mercredi 9 février 2011

Dream on

Stars shining bright above you
Night breezes seems to whisper “I love you”
Birds singing in the sycamore trees
Dream a little dream of me



- Une crêperie.
- Une boîte.
- Maîtresse d’école.
- Un bar. J’ai toujours voulu avoir un bar.
- Mec, tout le monde a toujours rêvé d’avoir un bar.

Tous ces projets s’entrechoquaient dans ma tête alors que je somnolais dans le train de banlieue qui me ramenait d’audience, à demi étourdie par un virus de passage. Dans notre profession, on ignore ce que le mot arrêt maladie veut dire. On ignore aussi le mot Assedic d’ailleurs. En fait, on ignore pas mal de choses qui ont fait les acquis sociaux de ces dernières décennies. Une histoire de cordonnier mal chaussé il faut croire.

En sortie d’école, on vous assène certaines statistiques, et notamment celle qui prévoit que 50% des élèves sortants quitteraient la profession dans les deux ans.

Deux ans plus tard, le constat était là. On était encore un certain nombre sur le pont, mais quelques uns avaient quitté le navire ou étaient sur le point de le faire.
- Je vais m’inscrire à l’IUFM. Ca m’a toujours plu l’idée d’enseigner à des gamins.
- Tu vois, quand j’ai eu les enfants, je me suis dit que je retournerais en cabinet une fois qu’ils seraient assez grands. Et puis finalement, j’ai envie de profiter d’eux le plus longtemps possible et trouver un boulot qui me laisse du temps.
- Je vais monter ma boîte. Je ne sais pas encore de quoi, mais j’ai ça dans le sang, je suis un commercial. Tu vois ce truc de vocation là, ben je l’ai jamais ressenti.
- J’aimerais bien faire de la photo. Mais genre à temps plein, sur des événements, des concerts… En tout cas ce qui est certain c’est que je vais pas tarder à claquer ma dem, ils m’ont dégoûté de la profession…
- Je retourne à la fac. Je vais faire un master à l’étranger.
- J’aimerais bien devenir fleuriste…
- Et toi Astrée ? Tu intègres le cours pro l’année prochaine au théâtre ou tu t’inscris la Nouvelle Star ?
- Euh… moi j’hésite entre une Leffe et une Strongbow là, maintenant, tout de suite.

Parce que que là, maintenant, tout de suite, je n’avais pas envie de faire de choix qui m’engagerait sur plus d’une soirée.

Je m’étais donné cinq ans en sortant de l’école pour savoir si je resterais. J’étais à mi-chemin de cette échéance et j’étais bien incapable de dire où je me trouverais dans quelques années. Dans la fonction publique. Dans l’artistique. Installée à mon compte. Dans le métro, à faire des spectacles de marionnettes sur des bandes son mal synchronisées.

Autour de moi, le mois de janvier était à la morosité. Question de conjoncture entre le temps qui se serait écoulé depuis Noël, la météo, le manque de motivation et autres indices, dixit des scientifiques gallois, faisant du « Blue Monday » le jour le plus déprimant de l’année, vraie-fausse découverte, réel récupération marketing.


Il n’y a pas très longtemps, je défendais un jeune homme qui, ivre, avait forcé la portière d’une voiture pour l’en vider de son contenu. Une audience correctionnelle banale, après des jours passés entre baux et liquidation de régimes matrimoniaux.
Une de ces semaines où l’on se dit que notre vocation est bien lointaine, et que l’on serait peut-être plus utile à faire sourire trois badauds dans un café-théâtre avec des textes légers plutôt qu’à défendre un syndicat de copropriétaires dont les intérêts ne nous parlent que de façon très lointaine.
C’était le genre de dossier qu'on parcourt avant d'avoir vu le prévenu en se disant qu'il reconnaît les faits, que ça ira assez vite.
Et puis on a discuté. Pour une raison qui m'échappe, il m'avait touchée. Pourtant il n'avait aucune circonstance pour lui. Il avait un travail, une famille, aucune raison de commettre ce genre d'infraction de gosse qui ne sait que faire de ses journées. Sa petite amie l'avait largué. Il me dit avoir fait deux TS. On parle de son ex compagne, et il finit par me dire :
« Ben vous savez, c'est la première fois qu'un avocat me parle de meuf ».
Je souris.
« C'est important aussi pourtant, ça fait partie de la vie".
« Oui, vous avez raison. C'est à cause d'elle que j'ai déconné".
Cet après-midi là, juste parce que j'avais employé le mot "nana", il se sentait écouté. Peut-être était-ce pendant ces quelques minutes que je m’étais sentie le plus utile finalement. Et non quand j’avais épluché les procès-verbaux. Ou quand j’avais plaidé l’erreur de jeunesse, et convaincu le président que le prévenu devait être vraiment ivre, pour avoir laissé derrière lui l'auto-radio et le téléphone portable, et être reparti avec la couverture de survie et un CD de Michael Jackson.



Le fondant au chocolat réconcilia tout le monde.
En cette fin de semaine, nous étions juste heureux de nous retrouver enfin en heures non facturables mais délectables.

Le bonheur tient en ce genre de petits bonheurs simples quelquefois.
Se balader en solitaire un dimanche en fin d’après-midi sur les berges, avec comme seule compagnie Françoise Hardy qui nous susurre ses textes dans les oreilles et le vent qui nous caresse le visage.
Prendre la fille d’un de ses amis sur ses genoux pour l'écouter cabotiner sur son histoire préférée pour la dixième fois.
Manger une crêpe au sucre, parce que si vous avez des crêpes, et si vous avez du suc’, ben vous pouvez faire une crêpe au suc’.
Prolonger une séance de travail théâtrale dans le bar qui fait l’angle de la rue jusqu’à pas d’heure, renforçant l’esprit d’une troupe qui se fait autant dans les fous rires de répétition et de cours que dans les verres de vin qui s’ensuivent.
Acheter un tee-shirt d’ado attardé et l’arborer fièrement toute la journée, pour mieux oublier ses chemisiers de semaine.
Danser devant sa glace sur un vieux groupe des années 80.
Danser dans l’ascenseur sur un nouvel artiste indé des années 2010.
Croiser son voisin et vivre un grand moment de solitude alors que l’on aborde un grand solo de air guitar.
Revoir une connaissance après des mois et faire la fermeture du café avec lui.

Sortir sa guitare et ses vieux tubes de quand on avait 15 ans. Une de ces chansons aux accords et paroles basiques, mais qui réchauffe le cœur. Et on se dit alors que la vie pourrait tenir en quatre accords simples.

C’est à la portée de tout le monde.

Alors, rêvez un peu.
Perdez votre tête dans les nuages, gardez un peu le nez en l’air, ça évitera de regarder où vous mettez les pieds.
Extravaguez, déraisonnez, divaguez, rapportez des rayons de lune dans votre besace.

« Je sais pas, moi je ne crois plus au fait de tomber amoureux, tous ces trucs là. Je suis peut être fait pour vivre seul. Je me dis que si je me trouve un mec bien, et qu’on est heureux de faire des projets ensemble, ben c’est déjà pas mal. Quelque part je t’admire d’être encore un peu fleur bleue, moi j’ai laissé tomber».
« Ben ouais, et j’assume. Ca n’empêche pas d’être réaliste, de ne pas attendre que ça te tombe dans les mains, mais on a encore le droit de croire qu’il peut exister quelqu’un qui te donne envie de construire le reste de ta vie avec lui non ? Ca n’empêche pas les accidents de parcours, mais si on y croit même pas dès le départ, alors à quoi bon ? Personne n'écrirait plus rien, et on n'aurait plus qu'à oublier l'essence de l'art, et de la vie. Alors oui, je ne sais pas à quoi il ressemblera, je n sais pas si je le connais déjà, mais j'aime à croire qu'il sera une évidence, et j'emmerde les statistiques».

Rêver a cet avantage que c’est une activité gratuite, accessible même aux esprits les plus rétifs à la songerie.
Ayez l’onirisme ambitieux.
Laissez lui une place, même toute petite.
Dans votre tasse de café.
Sur un trajet de métro de dix minutes.
Entre deux dossiers.
Avant de vous coucher.
Dans le regard de cet inconnu qui vous fixe à en friser l’indécence et à qui vous n'osez adresser ne serait-ce qu'un simple bonjour.
Dans votre casque, celui-là même qui construit la bande originale de votre vie fantasmée.
Sur les pavés d’un trottoir qui brille après la pluie.
Dans les reflets du soleil.
Dans le bruit des graviers.
Dans ce parfum réconfortant.
Dans les serments du crépuscule.
Dans les espérances de l’aurore.
Dans le soupir d’une virgule et les exubérances qui pérorent.

« Je vais prendre un Merlot, en fait. Et pour le reste, je ne sais pas. Oui j’ai des projets. Un peu dingues, un peu ambitieux, un peu invraisemblables. Ils sont là, pas très loin, mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour. Pour l’instant, j’ai juste envie de voir la fin du film, ça vous va?"



Sweet dreams till sunbeams find you
Sweet dreams that leave all worries behind you.
But in your dreams, whatever they be,
Dream a little dream of me
”.

4 commentaires:

  1. Ca me fait penser à cette phrase qui figurait sur mon disque de "Emilie Jolie" et que j'aime beaucoup : "Faites que le rêve dévore votre vie, afin que la vie ne dévore pas votre rêve".

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  2. "Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d'entre nous regardent les étoiles".

    :-)

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  3. http://www.youtube.com/watch?v=vZPmZ64m3_4

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  4. :-)

    J'ai toujours trouvé cette chanson tout simplement parfaite.

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