dimanche 28 juin 2009

Complicated


"Tu veux sortir avec ma copine Justine?".

Dix minutes. Dix longues minutes.
En dix minutes, vous êtes passée de l'état d'euphorie béate à celui de désespérance la plus totale.
Il y a dix minutes, c'était encore un garçon absolument génial et bourré de charme. Maintenant ce n'est plus qu'un stupide petit margoulin qui ne se souvient pas de vous et qui ne prend même pas la peine, par simple politesse, de répondre à votre message. Las! vous vous demandez si vous ne disposez pas finalement d'un charme éthylique, si vous n'appartenez pas à ces filles que l'on drague en soirée et que l'on oublie aussi vite. Vibreur. En trois secondes, le jeune éphèbe est revenu dans vos grâces. La phase de séduction tend à nous rendre rapidement cyclothymique. Vous n'en aviez pas douté très longtemps, vous n'êtes pas le genre de fille qu'on oublie et qu'on ne rappelle jamais. S'en suivent en général de longues minutes de commentaire analytique en conf call avec votre meilleure amie. Le "à bientôt' était-il synonyme de "à très vite j'espère" ou de "tu es gentille, je te réponds par politesse mais maintenant tu me lâches la grappe"?

Le lendemain, votre meilleur ami tente de vous convaincre que vous vous posez trop de questions, que vous verrez bien ce qu'il adviendra de votre rencard à venir. Que vraiment, les filles, vous êtes trop compliquées, que les mecs sont beaucoup plus binaires. Là-dessus vous lui répondez que la gent masculine est tout autant sibylline et que vous ne parvenez pas à tout comprendre. La binarité masculine est un mythe, tout autant que la complexité féminine. Je ne peux pas complètement m'en plaindre, si les garçons n'étaient pas un tantinet compliqués, je n'aurais rapidement plus rien à écrire.

Adam a toujours été aussi nébuleux qu'Eve, Romeo aussi tourmenté que Juliette, Oui-oui aussi casse-bonbons que Dora l'exploratrice.
Sans difficulté, plus d'inspiration, plus de personnalité à sonder, plus de jeu, plus de questionnements infinis.
La simplicité, c'est assommant.
Rassurant un temps, mais néanmoins un peu fade.
L'alternance du chaud et du froid est excitante, l'obscurité crée le questionnement, le tâtonnement, et l'erreur de routage parfois.

Pourtant, les choses sont souvent beaucoup plus simples qu'il n'y paraît.
La complexité est néanmoins souvent un argument que l'on lève en drapeau blanc pour justifier que l'on n'est pas capable d'assurer.
Un soir, j'étais allée voir "He's just not that into you", m'attendant à découvrir une bonne comédie cyanoflore légèrement niaiseuse. Je ne vous mentirai pas, c'était globalement le cas (mais j'assume mon goût occasionnel pour les niaiseries mélancolico-sucrées). On y suit notamment la quête du grand amour (oui, l'auteur a pris des risques avec un sujet sensible et peu traité) par une jeune célibataire pleine de charme mais légèrement naïve. Rentrant de l'un de ses rendez-vous, elle appelle sa meilleure amie ravie de sa nouvelle rencontre, et de la promesse faite par son chevalier servant d'être rappelée. Trois jours plus tard elle est encore dans l'expectative de l'appel. Nous sommes aux USA, et si vous êtes spectateur régulier de ce genre de films, vous n'êtes pas sans ignorer qu'on pourrait rédiger un code du date tant les relations sentimentales semblent paramétrées : attendre trois jours avant de rappeler l'autre, ne pas monter chez lui avant le troisième soir etc. Il ne la rappelle pas. S'en suit une suite d'interrogations : peut-être est-il à l'étranger, peut-être lui est-il arrivé quelque chose de grave, peut-être attend-il que je le rappelle car il est trop timide. Alors que sa meilleure amie la rassure par un "of coooourse, he's totally gonna call", son nouvel ami la ramène rapidement à la réalité : "He didn't call. He doesn't want to see you". Et là, votre vécu revient au galop. Vous repensez à ces fois où vous avez tant attendu une démarche de l'objet de votre convoitise qui ne venait pas. Il ne voulait pas vous voir, c'était aussi simple que cela. Oubliez l'excuse de la sortie de relation douloureuse, de son emploi du temps débordé, des autres priorités qu'il a actuellement dans sa vie, de sa potentielle timidité. Il n'était pas timide quand il vous a demandé votre numéro. Vous lui plaisiez le temps de quelques minutes, quelques heures, une soirée mais après réflexion, vous ne lui plaisez plus tant que ça finalement, fin de l'histoire, next please. Pas forcément de quoi en faire une analyse introspective comportementale autoflagellante sur le mode "mais qu'est-ce que j'ai fait? j'étais super mignonne pourtant ce soir là, et spirituelle, et réceptive, et...". Personne ne doute du fait que vous êtes une fille formidable, et c'est peut-être lui aussi un garçon formidable (bien qu'il deviendra, en cas d'inertie téléphonique, un réel "connard qui ne sait pas ce qu'il loupe"), mais ça ne le fait pas, that's it, l'excuse du garçon compliqué ne vient que conforter votre ego blessé. Les choses sont très simples finalement.

Debrief date avec un de mes amis. Il conclut le récit de sa soirée par un "ouais mais tu vois, cette nana, elle est compliquée". Je traduis "j'ai dormi sur la béquille". Elle est compliquée veut alors souvent dire "elle ne veut pas ce que je veux". Elle veut une relation stable, il veut un one-night stand. Elle veut rester indépendante, il veut la voir tous les week-end et lui faire rencontrer ses parents.

Il n'y a pas très longtemps, je revois cet ami. Cette fois, je viens pour qu'il me fasse un débrief de son week-end avec cette belle brune avec qui il travaille. Ils se sont promenés, ont fait des restos. Je ne peux m'empêcher de ponctuer son récit par un "Et?..." - "Et quoi?" - "Vous n'avez fait que vous promener?" - "Bah oui, normal quoi" - "Non R., ce n'est pas normal, que moi je passe une journée avec un mec sans rien tenter, oui c'est normal, mais là on parle de toi qui passe un week-end avec une fille que tu me décris comme un canon à neurones, ce sans même essayer de la toucher. Soit elle était munie d'un bouclier électromagnétique, soit tu es complètement troublé". D'un seul coup les filles n'étaient plus si compliquées.

"Alors, tu en es où avec ce mec?" - "Pfff c'est compliqué..."
La réplique est sans doute celle qui a le plus de succès, autant auprès des filles que des garçons, avec le fameux "je ne te mérite pas".
Elle n'est souvent finalement érigée qu'en miroir de notre propre versatilité sentimentale.
L'autre jour, une de mes amies a mis le doigt sur un des plans drague les plus usés de tous les temps, que j'avais utilisé à mon insu :
"-Tu lui as dit quoi exactement?
- Qu'il était plus complexe que ce qu'il laissait paraître...
- Oh mon Dieu mais c'est naze!
- Ben pourquoi, j'étais sincère!
- Laisse-moi deviner, après tu lui as dit qu'il était mystérieux?
- Pas du tout, j'ai dit qu'il était heu... insaisissable? je ne sais plus...
- ... et que pour mieux le saisir il faudrait que vous vous voyez, parce que tu n'as pas envie d'en parler par mail...
- heu dans l'idée oui c'était un peu ça... oh punaise tu as raison, c'est complètement naze!"
Plus jamais je ne dirai à quelqu'un chez qui l'ambiguïté n'a pas été levée qu'il est complexe. C'est pourri.


Tout est une question de vocabulaire, dites de quelqu'un qu'il est complexe, c'est flatteur, il en ressort un côté mystérieux, insatisfait, éventuellement torturé, à la personnalité kaléïdoscopique.
Dites qu'il est compliqué, on comprendra qu'il est chiant.

Gardons intact ce mythe de la complexité amoureuse.
Sans elle, plus de debrief date qui s'éternisent - les filles semblant parfois préférer dans les rencards, non le rendez-vous lui-même, mais la discussion interminable qui s'en suivra avec leurs amies.
Sans elle, plus d'inspiration.
Oui à une complexité raisonnable!
En cas de complexité pathologique, sauf à être masochiste, partez.
Oui, nous sommes basiquement complexes et nébuleusement binaires, mais quelque part, a-t-on vraiment envie de revenir à cette façon de faire qui était tellement simple et d'une cruelle efficacité :

"Salut, tu veux sortir avec ma copine Justine?"
"Bon ben je lui ai demandé il veut pas".

L'affaire était classée en cinq minutes chrono et ce billet n'aurait pas lieu d'être.

3 commentaires:

  1. Houlala, j'avoue que je découvre ton blog, et j'en suis ravie ! J'adore !
    Très belle analyse ! Très fine et très drôle aussi !
    à bientôt ;D

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  2. Merci pour le lien :) ça fait plaisir.
    Ensuite, je dit bravo pour le billet. Des fois, c'est comme une forme de pathologie. T'as le stylo constipé pendant quelques temps, et puis... PAF - t'as tout qui sort d'un coup.

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