lundi 16 mars 2009

"Je suis une merde. Mais c'est énorme."

La soirée avait commencé de façon inattendue.
Une rencontre improbable sur un pont, des retrouvailles improvisées dans un café.
L'impression de se retrouver d'un seul coup parachutée quelques années auparavant.

Et puis une autre soirée qui s'enchaîne, et le sentiment de m'être retrouvée nez à nez avec une facette d'un des personnages qui hantent mon clavier ces temps-ci.

Adossé au mur de la cuisine, il était en grande discussion avec un tendron manifestement charmée par son incontinence verbale. Sa voix rocailleuse et quelque peu caverneuse résonnait entre le lave-vaisselle, une part de pizza et des mojitos en préparation.
On n'entendait que lui, il ne parlait que de lui.

Il avait été comédien, était maintenant musicien, crachait à la gueule des institutions artistiques, juridiques, anti-égocentriques.
De ses propres mots il ne valait rien, mais ce qu'il faisait était énorme.
Bashung avait rejoint le secret des cumulus une heure plus tôt ce qui l'avait assombri.
La sombreur justifiait ses verres, les verres accentuaient sa sombreur.

Il paraissait quelques années de plus que son âge d'enfant blessé, son timbre sculpté par le J&B, les Malboro, le manque de sommeil.
Il était neveu de, anti, vrai-faux nanti avachi sur son esprit tortueux et torturé.
"La mineur, fa, sol, do, ça fonctionne. Tu aimes, tu aimes pas, mais tu peux pas dire que c'est de la merde, ça fonctionne" réagissait-il au son d'une teen-singer formatée.
Je pourrais en faire tout un portrait, mais je suis cachotière, je préfère me garder quelques lignes pour étoffer d'autres pages.

J'hésitais entre une certaine attirance fascinée et une empathie blasée.
En parlant avec lui d'écriture, me vint à l'esprit cette personne chimérique qui occupait certaines de mes pages.
Elle se matérialisait là, devant moi.

Se concrétisait une partie importante de la personnalité de ce protagoniste imaginaire. Je l'avais presque touché, cet individu dont j'écrivais une partie de la vie. Je l'avais presque rencontré. J'avais presque envie de le revoir, mais préférait finalement l'enfermer dans une bulle nocturne capiteuse et éphémère. Il faisait partie de ces protagonistes qui s'invitent, l'espace d'un épisode, dans votre petite histoire de vie, de ces passagers précaires auxquels je trouve de l'intérêt, parfois de leur plein gré, parfois à leur insu, et qui déposent une impression fugace mais tenace dans mes compositions fictivo-sociales.
Il funambulait sur une ligne imaginaire, entre pathos et illuminations de lucidité fulgurantes.
Il avait conscience sa mégalomanie, de son auto-commissération, de cette existence dissolue, de cette image caricaturale d'artiste maudit qui ne l'était pas vraiment.
Il voguerait peut-être entre la rubrique des cabots écrasés et les pages culture et art de vivre.

En fin de soirée il partit avec cette jeune fille avec qu'il partageait sa faconde autistique.
Les similitudes avec ma fiction s'enchaînaient.

Toutes ces images se superposèrent dans ma tête alors que je rentrais au petit matin. Ce virtuose nicotiné tout juste parti, cet invité inattendu, ce jeune chanteur indé dont on avait parlé, et ce personnage qui acquérait une substance telle que j'avais l'impression d'avoir passé une partie de la soirée avec son jumeau de déprave.

4 commentaires:

  1. Enorme ce post ! Decidemment, je jalouse plus que jamais ta plume !
    "faconde autistique"... faute de frappe ou...
    Ha et je veux savoir qui c'est ! Ou l'as tu rencontre ?!

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  2. Point de faute de frappe, je voulais simplement décrire sa façon de parler en vase clos, toujours tournée vers sa personne :)

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  3. C'est agaçant, moi aussi je cherchais les mots pour décrire ça. J'aurais bien aimé trouver avant toi mais maintenant c'est trop tard, je garde mon "autisme irresponsable et capricieux", ça ira comme ça.

    Bises

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  4. Hehehe, dsl petit autiste irresponsable et capricieux :)
    Mais il y a certainement quelques formules que je te jalouserai égaement!

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