vendredi 7 août 2009

Wait, they don't love you like I love you II : on dirait le Sud

Il y a quelques temps, j'avais posté un extrait de Silveree, ou les aventures en cours d'écriture d'un jeune étudiant à la recherche de gloire et d'estime qui rencontrait sur son chemin plusieurs personnages tâtonnant dans leur introspection, et notamment Matisse, ancien rockeur pour midinettes aigri qui recherchait le sens de sa gloire passée.

Je narrais le jour où Matisse avait décidé de quitter subitement les paillettes de sa vie pour retourner à ses racines méditerrannéennes.

Comme j'ai fortement besoin de vacances, et qu'il fait gris aujourd'hui sur la capitale, je vous propose la suite de ce chapitre, qui nous emmène de nouveau du côté des marais salants et des arènes romaines...


"[...]
Plus tard Matisse passa devant une bonne dizaine de bars. Dans certains, il avait mangé des glaces avec son grand-père. Dans d’autres, bu des pressions avec ses camarades de lycée. Dans d’autres encore il avait dragué les soeurs de ses copains. Dans d’autres enfin il avait joué. Avec un groupe fait de bric et de broc, d’anciens copains de lycée, de percussionistes rencontrés au hasard de la fac, de guitares bon marché. Il s'arrêta devant "le Prolé", point de ralliement incontournable de ses jeunes années. A l'époque ls croyaient en eux. Ils avaient leurs groupies qui les suivaient. Bien sûr, elles n’étaient pas aussi nombreuses que lorsque Matisse devînt Silvery, mais elles étaient fidèles. Ils tournaient pas mal au final dans la région. Que serait-il advenu de lui s’il avait continué cette vie là? Sans doute auraient-ils continué les concerts pendant un temps, puis de moins en moins fréquemment, mais ils auraient toujours trouvé des soirées pour jouer ensemble. La batterie bon marché lui manquait. Les groupies locales aussi. Il était 23H et Matisse était assis sur le rebord de la fontaine, place du Marché. Il se regardait dans le reflet de l’eau. Le crocodile qui lui faisait face, insensible à son désarroi, ne semblait vouloir verser aucune larme pour lui. Le reptile semiaquatique, dont les années n’avaient pas terni les liens qui le tenaient attaché au palmier qui le surplombait, lui rappelaient que lui était libre, que rien ne l’empêchait d’abandonner définitivement sa prison dorée. Alors, pour la première fois depuis plusieurs années, Matisse pleura.

Le lendemain, Matisse décida de racheter la maison familiale. Elle avait été vendue à la mort de son père à un couple britannique, qui cherchait un point de chute pour ses vieux jours. Les séniors d’Albion consentirent à lui laisser leur bien pour trois fois le prix qu’ils l’avaient acquise, une affaire pour eux. Mais Matisse n’en avait cure, ce qui importait pour lui était de récupérer la maison le plus rapidement possible. Il avait rapidement remercié le premier agent qui s’était occupé de placer ses revenus pour prendre les rennes de la gestion de ses entrées d’argent, et avait alors vu son capital augmenter rapidement. Cela lui aurait permis d’acquérir sans difficulté une villa à Porto Cervo, mais tout ce qui lui importait était de retrouver le jardin dans lequel il avait joué. Dans l'après-midi, il se rendit au cimetière de Saint Baudile où ses grands parents étaient enterrés. Il aimait le calme de cet endroit, les cyprès florentins et les pins parasols qui protégeaient de leur rassurante silhouette le repos des résidents. Alors qu'il se dirigeait vers la tombe de ses grands-parents, il croisait quelques maigres félins qui avaient fait de cette nécropole leur domaine. Il se demandait si la vieille dame qui venait les nourrir était toujours en vie. S'il quelqu'un se souciait toujours de leur bien-être. Une étrange harmonie s'était scellée entre ces minets de gouttière et les trépassés. En rentrant, il repensa à El Nimeño II, ce torero qui s'était donné la mort, deux ans après qu'une blessure ait mis fin à sa carrière. Il vivait reclus et ne voyait plus personne. Parce qu'on lui avait enlevé la seule chose qui comptait pour lui.


[...]

Matisse se souvînt de ses jeunes étés passés sur la côte. Alors qu’il était encore étudiant, il jouait les plagistes sur sable de petites stations balnéaires, loin des grandes promenades de la Riviera. Il n’avait alors pas le physique traditionnel des jeunes éphèbes à la peau cuivrée qui plaçaient les matelas et servaient des sodas aux clients lézardant sur les transats. Mais il avait séduit la gérante par son charme naturel et son humour. De fait, il était finalement l’employé qui avait le plus de succès auprès de la clientèle féminine, une bonne plage privée devant une bonne partie de son succès commercial au charme de ses plagistes. C’était les femmes d’un certain âge qu’il préférait. Parce qu’elles arrivaient fin mai et ne repartaient que mi-septembre. Elles restaient là tout l’été, et se plaisaient à lui faire la conversation lorsque leurs enfants ou petits enfants n’étaient pas descendus en vacances chez elles. Elles se plaisaient à lui présenter leurs filles et à lui vanter leurs qualités. Il devenait le meilleur ami de leur dernier petit fils, toujours au fait des derniers jeux en vogue dans les cours de récréation. Quand le soir venait, alors qu’il ne restait plus sur le sable que des rangées de transats au plastique blanc nu et des pieds de parasols plantés comme une nuée d’épingles sur le bracelet d’une couturière, il faisait venir au bar quelques amis. Ils amenaient quelques bouteilles et refaisaient le monde devant la mer apaisée, face aux lumières des stations voisines. Il y avait souvent une guitare pour accompagner leurs soirées. Matisse chantait, improvisait sur l’air estival. Souvent, les membres de son groupe le rejoignaient et ils improvisaient un bœuf au son d’instruments de fortune. Parfois, des bandes d’adolescents qui faisaient des feus sur la plage, attirés par la musique, se posaient autour des barrières de l’établissement. Au fur et à mesure, de plus en plus d’amis d’amis venaient à ce qui devenait des soirées musicales semi-improvisées. Matisse et ses amis avaient lancé les beach parties version cheap. Ici pas de micro-stars, pas de DJ en vogue pour faire trépigner les pieds sur le sable. Simplement un groupe qui faisait tourner le bar au-delà des heures d’ouverture, deux soirs par semaine. C’est ici que Matisse avait été repéré, lors d’un casting sauvage. Il revoit encore l’homme aux petites lunettes ovales qui lui avait promis que s’il faisait de bons résultats dans son émission, il pourrait faire connaître son groupe. Matisse gagna l’émission, et les membres du groupe retournèrent à leur vie quotidienne, après quelques concerts.




Cela faisait plusieurs années que Matisse n’était pas revenu sur ces plages. Trop touristiques, trop voyage organisé pour comités d’entreprise. En posant le pied sur le sable de la petite station, il retrouva les sensations qu’il avait quand il se promenait, tard le soir. Rien que le son de la mer, calme et rassurante. Au loin, les notes déformées par le vent et le relief d’une chanteuse de karaoké. De l’autre côté des dunes il y avait ces groupes d’adolescents, qui attendaient l’ouverture de la petite boîte locale. Et ces filles, mini-starlettes dopées aux journaux people pour ados, qui les jaugeaient de loin, sous le contrôle des parents attablés devant un plat de moules-frites. Il apercevait les étincelles d’un des multiples feux d’artifice tirés tout au long de l’été. Et le son des bars, toujours déformé. Un peu plus loin que la chanteuse de variété, c’était un petit groupe qui jouait. Ils devaient être quatre, cinq au maximum. Ils reprenaient des standards, les tournant sauce folk. Ils devaient avoir l’âge de Matisse quand il avait quitté la région. Peut-être ce soir seraient-ils repérés par un agent. Peut-être ce soir leur destin se jouait-il sans qu’ils en aient conscience. Peut-être ce soir là Matisse aurait-il dû saisir leur chance de rester là, et ne pas rejoindre la course aux charts. Peut-être...







Il partit redonner à ses pieds le goût du sable et de l'eau. Il était près de minuit et la plage était déserte. Sans doute quelques couples s'étaient cachés dans les dunes pour s'étreindre à l'abris du regard de leurs parents. Il aimait la sensation de ce sable nocturne, ce sable froid et doux qui venait le caresser. Il aimait regarder cette mer calme, enfin apaisée des baignades de la journée. Elle semblait ne pas l'avoir oublié. L'eau a une mémoire, et Matisse avait besoin de s'y plonger. Alors il posa ses affaires et partit nager, seul, dans l'obscurité. Du bout de la digue, tout paraissait si petit, si insignifiant. Ces gens. Ces amis. Cette vie. Même la musique, cet art mineur qui avait dirigé une partie de sa vie. Il lui semblait que tout cela n'avait été que pécadille, qu'un jeu d'enfant duquel il était temps de revenir. Doucement, il s'enfonça dans les ondes ténébreuses et mélancoliques, et se laissa envahir par le silence[...]."

In Silvery






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