Elle semblait presque hantée de tous ces fantômes qui errent dans les esprits enfantins angoissés à l'idée d'être seuls face à la sorgue oppressante, lorsque l'on suppliait de laisser la porte entrouverte, pour qu'un rai de lumière se pose sur la couette fleurie, pour qu’il subsiste un passage entre le monde des humains et celui des ténèbres.
"Le sommeil est un emprunt fait à la mort pour l'entretien de la vie" disait Schopenhauer.
Mais Schopenhauer n'a jamais été connu pour être un boute-en-train, lui qui pensait que la vie n'était pas faite pour que nous soyons heureux.
Qu'importe, je préférais encore me bercer de fantasmes et laisser voguer mon esprit encore quelques heures sur l'illusion que le lendemain matin était encore loin, que je pourrais le repousser indéfiniment, qu'une faille spatio-temporelle se glisserait entre le train qui me ramenait à Paris et le réveil qui sonnerait quelques heures plus tard.
J’avais passé la semaine tiraillée entre deux hommes.
L’un venait d’achever un roman impulsion, qu’il avait écrit d’un trait, de façon fanatique et frénétique. Il ne dormait plus, ne mangeait que peu, ne sortait pas. L’autre avait mis par écrit le tourbillon de pensées introspectives qui s’était emparées de son esprit lors d’un séjour dans les cachots de Paris.
Je ne nierai pas avoir eu quelques doutes quant à la teneur du manuscrit du premier, qui m’apparaissait comme une lubie soudaine de crise de la trente-cinquaine, au même titre que d’autres sautent en parachute, s’inscrivent à un marathon ou larguent femme et amarres.
Mais je devrais reconnaître que le gamin attardé m’avait agréablement surprise. Quelques maladresses mises à part, j’avais aimé, sincèrement, sans parti pris. Je m’étais simplement laissée emporter sans me poser plus de questions, et c’était sans doute ce que l’on demandait le plus naturellement à un roman.
Quant aux deuxième, je m’étais efforcée de ne pas lire les critiques relatives à ce qui allait devenir le Renaudot 2009. Loin de n’être qu’une complainte de bobo quarantenaire vodkaïné qui met les pieds dans la procédure pénale française comme dans un chewing-gum qui s’accrochent à vos Clarks pour vous suivre pendant des mois, c’était un voyage émouvant dans son enfance qui faisait luire mes yeux sur la banquette brique du RER.
Tous deux m’avaient touchée de façon différente.
L’un par son approche presque naïve de l’écriture, qui s’y était lancé à corps perdu comme on se lance dans le vide sans savoir si l’on pourra retomber sur ses pieds, l’autre qui nous offrait son enfance à cœur ouvert, débarqué de sa réunion de gardés à vue anonymes.
Le primo-scribe et le primo-délinquant se mirent alors à deux pour me donner un bon coup de taurine littéraire. Mon roman était en chantier depuis beaucoup trop longtemps, et risquait de finir dans le cimetière des mammouths inachevés vers lesquels on ne revient jamais. Il allait devenir l'une de ces machines de sport que l’on achète devant une émission hypnotisante pour ne plus l'utiliser au bout d’une semaine.
Mais je ne voulais pas me réatteler à la tâche comme je l’aurais fait auparavant, en conservant un certain dilletantisme assumé, qui me permettait de toucher à tout mais de n’aboutir qu’à peu de choses. J’avais déjà mis en suspens le théâtre, posé deux séances hebdomadaires musicales, il me restait à me choisir vers où me porterait mon écriture.
Si je voulais me consacrer entièrement à mes personnages laissés en plan dans leurs péripéties malheureuses et leurs doutes, il me fallait délaisser les pages de mes chroniques cyberficielles.
Une de mes amies blogueuse peinait également à trouver l'inspiration, malgré une répartie verbale systématique et acerbe, une conscience de l'actualité assurée et positionnée, un esprit fin et vif.
Peut-être avait-elle besoin, comme moi, d'abandonner ces espaces éphémères pour déménager dans un espace un peu plus grand.
Je ne me faisais pas trop de souci pour elle. Elle était talentueuse, et suffisamment pugnace pour retrouver rapidement la voie de son clavier. La brunette avait plus d’un tour dans son sac, et une faconde acide qui en avait laissé plus d’un sur le carreau.
Etre auteur c’est être entêté, avoir une idée fixe qu’il vous est vital d’exploiter jusqu’au bout sous peine de la voir dépérir. C’est foncer dans le mur sans regarder ce qui se passe autour de vous. Que l’on soit narrateur ou jongleur de mots, raconteur d’histoires ou esthète du verbe, il faut avoir l’inconscience et la présomption de croire qu’on sera lu, un jour.
Il existe une chanson qui raconte l’histoire d’un homme qui s’était enfermé pendant plusieurs mois dans la chambre d’un motel pour écrire son "Moby dick".
Jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il "a passé les meilleures années de sa vie à attendre les meilleures années de sa vie".
Sans nul doute je ne souffrirai pas de ce syndrome de l’auteur maudit, parce que, comme 90% des auteurs, je ne peux me permettre de passer mes journées chez moi à écrire, et que de toute façon je ne suis pas maudite pour un sou.
Je repensais à l’un de mes meilleurs amis, également auteur, qui, désillusionné, me rappelait que si je ne faisais pas le choix d’arrêter maintenant pour faire carrière ailleurs, alors je n’arrêterais jamais. Peut-être. Mais je voulais croire qu’il me restait des portes ouvertes, et d’autres que je pourrais claquer quand bon me semblerait.
Et pour l’instant, l’écriture restait une persienne des plus compatibles avec mes occupations actuelles.
Je clôture donc à la fois le troisième volet de mes derniers billets et les volets de mon blog pour quelques temps. Oh, je ne ferme pas cet espace complètement non, loin de là.
J’y reviendrai pour éviter qu’il sente trop le renfermé, quand j’aurai besoin de m’y poser un week-end ou un soir. J’y ai toujours ma chambre, mon salon, j’ai laissé de quoi y faire ma cuisine. Mais pour l’instant, je me consacre à un autre atelier qui prendra tous mes pinceaux et certaines parties de mes nuits.
Le dernier élément déclencheur avait sans doute été la lecture de la revue "Bordel" que je venais de découvrir. Un collectif d'auteurs, de jeunes fabulistes aux écritures inégales, qui emmenait le lecteur, dans leur dernier opus, dans l'univers du Rat Pack, bande composée entre autres de Franck Sinatra, Dean Martin et Sammy Davis Jr.
Une rencontre d’un soir m’avait parlé d'un certain Renaud Santa Maria qui écrivait dans la revue, et qui avait commis un texte en sa faveur.
Il ressemblait à l’image que l’on peut se faire de ces jeunes auteurs inhérents aux nuits parisiennes, aux antipodes des blondeurs romantiques d’un Florian Zeller ou des phrases sujet-verbe-complément des têtes de gondoles des coins presse de chez Auchan.
Sa nouvelle était courte, quelques pages à peine.
Mais c'est celle qui m'est restée.
Pendant quelques minutes, je n'entendais plus le train qui roulait, les enfants qui pleuraient, les allers et venues. Pendant quelques minutes j'étais face à une Bonnie des temps modernes, émouvante et fascinante.
Difficile après cela d'assumer son clavier et ses phrases plus simplistes.
Peu me chaut, je m'en empare encore une fois.
Nous sommes peut-être un peu fêlés, un peu fantasques de consacrer autant de temps à des vies fictives, sans se préoccuper de savoir si nous avons du talent ou pas, sans se demander si tout cela en vaut bien la peine.
Mais qu'importe, grâce à cela, il subsiste un rai de lumière sur nos couettes fleuries, entre nos jours et nos nuits.
Je ferme les volets, coupe l'eau et l'électricité, jette un dernier coup d'œil et donne un tour de clé. On m'attend ailleurs, j'ai des conflits à régler, des dénouements à amener.
Mais je reviendrai, quand les cerisiers seront en fleurs ou que ma plume aura besoin de se changer les idées.