mercredi 4 mars 2009

"Wait, they don't love you like I love you"


Yeah Yeah Yeahs - Maps
par Yeah-Yeah-Yeahs



"Matisse avait la tête appuyée sur la fenêtre embuée qui donnait sur une petite ruelle pavée. Les yeux fermés, le froid de la vitre commençait à lui donner mal à la tête. Il se mit à dessiner un bateau sur une mer lisse, et une île avec un palmier, cette même île qu’il avait tant de fois dessinée sur les vitres de la BX de son père quand il le déposait à l’école le matin. Il trouvait le temps long. L’inspiration l’avait quitté depuis trop longtemps déjà. Il aurait aimé écrire d’autres airs que de mélancoliques mélopées. Il voulait retrouver des harmonies qui plaisent à son oreille, il aurait voulu toucher la note bleue, mais il n’avait devant lui que l’azur désespérant du ciel et le soleil qui frappait de ses rayons les draps de son lit deserté. Lui qui était né parrainé par l’astre du jour ne pouvait plus supporter d'être nargué par sa lumière aveuglante. Lui qui avait tant de fois joué sur les pavés éblouissants de sa ville natale ne recherchait plus que l’ombre. Il n’en pouvait plus de cette ville, il dépérissait comme mourait le soleil couchant sur les immeubles haussmaniens. [...]

Les derniers mots de Cherry résonnaient encore dans la pièce.
"Tu n'es plus rien maintenant. Ils t'ont tous oublié dehors. Tu n'as plus que moi.
Ils ne t'ont jamais aimé et ils ne t'aimeront jamais comme je t'aime".

Il n'aurait jamais dû revenir. [...] Tout était arrivé si vite. Le casting. L'émission. L'engouement inattendu du public. A l'époque déjà on le critiquait. Il sortait trop du cadre, ou alors pas assez. En voulant jouer la carte de l’inclassable on le classait dans les futurs déclassés. Parce qu’il surprenait, et qu’en musique, ce qui déroute a besoin d’un peu d’âge pour être apprécié. Ce n'est qu'après quelques années écumées dans les déserts des feux de la rampe que l'on peut revenir pour faire apprécier son bouquet jusqu’à la lie. Il avait fait deux albums qui avaient très bien marché, mieux que certains autres gagnants plus standardisés de ces émissions. Puis il était parti, de lui-même. Il avait fait une tentative de suicide artistique. On dit souvent que les TDS sont des appels au secours. Il avait peur de se laisser enfermer dans un courant alternatif édulcoré, de devenir un indie des bacs à sable plus que des bacs à disques, un rebelle du Campanile qui vole les savonnettes des hôtels deux étoiles dans lesquels on aurait fini par l'envoyer. Alors il avait commis un duo avec un chanteur à la papa, qui ramait depuis des années pour se maintenir un public, son audience tendant à décliner avec le départ des baby-boomers dans des pays plus chauds pour leur retraite. Les baby-boomers migraient et en France, Matisse Silvery se compromettait avec Michel Rivière. Ses fans, qui avaient d’abord cru à un coup médiatique, un pied de nez à la ringardise et à la beauferie, n’avaient finalement pas apprécié la plaisanterie et avaient délaissé l’instable perfomer pour le chant d’autres sirènes électriques. [...]

Matisse se souvînt de cette rupture avec sa vie de pop star. Il était alors en pleine préparation de son prochain album. On parlait de collaboration avec les plus grands “faiseurs de tubes” du moment, de séjours à Los Angeles pour enregistrer un morceau avec ce qu’on considérait alors comme les pointures du son US. Ne trouvant plus l’inspiration, il s’était laissé convaincre, sans y croire vraiment. Pendant que son agent se chargeait de l’enregistrement de ses bagages, Matisse attendait et regardait les avions décoller pour des destinations lointaines. Il ne les rêvait pas partir à Puerto Rico, encore moins à Hawaï ou à New Delhi. Non, il les imaginait quitter le sol parisien pour atterir sous le chant des cigales, tout simplement. N’avoir plus que la berceuse du ressac de la mer comme compagne. Matisse n’entendait plus rien autour de lui. Les passants, les agents de sécurité, les hôtesses de l’air, les gamins qui criaient, les parents qui perdaient leur calme, tout cela était si loin. Alors il prit son sac, récupéra ses papiers auprès de son agent et se dirigea naturellement vers le comptoir d’embarquement de Montpellier. Georges, son personnal assistant, maudissait une fois de plus les lubies de ces artistes incompris, et tentait de le convaincre de revenir au programme décidé par la maison de production. Mais il n’y avait rien à faire, Matisse marchait seul, il rentrait chez lui. Il était perdu. Perdu entre ce qu’il abandonnait à Paris et ce qu’il retrouverait chez lui. Depuis toutes ces années qu’il avait quitté la maison familiale, sur les hauteurs de la ville, il avait oublié l’atmosphère des bars enfumés de ses débuts, ennivré pars les vapeurs vénalo-alcoolisées des lounges qui avaient fini par le perdre quelques albums plus tard. Il décida donc de repartir sur ses propres traces. Dans les rues de cette ville qui l’avait vu grandir tout d’abord. Il remonta la rue Aspic, et resta quelques minutes devant une enfant qui jouait sur un jet d’eau, place de l’Horloge. Elle devait avoir cinq ans et riait, sous le soleil. Elle chevauchait cette monture aquatique éphèmère, dansait avec elle. Il continua son chemin; quelques pas plus loin, les visages d’une façade Renaissance tour à tour lui souriaient, le boudaient ou le méprisaient. Il se sentait alors si petit, si insignifiant, comme lorsqu’il était soumis à ces on-dits, à ces milliers de regards qui le transperçaient, professionnels ou profanes. Il passa devant le Palais de Justice. Il s'y était présenté une fois, pour conduite en état d'ébriété alors qu'il n'avait qu'une vingtaine d'années. Puis, ce fut le tribunal de grande instance de Nanterre qui ne le connaissait plus qu’en tant que demandeur, obsédé des actions en atteinte à la vie privée à l’encontre de feuillets people. Il continua son chemin. Ses doigts parcoururent les livres poussiéreux sur l’étalage d’un bouquiniste. Il n’avait jamais compris l’intérêt de la lecture sur smartphone. Les essais philosophiques et les romans ne prenaient pour lui toute leur dimension que lorsqu’ils pouvaient tenir leurs lignes dans ses mains, lorsqu’il pouvait sous-peser le poids de leurs mots. Il affectionnait ces exemplaires datés, souvent marqués des notes des précédents lecteurs. Ici des étudiants qui s’étaient servis d'un essai pour la rédaction d’un mémoire, là de simples lecteurs occasionnels qui avaient trouvé telle formule particulièrement digne d’être citée. Matisse eut la bonne surprise de constater que Monsieur Boucanet, le gérant, était toujours là. Il semblait ne pas réellement souffrir de la concurrence des grandes enseignes aux locaux aseptisés, trouvant toujours sa clientèle auprès des habitués et des étudiants fauchés. Il reconnut tout de suite Matisse. Lui sourit un instant puis lui tendit un livre.
- Tiens, je te l’avais gardé, je t’avais promis de le mettre dans un coin quand je l’aurais en boutique.
- Merci, Monsieur Boucanet.
- De rien. Je me demandais où tu étais passé petit. Il paraît que tu es devenu chanteur dans la capitale, que tu es une vedette maintenant?
- Faut pas croire tout ce qu’on dit.
- Mais tu vas rester?
- Je ne sais pas encore, je prends quelques vacances...
- Bon, et bien j’ai quelques ouvrages qui pourraient t’intéresser pour tes lectures estivales...
Et Boucanet lui fit faire le tour des rayonnages, comme il avait pris l’habitude de le faire auparavant. Matisse, l’écoutait, en silence. Il était bien là. Il était à sa place".


In Silveree

3 commentaires:

  1. Ha ca me rappelle quelque chose ca ! Ca a l'air d'avoir bien avance ! Ca se lit bien, ca coule tout seul ! Du coup je lirais bien la suite (ou le debut).

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  2. Cool, c'est ce que j'avais besoin d'entendre, j'hésitais à poster l'extrait d'un truc pas fini, mais comme ça ça me force un peu à continuer et à pas laisser le truc en plan :-)

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  3. Tout à fait d'accord, la suite garçon !!

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