt pour accueillir des personnages qui prosent sans le savoir.

Ils savent qu’à cette heure, personne ne viendra nous déranger.


Comme dirait l'autre, nous sommes tous dans le caniveau, mais certains regardent vers les étoiles.


Je ne sais plus quel artiste avait dit que s'il aimait regarder "Bonne nuit les petits", c'était notamment parce que Nounours et le Marchand de Sable passaient dans les HLM.


S'il y a bien une chose devant laquelle nous sommes égaux, du caniveau au palazzo, c'est d'avoir la candeur, l'insolence ou la faim de croire pendant quelques minutes ou quelques heures, aux constructions de paille que l'on compose, et sur lesquelles personne, à ce moment précis, ne saura souffler.
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Ce moment, un de mes meilleurs amis le traduit de façon plus brocardeuse ainsi :

"Astrée, tous les soirs, elle pleure devant sa fenêtre en se disant que putain la Tour Eiffel c'est beau, et que putain Paris c’est beau, et que putain la vie c’est beau quoi, et que ce soir elle a chopé personne, même pas un voisin pour essayer de la violer, et que si un jour y a un attentat sur la Tour Eiffel, et ben elle pleurera encore plus parce non seulement elle aura assisté à un putain de moment historique, mais en plus à cause à cause de l’explosion nucléaire elle ressemblera plus à rien et pourra encore moins se faire violer».
Oui, ça me fait rire.


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