vendredi 30 octobre 2009

"Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière..." - II. Paris, Pont de Bir Hakeim

J'humais avec délice l'odeur des cheminées.
J'avais toujours aimé ce fumet, qui me rappelait mes vacances hivernales chez ma Grand-Mère, que je croyais à l'époque représentatives de la vie en ville, bien qu'il n'eût s'agit que d'une petite cité du Finistère et non d'une capitale régionale.


Je traversais ce pont qui avait été tant de fois filmé et que l'on conseillait dans tous les guides touristiques.
Je ne me lassais pas de ces petites minutes quotidiennes en dessous du métro, au-dessus de la Seine et un peu en dehors du temps, qui me donnaient l’impression d’être l’héroïne du dernier Klapisch, mes bottines foulant ce sol que tant de comédiens avaient déjà foulé. J’en voyais des tournages de longs, de courts, de moyens, du Dernier Tango au dernier Di Caprio, des projos installés entre les grands colonnes métalliques, des faux couples qui singeaient un amour romantique les cheveux au vent face à l’onde, mais aussi des vrais couples de mariés nippons en plein atelier photo.


Paris, ville des amoureux.
Il faut reconnaître que mon appartement, tant exigu soit-il, est propice à un certain romantisme bohémien - ce n'est pas mon ancien voisin tailleur de plumes qui me contredira. Après un ascenseur si réduit qu'il semble être un appel au quickie bestial et un dédale de couloirs balzaciens, c'est une vue imprenable qui s'offre au regard. Et un lit une place. On ne peut pas tout avoir. Quant à Roméo, il serait bien en peine de hurler de la rue à mon balcon sans prendre un mégaphone et se faire interpeller au passage pour tapage nocturne.


J'affectionnais les dîners organisés avec les moyens du bord.
Cette chambre en avait reçu des confidences de la part de mes hôtes.
Des timides, des coquines, des sérieuses, des légères, des graves.


Face à moi, Geoffroy étalait sa petite liste, chiffée d'avoir été trimbalée dans sa besace pendant plusieurs jours et ressortie à chaque fois qu'il lui venait une nouvelle idée.
"Ne pas être agressif avec loulou quand il rentre tard."
"Accepter le fait de ne rien prévoir et d'attendre sagement qu'il m'appelle."
"Rester calme quand il me dit qu'il a encore des choses a faire."
"Ne pas lui demander quelles sont ces choses qu'il doit absolument faire et qui ne peuvent pas attendre."
"ne pas dire tout ce que je pense, au moment ou je le pense."

Et tant d'autres réflexions et réparties écrites à l'avance, en prévision d'une prochaine dispute.
Car Geoffroy était comme cela, il faisait partie de ces gens qui pouvaient générer une querelle de trois quart d'heures sur un sujet mineur.
Il le savait, il n'était pas toujours facile à vivre, mais après tout il n'y avait pas tromperie sur la marchandise. Derrière ses affirmations de jeune homme déçu de ses amours antérieures, on décelait parfois les caprices d'un gosse qui recherchait ni plus ni moins que quelques démonstrations d'affection supplémentaires.
Il était comme ça Geoffroy, entier, et voulait boire la passion de l'hallali à la lie.


Tout comme Agnès, qui avait occupé ce siège un soir plus tôt.
Elle vociférait souvent Agnès, de cette voix nicotinée qui était sa marque de fabrique, cette voix brouillardeuse et suave qui pouvait se briser en un éclat d'énergie. Car derrière cette force apparente, cette imposante personnalité qui théatralisait la moindre de ses péripéties, il n'y avait qu'un de ces châteaux de cartes d'Espagne, qui ne demandent qu'a s'écrouler au moindre doute, dès que les rêves s'évanouissent. Elle était comme ça Agnès, oscillant entre "une journée chez ma mère" et une héroïne d'Helen Fielding.


C'était encore elle qui, quelques jours plus tôt, pleurait le silence de "Jimmy le vitrier".
"Jimmy le vitrier". On l'avait appelé comme cela car ils avaient convenu de se voir après un simple démarchage téléphonique.


D'habitude elle les rabrouait rapidement les VRP de carpettes, les revendeurs de forfait week-end et autres commerçants pour ménagères de moins de cinquante ans. Le genre d'appel qu'elle expédiait classiquement en trente secondes chrono. "Non je ne suis pas intéressée".
Mais là, elle s'était laissée allée à discuter avec son interlocuteur qui, pour une fois, ne travaillait pas sur une plateforme d'appel en Tunisie.
Il s'appelait Christian Lepage, ou quelque chose d'approchant. Mais quelques minutes plus tard, il lui avoua s'appeler Jimmy. Jimmy le vitrier, comme nous l'avions surnommé rapidement. Cela m'avait beaucoup fait rire, ce nom d'emprunt donné pour se présenter à la ménagère. Un peu comme Bertrand Malet, de Nexx assurances. Un de ces noms que l'on retrouve dans les séries policières françaises : Marc Verdier, police scientifique. Diane Dumont, juge et femme. Christian Lepage, conseiller en double-vitrage.


Cela donnait à la scène un petit côte desperate housewife excitée a l'idée de rencontrer un "hot" liner qu'elle fantasmait. L'histoire s'arrêta rapidement, après un ou deux coups de fil, le rendez-vous n'eut jamais lieu. Et la pauvre Agnès fut fort marrie de ne jamais avoir croisé le verre avec Jimmy le vitrier.


L'étoffe de ceux qui m'entouraient était tissée pour beaucoup de ces doux dingues dont je peinais à me passer.


Qu'ils soient femmes au bord de la crise de nerf, au secours j'ai 30 ans ou péril jeunes. J'aimais ces failles qu'ils transformaient en éclats de vie.
Ils auraient pu composer les personnages d’un film chorale de David Curtis avec leurs anxiétés, leurs normopathies, leurs quête inébranlable de l’amour avec un grand A, leurs jugements désabusés et leurs pathos assumé.

Qu’ils soient nomades des paddocks, grands ours benêts aux cœur tendre, flambeurs de toquades, râleuses impénétrables ou ingénues au palpitant gaufrette.


Combien d'entre eux s'étaient assis là, dans ce petit espace confiné et propices aux confidences enamourées. Un peu tous barges, à leur façon, comme on peut l'être dans ce genre de situation.

Le week-end dernier, je rencontrais, lors d'une soirée chez un ami, le sosie parfait d'un garçon qui m'avait beaucoup plus il y a de cela quelques années, et que je n'avais jamais revu.

Même voix, même logorrhée nerveuse, même carrure.
A tel point que je manquais de l’interroger sur l’existence ignorée d’un frère jumeau.

Mais au bout de deux phrases, c’était une personnalité antagoniste que j’avais face à moi, qui tentait une approche sur un :
« Et sinon, tu mets souvent des longs colliers comme ça ? »
Qui sauta sur l’occasion de partir en même temps que moi, pour m’interroger à la façon d’un examinateur de concours :
- Et sinon il paraît que tu fais de la musique ?
- Oui oui, comme ça…
- Tu as un groupe alors ?
- Oui je…
- Cool quel genre ?
- Euh plutôt folk acoustique, et …
- Et sinon tu aimes Bach ?
- Euh oui c’est…
- Cool quel morceau ?
- J…
- Je joue souvent Toccata et Fugue en Ré mineur ?
- Ha et sinon tu préfères plutôt le jazz ou le classique ?
- Non mais sinon je joue la lettre à Elise.
- [Bon ben on va tous les faire] et également le prélude de Bach j’imagine ?
- Oui
- Et la sonate au clair de lune
- Oui comment tu sais ?
- Je sais pas, intuition, il ne manquerait plus que la truite de Schubert et on sera bons.

Enfin tout cela se termina un peu en queue de poisson, moi un peu perturbée d’avoir eu l’impression de voir une ancien béguin réincarné en geek aux blagues incompréhensibles – après m’avoir vue interdite à la suite d’une blague relative au système DOS, il m’alluma quand même le PC pour m’expliquer le côté comique de ses propos – lui rentrant dans son métro.

J’aimais ces non-histoires qui le devenaient par la force du comique de situation.
J’aimais tous ces illuminés d’un soir ou d’une vie qui croisaient ma plume et mon imagination.

mardi 27 octobre 2009

"Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière" - I : Versailles, Rive Gauche.


C'est par cette phrase d'Audiard, postée par l'un de mes contacts virtuels - et je l'en remercie de me l'avoir rappelée à l'esprit - que je m'installais devant mon ordinateur pour une nouvelle journée de labeur.


Après une brève recherche infructueuse pour tenter de retrouver l'origine de cette pensée, je me rendis compte que nombre de blogueurs la reprenaient plus ou moins à leur compte. 

Je ne ferai donc pas preuve aujourd'hui d'originalité et tomberai sans doute dans une chronique de zinc.

Mais qu'importe, un ancien billet d'une autre blogueuse - je reviendrai à elle dans le billet suivant - m'avait donné envie de semer quelques mots épars sur ce blog en déshérence, et cette citation m'était soudainement apparue comme le fil rouge que je recherchais pour mes prochains écrits vains.


Et me voilà rentrant du bureau, démarrant un billet au quart de tour dans le RER, avec les moyens du bord, un minuscule écran tactile qui tente de contenir mes pensées debordantes, comme ce petit carnet que je traîne toujours avec moi au fond de mon sac de fille jamais assez grand pour renfermer le fatras d'idées qui s'amoncellent dans mon esprit éparpillé. 


Je reprends donc le chemin de ce blog après avoir comme souvent joué les agence touristes, dernière chance au dernier moment quand le RER s'apprête à partir et que vous tentez de rejoindre Notre Dame, les Invalides ou la Tour Eiffel qui joue en ce moment les bandits manchots de ferraille, étincelants de diodes polychromes, lui donnant des faux airs - non déplaisants - de Foire du Trône.


Je dois avoir une tête avenante pour me retrouver si souvent à orienter les touristes perdus et aimanter les relous made in métro and RER.


RER dans lequel je rencontre tant d'insensés qu'ils pourraient remplir un blog à eux tout seuls.


Il n'y pas très longtemps, je renseignais une famille d'australiens sur la raison d'un stage découverte forcé et matinal en station de Chaville Vélizy. Quand je leur expliquai qu'un malheureux avait certainement dû se jeter sur les rails (voir article précédent, sur le suicide matinal et ferroviaire qui nous empêche d'aller travailler), l'une des têtes blondes m'interrompit :

- Mais, il n'est pas mort, n'est-ce pas?

Et mon cynisme habituel ne put que laisser place à un :

- Nooooon, bien sûr que non. Les secouristes font un travail formidable aujourd'hui. Ca devrait aller - ne pouvant m'empêcher de visualiser, dans le même temps, l'équipe chargée de ramasser les reste de ce pauvre désespéré éparpillé aux quatre coins de la voie ferrée.

Le père de la petite m'accorda un sourire soulagé et reconnaissant de lui éviter un bon millier de questions sur le chemin du retour commençant pour la plupart par "Mais pourquoi".


Nous rentrâmes donc dans la rame bondée de touristes étrangers, quand un filet d'insanités vînt heurter mes oreilles : 

"Aaaah la bonne espagnole... Elle aimait ça la salope." 

Je me retournai pour me retrouver face a une frêle quinqua made in Versailles, que l'on aurait facilement imaginée jouer dans des publicités Maman Gâteau. Par intermittence, elle assenait en boucle des paroles salaces les yeux fixés dans le vide avec un sourire étrange, mi-béat mi-pervers. Curieux personnage à mi-chemin entre Marielle Le Quesnoy et Linda Blair dans l'Exorciste. Je ne rapporterai pas ici le détail de ses propos, mais je puis préciser qu'il était fort heureux qu'aucun "bougnoul", "nègre a grosse bite" ou moine ayant fréquenté Sodome et Gomorrhe ne se trouvât dans ladite rame. 


On ne s'ennuie jamais dans les transports en commun.


Ainsi il y a deux semaines, ce jeune homme qui monta dans la rame uniquement parce qu'il me trouvait mignonne, "s'te plé". 

- Hey, j'étais sur le quai là, je te trouvais mignonne alors j'suis rentré.

- ... [Ouais moi aussi je fais ça quand je flashe sur un type, hop, je saute dans sa rame, son taxi ou son ferry].

- Tu vas où?

- [Dans ton...] Ben comme tout le monde ici [abruti] puisque tous les trains vont au même endroit.

- Et tu fais quoi dans la vie?

- A... Secrétaire... assistante... stagiaire... intermittente.

- Cool

La discussion à sens unique continua ainsi jusqu'à ma station Et comme il était entré pour me voir, il ressortit pour le même motif, tenant à me raccompagner à ma prétendue réunion d'assitantes secrétaires stagiaires. J'étais en bas de chez moi, et il était temps que je m'en débarrasse alors qu'il me précisait que ce n'était pas parce qu'il avait un canif qu'il était dangereux - ces procureurs décidément, quel manque de compréhension! Un petit détour pour le semer et j'étais enfin en sécurité dans mon hall. 


Le lendemain soir, deuxième candidat. Il s'installe face a moi et me regarde d'un air interrogatif avant de se lancer : 

- Pascale?

- Euh non...

- Vous etes sûre?...

- [Attendez je réfléchis...] Plutôt oui.

- Non parce que vous ressemblez terriblement à Pascale mon éditrice.

- Haaa. Ben oui mais non.

- Donc si je vous demande de corriger mon livre vous ne le ferez pas?

- Ben non puisque je ne suis toujours pas Pascale et que je ne suis toujours pas éditrice.

- Rah c'est emmerdant ça parce qu'il doit être corrigé et j'attends toujours.

- Ha. Peux rien faire pour vous.

Quelques inepties de présentation plus tard - il m'avait entre temps précisé avoir étudié le droit à Seattle (qu'il prononça Siaadlllllleee et non Siateul) nous en revenions à son ouvrage.

- Non parce que vous savez, mon bouquin doit être corrigé parce ça bon ben on est obligé, mais il est déjà extrêmement bon y a rien à changer.

- Je n'en doute pas. [Ce quadra devenait de plus en plus intéressant, malgré lui].

- Parce que bon après faut penser à l'adaptation pour les Etats-Unis, et puis à l'adaptation cinématographique.

- Normal. [Woody Allen bosse d'ailleurs sur l'adaptation de mon blog].

- Mon roman s'appelle attention... l'amour dans la folie, vous voyez le truc.

- Ha oui je vois bien. [L'amour. La folie. Jonathan. Jennyfer. Les justiciers milliardaires].

Non mais pas l'amour A la folie hein, ou l'amour DE la folie, l'amour DANS la folie.

- Oui oui, j'ai bien compris l'idée.


Un peu plus tard, il me félicitait de la profession que j'exerçais :

- Ben vous voyez, là j'ai envie de vous dire "Mazel Tov". C'est un truc de juif.

- [Merde, moi qui avait toujours cru que c'était du basque et que l'étoile de David en 4 par 3 autour de ton cou c'était un accessoire bling bling de caillera]. Ha, ben merci.

- Vous êtes mariée?

- ... hum oui

- Je sais bien que c'est pas vrai,  mais portez une fausse alliance, ça empêchera les types comme moi de poser ce genre de questions à des nanas comme vous.


Note pour plus tard. Porter une fausse alliance qu'il conviendra de retirer en hâte dans le cas où c'est moi qui voudrais jouer les relous du métro face à un beau jeune homme avenant. 

Je prendrai aussi mon canif. Au cas où.