lundi 20 avril 2009

C'est pas ma faute...


Découvrez Julien Doré!



Lentement, avec application, elle en traçait les contours au crayon.
Du plus loin qu'elle se souvienne, elle n'avait jamais débordé.
Certaines en mettaient partout, et procédaient à des associations improbables de couleurs.
Prune, pour éviter toute faute de goût, avait opté pour le noir.

Elle repassa une deuxième couche, peaufina son trait, et parut finalement satisfaite.

Le halo charbonné contrastait avec le bleu roi de ses iris, donnant l'impression d'un point d'eau cristallin au milieu d'un volcan esquissé au fusain.
Elle avait gardé le regard de ses primes années. Romantique et frais, complétant une chevelure marron glacé qui tombait en cascade sur ses épaules, mais dont la lumière s'était quelque peu ternie.

Elle passa un simple débardeur long par dessus ses collants, enfila une paire de bottes en daim qui retombaient en chaussettes sur ses chevilles et saisit deux sautoirs assortis. Elle se frotta rapidement les cheveux afin qu'ils lui cachent une bonne partie du visage, attrapa son vieux cuir récupéré dans une braderie et se mit en route.

Elle ne rejoignit pas le métro le plus proche, elle avait envie de marcher un peu. Elle traversa le pont sous lequel résonnaient les cris enthousiastes des touristes.

Elle prit place dans le métro, face à un groupe de filles aux tenues similaires à la sienne.

Une demi-heure plus tard elle était aux portes de la soirée.
Comme elle venait régulièrement dans ce lieu, le physionomiste la fit rentrer rapidement, forçant le désaccord appuyé de la file de non-inités qui patientait.

Elle se fit de suite harponner par un habitué, qui lui demanda rapidement quelques nouvelles, les yeux plongés dans son décolleté naissant. Elle quitta le vestibule d'entrée pour rejoindre la salle principale, qui était déjà bien remplie. Elle se rapprocha du comptoir et fit signe à Toby, un des barmen. Parfois elle aimait rester lui parler pendant de longues minutes. Il avait essayé de la persuader de ne pas perdre ses nuits ici. Il lui disait qu'elle était jeune, qu'elle avait le temps pour tout ça. Que cette verdeur était son bien le plus précieux.

Elle riait de lui, lui disait qu'elle n'aimait pas quand il prenait ses airs moralisateurs.
Alors il arrêtait et lui parlait des habitués, des esquisses qu'il ébauchait pour son nouveau projet.

Et puis elle repartait se faire flagorner, amadouer, étreindre par d'autres bustes.
Elle minaudait, allumait, provoquait.
Son visage était éclairé par un arc-en-ciel d'éclats stroboscopiques.

De loin, Toby l'observait.
Il ne pouvait rien faire de plus que de la mettre en garde.
Il lui était délicat d'intervenir lorsque l'un habitué opulent se permettait un geste qui déplaisait à Prune. Malotru, il n'en restait pas moins cossu.
Souvent, il la voyait repartir au bras d'un jeune hâbleur. Parfois ils revenaient ensemble la fois suivante, et la fois d'après encore, mais cela ne durait jamais bien longtemps.

Elle avait l'impression d'exister dans tous ces regards, consciente, du haut de sa juvénilité triomphante, de ses charmes victorieux.
Toby ne comprenait pas pourquoi elle s'obstinait à revenir, qu'est-ce qu'elle pouvait trouver dans les yeux de ces loups soupirants d'un soir.

Ce soir encore, elle rayonnait.
Mais du fond du comptoir, Toby la savait absente.
Son corps était là, sa croupe se balançait, ses mains se posaient sur le poignet d'un nouveau transporté, mais ses yeux étaient embués.
Dans leur ciel on pouvait deviner un temps neigeux, résidu des sillons d'un blanc virginal tracés à l'AmEx gold qui s'alignaient sur un miroir de poche.

Celui-là semblait un peu pressant.
Il l'entraîna dans le corridor qui séparait les vestiaires de la salle.
Toby eut un mauvais pressentiment.
Il les avait déjà vus tant de fois faire ça pourtant.
Une fois de plus ils prendraient un taxi. Une fois de plus...

Mais ce fut une fois de trop.
Prune ne voulait pas partir, pas avec lui.

Toby, dans la pièce adjacente, passait frénétiquement les verres au-dessus d'un jet d'eau minuscule pour les rincer.
Il servait machinalement les commandes de cocktails.

Le baffreur de chair fraîche la traita d'allumeuse, lui dit de prendre sa veste et de le suivre.

Toby, qui avait foi en ses mauvaises impressions arriva alors que la brute essayait de la tirer par le poignet vers le vestiaires.
Le ton monta, les mots aussi.
Prune pleurait, la clientèle s'attroupait.
Très vite, le directeur interrompit l'incident. Il s'excusa auprès du malappris, et signifia à Toby qu'il le libérait pour ce soir.

Prune s'agrippa à son bras, comme elle se cramponna à son torse quand le scooter démarra.
Non pas pour l'attiser, comme elle l'avait fait avec eux, mais pour que jamais il ne la laisse repartir.

Les quais défilaient de plus en plus vite sur sa visière, tandis qu'elle appuyait sa tête contre le dos de son ange gardien.

Ce soir encore elle découcherait.
Mais ce soir elle dormirait.



Dig Up Elvis - Moi Lolita (Clip)

6 commentaires:

  1. Tres tres bon ! Again ! C'est leger, ca se lit tout seul. Fan and envious again,

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  2. Merciii, il était temps je n'avais rien posté pendant un moment, mais je vais me rattraper cette semaine, promis!

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  3. Complètement fan!! Sophie

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  4. Merci chère Sophie que je devrais voir très vite si tu es la Sophie à laquelle je pense, et un grand merci tout court si ce n'est pas le cas!

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  5. Effectivement à peu de temps d'intervalle, un même titre. Très bon, surtout que je commençais à m'impatienter !

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  6. C'est fou comme, souvent, certains perdent leur vie à ne pas vouloir la vivre mais juste à l'exhiber. La beauté a ceci de supérieur à la beauté, c'ets qu'elle dure. Elle dure autant que les effets à long terme de la neige colombienne (ou pas d'ailleurs vu les saloperies qui circulent).

    Photographie d'un évènement banal par ton téléobjectif. Je connais cette fille, je l'ai connue et je la connaitrai encore...

    Bravo, encore, aussi.

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